mardi 7 septembre 2010 - par vogelsong

La banlieue, objet apocalyptique de nos fantasmes

“Cette restauration de la sécurité, nous l’avons engagée sur tout le territoire national, y compris dans les cités qualifiées de “zones de non-droit”. En ces lieux, nous avons bousculé les habitudes les plus discutables, traqué les trafics, contesté la logique des rapports de force, dénoncé la culture de l’irrespect”- N. Sarkozy ministre de l’intérieur – 15 novembre 2005

Les banlieues ne manquent pas d’attentions. Ni des médias, ni des politiques. Pourtant, une situation inédite perdure. Une trentaine d’îlots enclavés du territoire français survivent en marge. Coupés du pays. À chaque soubresaut, on se lamente sur le manque d’ambitions, la désertion de l’état, les trafics en tous genres et la violence. Après le gros temps, les enquêtes sociojournalistiques vont en pèlerinage pour y découvrir les contrées vierges de civilisation et de progrès. Arte s’y est essayé récemment. Une émission sur le sexisme en banlieue avec en toile de fond le calvaire de Sohane. Un programme d’autant plus retentissant qu’il fut annulé pour cause de menaces. Plus que l’information par le documentaire, c’est la révélation des pratiques (en l’occurrence des pressions) dans ces territoires sauvages qui éclairent crûment le sujet. Le propos n’est pas de minimiser le machisme et la violence brute qui y sévissent, ces phénomènes sont une réalité effrayante. La question est plutôt de savoir pourquoi et comment les politiques ainsi que les médias, benoîtement, découvrent le pays, leur pays, à intervalles réguliers.

Les figures de l’angélico-laxiste et du pragmatique

On redécouvre aussi deux figures du débat à propos des banlieues. Le laxiste, le doux rêveur adepte de l’excuse, qui disculpe les malfrats, les petits caïds et autres crapules. Un profil de gauchiste intellectuel éloigné du réel qui calque les théories sociologiques livresques aux accidents du terrain. Pour cette figure quasi mythologique, la question des banlieues est exclusivement sociale. Juché sur son char débordant de victuailles, il prodigue gracieusement des subsides aux assistées vivotant dans les barres HLM. Car il s’agit bien d’un mythe. Personne aujourd’hui n’aborde la question des banlieues sous l’aspect exclusivement social. Personne non plus ne pratique l’excuse aux exactions commises dans les zones périurbaines. À part les “héros”inventés des discours de N. Sarkozy qui use de ces figures repoussoir pour étayer sa vision “pragmatique”. Une vision (sécuritaire) de ses “solutions” en banlieues. Car le pragmatique, seconde figure, est plus en vogue. Il a compris le besoin d’autorité, a décelé les caractères quasi génétiques des problèmes des quartiers. Mais il fait surtout comme si la misère économique ne comptait pas. Oblitérée par la question essentielle : être pauvre en toute tranquillité. Le Président de la République depuis son avènement (prise d’otage de la maternelle en 1993) ne représente que le symptôme de ce basculement sécuritaire. Une grande partie, voire la totalité de la sphère médiatico-politique lui a emboîté le pas. Un exemple, Marianne, réputé anti-sarkozyste. Quand M. Szafran dans sa supplique à S. Veil affirme que lui comme beaucoup (à Marianne) “pouvions approuver certains aspects de sa (N. Sarkozy) démarche sécuritaire”. Il oublie que N. Sarkozy c’est le sécuritaire. Sa carrière s’est construite sur ces bases. Et les pragmatiques y sont légion, une petite recherche sur le site de Marianne avec comme mot clef “banlieue”fait apparaître de belles manchettes vitupérant la victimisation et autres théories de l’excuse. Enfin, on se souviendra de N. Domenach soutenait E. Zemmour (encore un pragmatique) sur le principe, lors de ses légers débordements xénophobes. Mais l’exégèse sécuritaire minutieuse de Marianne constitue un sujet à part entière.

Misère économique normale

La banlieue est un monde à part hors de toutes limites de la République. Des zones de non-droits comme le relève L. Bronner dans son hallucinante plongée dans les ghettos français. Par non-droits il n’évoque pas seulement ce que les pragmatiques s’entêtent à restituer sur les plateaux TV, c’est-à-dire la sécurité caparaçonnée et lourdement armée. Il parle aussi et surtout des droits simples de tous les citoyens du territoire : l’accès à de vulgaires services publics en état de fonctionner, des transports réguliers, des zones d’activité pour travailler, en d’autres termes une vie sociale normale. Partie intégrante du territoire national donc soumis aux mêmes règles il semble que tous, au-delà des discours et des mines concernées, se satisfont de ce bannissement. De cet apartheid économique. À Aulnay-sous-Bois par exemple, le revenu annuel moyen dans le quartier des 3000 s’élève à 7 735 euros contre 13 185 euros dans la commune.

Le traitement au coup par coup démontre bien qu’il s’agit de zones spécifiques hors du champ des politiques publiques de redistribution. Pour sortir les adultes de la “glandouille” en paraphrasant F. Amara, on s’appuie sur les ressorts très sarkoziens du “mérite” et de l’inadéquation du marché de l’emploi. Le mérite car pour le Président, sa secrétaire d’État et une grande partie de son mouvement, l’inactivité est une convenance. Alors que les quartiers plafonnent à 40 % de taux de chômage, une bonne partie de ceux qui travaillent le font en intérim ou pour un SMIC et des cacahuètes. Inadéquation du marché du travail sous entend le manque de formation des habitants de banlieue conjugué à la mauvaise volonté des employeurs. Alors, on fait des plans (com). À titre de comparaison la ligne budgétaire du mirifique plan espoir banlieue (500 millions au total) destiné à la réussite éducative pèse un peu plus de 12 millions d’euros, le business de la drogue est estimé lui entre 1,7 et 2 milliards d’euros.

Une tournure d’esprit dans l’air du temps qui sonne le glas des politiques macroéconomiques destinées à modifier drastiquement l’espace social dans son ensemble. L’État se contente d’un saupoudrage ciblé suivi d’effet d’annonces. On tolère la pauvreté, la paupérisation, la misère à condition qu’elle soit calme. Le débat se réenclenche régulièrement. On ressort les mêmes discours, les mêmes mines concernées, les mêmes plans bancals. Il n’y a manifestement aucune volonté de modifier ce schéma qui ne fonctionne pas si mal (pour certains). On établit des piloris de béton, on y fait charger la maréchaussée quand la situation dégénère. Le débat se noue alors entre laxistes et pragmatiques. Les médias font du papier. À la fin des fins, la politique sécuritaire ratisse les suffrages.

 

Sources : “La loi du ghetto” - L. Bronner – Calmann-Lévy 2010



8 réactions


  • corinne 7 septembre 2010 15:23

    excellent, excellent article !! je vis dans un quartier : 22000 habitants, 22000 cas sociaux parkés dans du béton. Nous représentons 1/3 de la population de la ville, bien entendu, nous sommes les quartiers nord, éloignés des regards des « bien pensants »...90% de la population du quartier vit en dessous du seuil de pauvreté.

    comme le dit si bien l’auteur, le quotidien est toujours toujours galère : accès aux service publics, mauvais ou faux renseignements fournis, détournement de droits,( de nos pauvres droits dont tout le monde se fout, et tout le monde bafoue...)
    aucun espace vert, aucun lieu de rencontre, rien, rien, rien. Nous ne sommes qu’un fond de commerce pour les politques, syndicats, assos, chanteurs, documentaires (audimat) c scandaleux !
    Dans notre quartier, aucun politique n’y met jamais un pied. les assos, subventionnées par l’argent public ne servent strictement à rien et meme pire, nous désservent. 
    les responsables de ces associations se font d’excellents salaire.s..sur notre misère et obéissent au doigt et à l’oeil aux financeurs...Minables !!
    tout le monde parle à notre place, en disant absolument n’importe quoi. c une véritable mixité sociale qu’il faut mettre en place pour casser les ghettos, et cela relève d’un choix politique.
    nous ne sommes pas des citoyens à part, nous sommes des citoyens à par entière.

    • vogelsong vogelsong 7 septembre 2010 20:57

      Merci pour cette réponse. Je vous encourage à écrire et écrire encore sur ce que vous voyez et ressentez.


  • Annie 7 septembre 2010 15:36

    Excellent article et excellent commentaire de Corinne.


  • Aldebaran Aldebaran 7 septembre 2010 19:36

    Article un peu vide à mon avis, qui se contente de reproduire et calquer la subjectivité de son auteur et de ses mythes fondateurs à lui, dans les divers clivages, lesquels ne proposent rien d’autre qu’une redéfinition du paysage dans des clichés réducteurs, à l’aide d’un peuple sortant de son ghetto social en devenant plus riche. 


    • vogelsong vogelsong 7 septembre 2010 20:59

      Je vais aussi loin que me le permettent mes capacités intellectuelles et mon experience de 30 années en HLM...


  • Annie 7 septembre 2010 21:15

    Je trouve que Corinne avait raison dans son commentaire en préconisant la mixité sociale non pas comme une solution, mais plutôt comme un garant contre l’abandon des banlieues . A partir du moment où les transports publics ne desservent plus les banlieues, que la majorité des habitants ne votent pas ou ne sont pas politiquement actifs, il est possible de les ignorer, en croisant les doigts et en espérant que le couvercle de la cocotte ne sautera pas. L’objectif ne devrait pas être de sortir le peuple de son ghetto, mais de faire en sorte qu’aucun endroit ne devienne un no man’s land, un lieu d’exclusion, loin du regard, ce qui autorise toutes les affabulations. J’ai connu (de très loin) les Minguettes il y a 30 ans. Il s’agissait déjà d’un lieu d’exclusion, mais les habitants ne se plaignaient pas. C’est peut-être cela qui a changé.


    • Clojea CLOJEA 7 septembre 2010 21:33

      Bonsoir Annie : Juste pour les Minguettes, j’ai un neveu qui y a grandi, et c’était « chaud » comme quartier. Ne pas s’en plaindre relevait soit de l’inconscience, soit de l’abnégation. Au choix. 


  • Clojea CLOJEA 7 septembre 2010 21:31

    Bonsoir. Très bon article. Douloureux problême que celui des banlieues, qui ne se résoud pas, et pourtant cela devient urgent de le solutionner. Ayant vécu 17 ans dans une banlieue, j’ai ébauché une solution dans un article publié sur Agoravox il y a peu : « 1960-2010, 50 ans de banlieues, Atro-cités ou Mix-cités ? » 
    Les politiques font l’Autruche depuis toujours sur ce sujet. C’était bien pratique de parquer les gens pour soi disant résoudre un problême de logement dans les années 60, mais voilà, retour à l’envoyeur, avec force, à tel point que la classe politique a été très vite dépassée.


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