vendredi 25 novembre 2011 - par L’Oeil qui court

La Cafet et la rue, mes deux chez moi

660 personnes pourraient dormir dehors à Strasbourg cet hiver. En ce moment, il fait 0° la nuit.

D'après les informations du Collectif des SDF de Strasbourg, il y aurait dans cette ville 800 à 1000 personnes privées de leur droit au logement.

Il y aurait 340 place d'hébergement d'urgence ouvertes exclusivement à l'intention des familles et quelques rares places pour des femmes seules. Les jeunes femmes qui se sont à la rue à la suite de ruptures familiales qui les ont profondément meurtries, sont confrontées à l'obligation de se faire admettre et "protéger" par un ou plusieurs hommes. On se doute que cette protection a un prix.

660 personnes risquent de dormir à la rue, cet hiver à Strasbourg.

Si la température descendait en dessous de - 10°, la préfecture financerait des nuitées en hôtels (sordides). Dès la remontée des températures, le financement cessera.

La France va-t-elle battre son record des personnes mortes de froid dans la rue depuis la guerre ?

 

18h.

La Cafet sert ses premiers repas du soir.

Elle ouvre ses portes toute la journées aux jeunes de moins de 30 ans qui n'ont pas un hébergement stable. Ceux qui sont à la rue ou qui ont trouvé refuge chez des connaissances.

L'ambiance y est chaude, paisible.

 Soad apporte les échafaudages d'assiettes fumantes du dîner. Un bon arôme d'épices du soleil chatouille les narines. Lucien et Eric, les cuisiniers se relaient midi et soir pour préparer d'ingénieux repas variés et goûteux, à l'aide des mets mis à disposition par la banque alimentaire et des denrées achetées en complément. Ces deux-là aiment leur métier et les papilles leur en sont reconnaissantes.

Arrive Majid, un peu énervé. Je le regarde s'agiter avant de comprendre qu'il souhaite qu'un éducateur téléphone depuis le poste de la Cafet pendant qu'il appelle lui-même d'un portable. Les coups de téléphone ont l'air urgents et importants.

L'éducateur, rassurant et prévenant, essaie inlassablement de joindre un interlocuteur qui ne décroche pas. Majid chiffre lui-même sans fin un numéro sur son portable.

 

Un couple dîne avec ses chiens calmement couchés par terre. Une autre table est occupée par trois hommes et une jeune femme qui vient d'accéder à un logement. Une maman prend son dîner, son bébé couché dans un landau à côté d'elle. On est loin, ici, de la brutalité que ces personnes vivent au quotidien dans leur lutte pour la survie jusqu'au sein d'institutions sociales.

 

Majid s'adresse à moi. L'éducateur a dû s'absenter. Il me demande d'appeler le 115 avec le téléphone de la Cafet tandis qu'il essaie inlassablement sur son portable. Il est 18h30. Il n'a pas d'hébergement pour la nuit. Il prend appui sur mon regard. Je perçois une grande détresse chez lui. Un enfant grandi trop vite, sans filet de sécurité.

"Deux téléphones en même temps, pour avoir plus de chance." dit-il. Son angoisse est palpable.

" Au 115, ils donnent une heure où tu dois appeler. Tu essaies, tu recommences pendant une demi-heure. Quand t'as enfin quelqu'un, il te dit de rappeler une heure et demi plus tard. Comme ça plusieurs fois par jour. Ca sonne tout le temps occupé.

Là, à cette heure, si j'ai rien, je dors dehors.

Tu sais la température cette nuit ? ... 0°

La nuit quand il fait froid comme aujourd'hui, impossible de dormir. Je marche dans un sens, dans un autre, puis je recommence. Toute la nuit. Et le matin, y'a les démarches, les rendez-vous avec l'assistante sociale. On est complétement nase."

Et s'il n'avait pas de réponse ?

Je prends le téléphone et commence à chiffrer le 115 qui sonne occupé, occupé, occupé.

Son éducateur revient. Prend le relais. Majid souhaite aller fumer une cigarette dehors. Le propriétaire du portable est venu récupérer son téléphone. Il s'en va. Majid s'est fait voler le sien. L'éducateur continue à appeler.

Le téléphone répond ! L'éducateur fait patienter son interlocuteur. On se dépêche d'aller prévenir Majid qui entre en courant. Il obtient une place dans un dortoir de 20 personnes. Il sera au chaud cette nuit, mais n'est pas sûr de dormir. Cela dépendra des voisins. Et demain, il recommencera à appeler le 115.

Il vient de terminer une peine de 3 ans de prison. Personne ne l'attendait à sa sortie. Il a pour tout bagage un jeans, une tee-shirt et un blouson d'été. Une banane contenant ses papiers à sa ceinture.

 

Cet article raconte une scène réelle. Les noms des personnes ont été changés.



9 réactions


  • jaja jaja 25 novembre 2011 10:10

    Dans la région parisienne ce n’est pas mieux ! Avoir le 115 au téléphone relève de l’exploit et de plus toutes les places sont souvent prises. De plus aller au CHAPSA de Nanterre est refusé par la majorité des gens à la rue qui préfèrent rester dehors tant ce centre inspire la terreur à beaucoup...

    Il va falloir aider les associations de squatters comme Jeudi Noir et d’autres à occuper les bâtiments vides tant il est inacceptable de laisser les gens à la rue.....


  • Surya Surya 25 novembre 2011 13:51

    Pourquoi les hotels ne sont-ils financés que si la température descend au dessous de -10 ?
    Tout ça me fait penser à cette stupide loi Carrez qui, si elle a de bons cotés, interdit par contre de louer un logement (une chambre de service en l’occurence) si sa superficie carrez est inférieure à 9 m2. Pourtant, 7 m2, ou même 6 m2 habitables, c’est mieux que la rue et le froid glacial, non ?
    Il y a plein de gens à la rue et on interdit de louer des chambrettes (et il y en a plein, des chambrettes de moins de 9 m2 carrez à Paris) qui restent vides ou servent juste de débarras pour y mettre quelques affaires. Je suis sûre que les propriétaires de ces très petites surfaces, dans lesquelles il y a la place pour un lit, une petite table basse... seraient ravis de les louer aux services sociaux (loyer garanti, donc) afin de permettre à des gens sans abri de survivre.


    • jaja jaja 25 novembre 2011 14:06

      Le pire pour les gens en difficulté c’est que la CAF si elle se rend compte que ces chambres font moins de 9m2 (souvent le cas dans les hôtels miteux) suspend le paiement de l’APL ce qui fait que le ou la malheureuse locataire est alors obligé(e) de partir à la recherche d’un nouveau toit et souvent ce n’est pas gagné...


    • foufouille foufouille 25 novembre 2011 15:45

      ca se loue au noir
      comme les caves


    • Surya Surya 25 novembre 2011 16:34

      Les locations au noir, c’est non seulement la porte ouverte à tous les abus de la part des propriétaires et autres marchands de sommeil, loyer exhorbitant pour un truc miteux entre autres, mais en plus ca risque donc de pénaliser le locataire puisque son aide au logement risque de lui être supprimée (comme si c’était de sa faute ! -merci jaja de l’info, je ne savais pas) et pour finir c’est à la personne en situation précaire de payer cette chambre ou pire cette cave.

      Je crois que si les propriétaires de ces chambres de moins de 9 m2 carrez, au lieu d’être purement et simplement interdits de location, étaient autorisés à les louer aux services sociaux (ce qui j’imagine leur reviendrait moins cher au mois que de financer des chambres d’hôtel) avec des avantages comme par exemple pas, ou très peu, d’impôts à payer sur les revenus générés par ce type de locations, ca aiderait peut être à résoudre le problème. Je pense que ça vaudrait la peine d’essayer.


    • jaja jaja 25 novembre 2011 18:17

      Je connais des cas de retrait de l’APL dans le 92 pour des allocataires qui de plus sont logés dans des Hôtels qui sont sur les listes des hôtels décrétés insalubres par la Préfecture et où théoriquement les services sociaux et les CCAS ne devraient diriger personne.

      Je sais que beaucoup d’employés et même de contrôleurs de la CAF font preuve de souplesses mais ce n’est pas le cas partout....


    • jaja jaja 25 novembre 2011 18:24

      De Plus la Mie de Pain est une grosse « usine » et ses AS ont du poids vis à vis des contrôleurs de la CAF ce n’est pas le cas pour les petites structures surtout si elles ont été en conflit avec la CAF...


  • gaspadyn gaspadyin 25 novembre 2011 15:35

    Respect et hommage à tous ceux qui aident les démunis de tout.

    Ca change des politicards.

    Et de cette prétendue union européenne qui dépense des milliards par centaines pour rien.


  • Richard Schneider Richard Schneider 25 novembre 2011 17:01

    @ à l’auteur :

    Vous avez raison de sensibiliser l’opinion publique à toute cette détresse. Notre capitale alsacienne, si belle en ces temps de Noël, compte elle aussi son lot de miséreux et de désespérés.
    Les services-sociaux font ce qu’ils peuvent, mais n’arrivent pas à soulager un tant soit peu toute la misère qui grouille le soir dans le quartier de la gare et de l’ancienne maison de correction (Ste-Marguerite, aujourd’hui ENA).
    Ce qui est le plus déplorable, c’est que l’horizon est bouché : la pauvreté, même en Alsace - région « riche » -, progresse.
    Pour finir, rendons hommage à toutes ces associations qui essaient de faire face avec des moyens qui sont de plus en plus maigres.




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