lundi 6 avril 2009 - par Polixandre

L’Université en crise (3) - la masterisation des concours d’enseignement

Depuis deux mois, l’université est en crise : loi LRU, mastérisation des concours d’enseignement, précarisation des emplois... les causes en sont multiples, et leurs explications techniques.

Difficile de s’y retrouver, d’autant plus que les médias ont commencé par présenter ce mouvement comme une revendication corporatiste des enseignants-chercheurs au sujet de leur statut, présentation parcellaire, grossièrement incomplète, et n’évoquant que l’un des motifs du mouvement.

En ces temps de crise économique, notre avenir repose sur l’enseignement et l’innovation.

Voilà pourquoi il est crucial de comprendre ces réformes, leurs conséquences, et la colère de la communauté universitaire.

Cet article est le troisième d’une série dont le début peut être lu ici :

L’Université en crise (1) : la loi LRU
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=52583

L’Université en crise (2) : la précarisation des emplois
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=53070

Après avoir examiné les changements structurels liés à la loi LRU, les perspectives de l’emploi dans les universités et les vives inquiétudes que tout cela soulève, je vais maintenant examiner la « mastérisation » des concours de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire.

Cette réforme n’est pas liée à la loi LRU, mais sa mise en place arrive au même moment, et fait partie des motifs de colère qui s’agglomèrent dans la protestation globale de l’Université.

Les concours de recrutement des enseignants : ce que propose la réforme

Commençons par décrire le système actuel, de recrutement des enseignants du primaire et du secondaire, qui vit officiellement sa dernière année.

Jusqu’à présent, le diplôme de la Licence (bac + 3) donnait accès aux concours d’enseignement primaire et secondaire, notamment CRPE (Professeur des Ecoles) et CAPES (Professeur dans les collèges et les lycées).

Dans le cas standard, une année de préparation au concours pouvait être suivie après la licence dans les IUFM, le conduisant ainsi à une quatrième année d’étude, puis, en cas de succès au concours, le lauréat suivait une année de stage à l’IUFM. Précisons que, durant cette année, le lauréat était fonctionnaire stagiaire, et rémunéré à ce titre (autour de 1 400 euros nets mensuels)

En résumé, le parcours standard du futur professeur certifié ou professeur des écoles était jusqu’à présent :

  • Licence (bac + 3)

    	

  • Une année de préparation du concours à l’IUFM

    	

  • En cas de succès au concours, une année de stage et de 	formation professionnelle rémunérée à l’IUFM, pendant laquelle 	le lauréat se retrouve en position d’enseignement 8 heures par 	semaine. 	

Il est à noter qu’un candidat a le droit de présenter le CAPES sans passer par la deuxième étape, directement après sa licence, gagnant ainsi un an s’il réussit son concours.

Selon le cas, l’enseignant a donc derrière lui 4 ou 5 années de formation après le bac (3 ans de licence + 1 année de préparation facultative + 1 année de stage).

La réforme s’appuie sur le constat suivant : les 5 années de formation (dans le cas maximum) ne sont pas sanctionnées par à un diplôme de niveau bac+5, et pourtant les lauréats ont bien suivi cinq ans d’étude après le bac.

La réforme établit l’ouverture d’un master d’enseignement, diplôme qui, après la licence, conduit l’étudiant à un niveau bac+5, et lui ouvre le droit de passer les concours d’enseignement.

Il faut souligner que la délivrance d’un diplôme à bac+5 ainsi que la revalorisation salariale qui devrait en découler correspond bien à une demande des enseignants, la réforme proposée est subtilement différente : elle ne propose pas de délivrer un diplôme de master aux lauréats des concours d’enseignement, mais conditionne le passage du concours à l’obtention d’un master.

Cette réforme, ainsi que la conduite désastreuse de sa mise en place, posent plusieurs problèmes, auxquels le ministère n’a pas à ce jour apporté de réponse.

Une mise en place improvisée, des conséquences sur les étudiants et l’Université

Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’impression de précipitation, voire d’improvisation qui transparaît dans la mise en place de cette réforme par le ministère.
Le premier point technique que soulève cette réforme est la création d’un nouveau type de master professionnalisé.

Il faut donc dans chaque Université élaborer le contenu de ce diplôme de deux années, travail complexe, nécessitant l’élaboration d’une maquette évaluée par l’Agence Ministérielle d’Evaluation des Formations, qui rend sa décision et demande éventuellement des corrections.

Ce travail complexe doit être accompli soigneusement, car il serait inacceptable de faire des étudiants les « cobayes » d’une formation mal ficelée, élaborée à la va-vite.

Or, les concepteurs de ses maquettes (c’est-à-dire les universités) se retrouvent confrontés à un problème : les programmes des nouveaux concours ne sont pas connus, et seuls quelques documents officieux permettent de s’en faire une vague idée. Dés lors, il leur est impossible d’élaborer une formation préparant à ce concours.

La situation devient carrément absurde lorsque l’on sait que le ministère avait demandé à ce que les maquettes soient remontées d’ici fin mars 2009, alors que leur élaboration était de facto impossible.

46 universités ont décidé très officiellement (par décision de leurs instances dirigeantes agissant ès qualité) de refuser de rendre ces maquettes.

En demandant les maquettes avant même que soient connus les éléments permettant de l’élaborer, le Ministère a lui-même rendu impossible une mise en place cohérente de sa propre réforme.

En dépit de l’évidence, le Ministre de l’Education Nationale, Xavier Darcos, s’est trop longtemps obstiné à maintenir cette réforme, avant d’ « accepter » de la reporter d’un an, ce qui ne saurait être interprété comme un geste de remise en question, puisqu’il n’avait de toutes façons pas le choix.

Un lourd tribut pour les étudiants

L’impression d’improvisation n’a pas seulement laissé perplexe l’Université, chargée de mettre au point ses maquettes, elle plonge également dans le désarroi plusieurs catégories d’étudiants, confrontés à une réforme qui fait s’effondrer leurs projets d’étude, puisque la réforme pose une date d’exécution sans gérer le moins du monde la transition pour les publics actuels. Les questions sans réponse sont nombreuses. Par exemple :

  • Que proposer aux étudiants dont l’intention était de 	présenter directement le CAPES après un bac+3 ? La réforme les 	oblige à rajouter deux années d’études à celles qu’ils avaient 	initialement prévues. Il est clair que tous les étudiants n’en ont 	pas les moyens. Doit-on considérer que les étudiants qui ne sont 	pas assez fortunés pour cela n’ont pas d’importance ? 	

    	

  • De façon parallèle, que proposer aux étudiants préparant 	le CAPES cette année, après un bac+3, s’ils échouent au concours 	 ? La réforme les obligera eux aussi à rajouter deux années 	d’études pour avoir à nouveau le droit de présenter le concours. 	

Nulle part dans les textes ne sont évoqués ces problèmes de transition, qui auront pourtant des conséquences importantes pour les étudiants actuellement engagés dans un cycle universitaire en vue de présenter les concours d’enseignement. Ceux-ci se retrouvent en quelque sorte confrontés à une rupture de contrat moral, que l’on ne saurait justifier en disant que cela ne concerne qu’une partie des étudiants.

Un autre problème ne saurait être passé sous silence : jusqu’à présent, le lauréat d’un concours d’enseignement devenait fonctionnaire-stagiaire, et était rémunéré à ce titre, dés l’obtention du CAPES, soit au moment de sa cinquième année d’étude suivant le parallèle que j’ai rappelé en introduction.

En transformant le parcours de l’enseignant reçu au concours en cursus universitaire, la cinquième année est une année d’étude comme une autre, et à ce titre n’est aucunement rémunérée.
Là encore, la réforme semble s’adresser uniquement aux étudiants issus d’un milieu social suffisamment favorisé pour assumer cinq ans d’étude sans salaire.
Par ce tour de passe-passe peu glorieux, l’Etat réalise ainsi des économies en repoussant d’une année le début de la rémunération des enseignants, et à long terme en allongeant l’âge auquel l’enseignant pourra partir en retraite avec l’intégralité de ses droits.

De graves problèmes pour l’avenir de certaines disciplines

Un autre problème naît de l’allongement à bac+5 du niveau de diplôme requis pour passer le concours : jusqu’à présent, l’étudiant pouvait après une licence (bac+3) préparer les concours d’enseignement.
Cela ne l’empêchait nullement d’envisager de suivre ensuite un master pour poursuivre éventuellement dans le domaine de la recherche (soit après un échec au concours, quitte à le retenter tout en poursuivant dans la voie de la recherche, soit après un succès, le poste ainsi obtenu réglant le problème du financement pendant la durée des études )

La réforme des concours d’enseignement empêche cette stratégie : puisqu’il faut aller jusqu’à un master professionnel (bac+5) pour prétendre présenter le concours, la voie du master de recherche se ferme automatiquement.

L’étudiant doit donc choisir après sa licence entre un master professionnel d’enseignement qui lui ferme les portes de la recherche et un master recherche qui ne le prépare pas au concours d’enseignement.

Au lieu de laisser ouvertes les deux portes de l’accès aux métiers de l’enseignement et de la recherche, la réforme condamne donc l’étudiant à en fermer une.

Dans certaines disciplines très théoriques dont les masters de recherche ont peu de débouchés dans l’industrie, il y a fort à parier que beaucoup d’étudiants préfèreront jouer la sécurité et choisiront plutôt la filière enseignement, plus apte à leur offrir un emploi.

En résumé, il s’instaurera une concurrence entre masters professionnels « enseignement » et masters recherches qui, dans certaines filières très fondamentales risqueront fort d’entraîner une désertion des seconds au profit des premiers, contribuant à mettre encore plus en danger l’avenir de notre recherche fondamentale.

Les enseignants de demain : qualité professionnelle, statut, accès au métier

A mon sens, la réforme de l’accès aux métiers de l’enseignement n’est pas une simple modification de détail des modalités de concours, elle dessine une nouvelle fonction publique de l’enseignement primaire et secondaire :

  • Les catégories sociales pouvant avoir accès au métier 	d’enseignant changeront : comme je l’ai expliqué dans la partie 	précédente, les étudiants devront être issu d’un milieu plus 	aisé qu’auparavant pour pouvoir réaliser le cursus nécessaire 	pour prétendre aux concours d’enseignement. La démocratisation 	de l’accès au métier d’enseignant se retrouve ainsi compromise.

    	

  • Il est à craindre que les enseignants débutants soient 	moins bien préparés : l’année de stage du 	fonctionnaire-stagiaire, est remplacée par un stage limité qui 	s’effectuera durant le deuxième semestre de la deuxième année de 	master. L’enseignant se retrouvera donc à plein temps dès sa 	première rentrée devant les élèves avec ce stage limité pour 	toute préparation.
    Qui plus est, la part de savoir 	disciplinaire diminue dans les concours réformés, au profit 	d’épreuves portant sur l’organisation administrative de l’Education 	Nationale, et disparaît même carrément des épreuves orales 	:ainsi, il sera désormais possible de devenir professeur certifié 	d’Anglais sans avoir subi aucune épreuve orale d’Anglais durant le 	concours !
    L’exigence de qualité dans le recrutement des 	nouveaux enseignants se retrouve ainsi revue à la baisse. 	

    	

  • La création d’une filière d’enseignement indépendant du 	concours d’enseignement introduit un nouveau type de diplômés : 	ceux qui auront réussi à obtenir leur diplôme (le master 	« Enseignement »), mais pas leur concours.
    Ces 	« reçus-collés » ne pourront guère monnayer leur 	diplôme de master, très spécialisé, ailleurs que dans 	l’Education Nationale, ou ses alternatives privées.
    On verra 	donc grandir considérablement une cohorte de diplômés prêts à 	occuper des postes d’enseignants contractuels recrutés en CDD de 	façon précaire, directement par les proviseurs des établissements. 	On voit ici apparaître un parallèle inattendu avec la loi LRU, 	qui révèle – s’il en était besoin – l’existence d’une 	stratégie d’ensemble.
    Dans ces conditions de précarisation 	accrue des personnels, il sera facile de faire apparaître le 	maintien de fonctionnaires dans l’Education Nationale comme une 	anomalie, et il sera d’autant plus facile de remettre ce statut 	en cause au profit d’un statut plus précaire.

Conclusion

Baisse de la qualité du recrutement, accès plus difficile pour les moins favorisés, précarisation rampante de l’emploi... Troisième point saillant de la colère du monde universitaire que j’ai choisi d’évoquer, la « mastérisation » des concours de l’enseignement rappelle les éléments que je soulignais dans mes articles précédents, et révèle du même coup l’existence d’une stratégie sous-tendue par une idéologie globale.

Cette réforme concerne (et consterne) de façon transversale la Communauté Universitaire, et au premier chef les étudiants des domaines concernés, qui risquent de payer cher une réforme à l’application irréfléchie et défavorisant les moins favorisés d’entre eux.

L’Université en tant qu’institution a également à craindre des conséquences négatives, et surtout les petits et moyens établissement, dans lesquels la mise en concurrence des filières « enseignement » et « recherche » risque d’entraîner la fermeture de formations fondamentales, faute d’effectif, participant ainsi au mouvement de démantèlement des petites universités dont je parlerai dans mon prochain article.



7 réactions


  • french_car 6 avril 2009 16:25

    Il est clair que le recrutement des professeurs de l’élémentaire et du second degré n’a aucune raison de se faire sur le niveau de la discipline enseignée. Même si celle-ci doit être dominée, un BAC+3 est largement suffisant.
    Le vrai problème de la sélection des enseignants réside en un seul mot : motivation. Et celle-ci ne s’apprécie pas au travers du nombre d’années d’étude.
    Celui qui choisirait l’enseignement après la licence le ferait par vocation et non par l’échec comme beaucoup d’enseignants de matières scientifiques.
    Et la limitation à BAC+3 éviterait sans-doute cet élitisme qui gangrène les établissements du second degré.
    Quant à la formation elle-même elle devrait être essentiellement axée sur la pédagogie et la psychologie.
    Et pour ce qui est de la psychologie adolescente il faudrait même prévoir des rappels vaccinaux réguliers sous forme de stages de formation continue.


  • french_car 6 avril 2009 16:26

    Test avant de perdre mon post smiley


  • pointal pointal 7 avril 2009 10:51

    La masterisation a déjà été appliquée dans d’autres pays, voici un exemple de ce que ça a donné en Italie :
    http://www.limsi.fr/Individu/pointal/Derives-1.pdf

    Inquiétant pour l’avenir du système public d’enseignement.


  • Polemikvictor Polemikvictor 7 avril 2009 12:22

     4 commentaires, le sujet ne fait plus recette.
    A trop crier au loup.....


  • french_car 7 avril 2009 21:20

    Même l’inénarrable Villach s’est abstenu smiley


  • rehoward 10 avril 2009 14:06

    L’article est intéressant, et effectivement, par rapport au traitement des « médias », a le mérite d’être complet.
    J’ai un fils qui est étudiant en faculté, en deuxième « première » année de lettres modernes. Le mouvement serait, selon votre article, pour dénoncer une situation préjudiciable aux enseignants et aux étudiants. J’ai un doute à ce sujet.
    Les enseignants sont actuellement coupés de la réalité de la vie, et du travail, de la majorité des salariés. Même si les élèves actuels, fruits de notre belle société, ne sont pas toujours faciles à gérer, la motivation de la majorité des enseignants à les « élever » me semble en berne. Les « conditions » de travail sont décalées ; dans une société à 35 - 39 heures et 5 semaines de congés payés, ils sont les seuls à fonctionner 16-18 heures semaines et disposer de la totalité des vacances scolaires.
    Quand aux étudiants de facultés, ce n’est pas le système actuel qui va leur permettre de progresser. Surtout, et malheureusement pour mon fils, en lettres et psycho ; l’an dernier quatre semaines de grèves, et cette année, huit semaines... pour le moment. Ce n’est pas de nouvelles lois ou réformes qui vont les dissuader de continuer leurs études, mais ces grèves répétées qui les empêchent d’acquérir les connaissances et de réussir leurs partiels. Pour ce qui concerne les moins fortunés (dont je pense faire partie), la « pillule » est d’autant plus difficile à avaler que ces mêmes enseignants revendicatifs, qui partageaient (manipulaient ???) les opinions des étudiants grévistes, ne ce sont pas mis en danger de leurs côtés ;ils ont continué à percevoir leurs salaires, n’étant pas déclaré grévistes (ce qui semble malhonnête, voire lâche...)
    Pour les étudiants, les Crous n’ont pas été gratuit, les R.U. non plus et le doute sur l’acquisition des partiels est important. Pire, pour les étudiants étrangers titulaires d’une bourse Erasmus, l’absence de cours dispensés entraînent le non-paiement de la bourse...
    On parle de précarité des enseignants, c’est dommage pour eux qu’ils ne se préoccupent pas de celle des étudiants qui ne seront pas tous enseignants...
    Je pense que le système de blocage des Universités tendra, à terme, à effectivement favoriser la fermetures de certaines filières et petites facs, sans qu’il y ai eu besoin qu’une réforme s’en charge. et donc par voie de conséquence à limiter le nombre d’enseignants (CQFD).


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