lundi 19 juillet 2010 - par
La Chose, le symbolisme et la destruction du sens
Le Féminin comme état transitoire vers le neutre : l’hystérocratie
Nous avons abandonné un rapport orphique, pour un rapport prométhéen "féministe" qui ne manque pas de nous interroger dans le contexte consumériste globalisé et généralisé dans lequel nous baignons... Certains qui comparent le vivant à une équation paramétrique, oublient qu’il est impossible de manier de pareilles équations lorsque les paramètres sont trop nombreux et qu’il en est de même des variables. Sommes-nous sûrs que les mathématiques suffisent pour aborder le vivant ? Le monde du vivant est le domaine du fractal plus connu sous le nom de chao. Comme le climat, il est imprévisible dans le temps. Le bon sens qui pourrait nous sauver, est mis, trop souvent en déroute, même où il est nécessaire et vital. Le discussionisme, comme un bavardage incessant, se généralise et se déploie à l’infini à la façon des équations chaotiques, tandis que les rapports individuels, de plus en plus terre à terre, manquent cruellement de loyauté et d’éthique. La société manque totalement d’altérité, et la liberté de la volonté a eu raison de son autonomie. Le contrat social est une coquille vide, il lui manque une parole solide. Les normes européennes ont remplacé les normes culturelles nationales qui avaient au moins le mérite de s’être construites dans une dialectique symbolique, avec du sens et du signifiant. Globalement on a jeté le bébé avec l’eau du bain. Tout doit être cartésien, du moins dans l’apparence, et répondre aux lois des économies d’échelle, à celles des marchés et en particulier aux lois redoutables de la finance. L’idéal nous fait défaut, et tout se doit d’être politiquement correct, même si la politique n’est pas correcte, comme nous le découvrons parfois avec effarement. On ne nous dit pas tout !
Avons-nous complètement changé de société ? Si oui, quelles sont les caractéristiques de la société dans laquelle nous baignons ? Certaines formes de pensées traditionnelles répugnent, et quelques penseurs plus théoriciens et politiques que philosophes ou psychanalystes, ont entrepris de déboulonner Freud, pour mieux verrouiller le tout, et empêcher des analyses qui auraient au moins le mérite d’ouvrir des voies de recherche.
Je vais braver les répugnances…
Nous sommes passés au post humanisme ou au trans humanisme, avec le quasi monopole qui est accordé à la technique et aux machines. L’homme, lui-même, est traité comme une machine et se doit d’être amélioré et perfectionné. Le corps est devenu l’unique centre d’intérêt. Et l’on peut ironiser en disant que tout se résume trop souvent à de la « cosmétique ». Nous ne sommes plus dans le bonheur de l’Etre mais dans le « bonheurisme » de l’avoir. Le genre est obsolète, c’est vrai que la sexualité et le genre sont liés à la mort, que tout le monde essaie d’oublier. Eros se balade tout seul, en ayant étouffé Thanatos, du moins le croit-il ! Le sexe est devenu un point d’acuponcture. Les maîtres mots sont « être bien dans sa peau » et la philosophie se résume à « profiter », mot terrible étymologiquement puisqu’il est aussi la source de toutes les injustices. Profiter, est dans toutes les bouches, et il dégouline des comportements de masses où tout le monde profite, sauf quand l’envie devient plus forte que le pouvoir d’achat et qu’il grippe la machine. Les affamés de toutes les famines présentes, passées et à venir, se régaleraient dans nos poubelles. Le but est « l’épanouissement », dont la meilleure représentation symbolique est celui de la fleur et singulièrement de la maturité, étape généralement finale. Nous avons quitté une société régie par des valeurs rigides et exigeantes, basées principalement sur la vertu, pour une société dont les valeurs plus commerciales sont molles et floues, et servent toujours le marché ou vont du moins toujours dans son sens. Nous avons glissé doucement vers une société transitoire, dont la tendance est au neutre de la chose. A ce stade un bref brossage ironique de la phallocratie est nécessaire.
La phallocratie, dans sa logique unique et non contradictoire, a proposé plus qu’imposé aux femmes d’être dominées sur le modèle sexuel, dans une comédie qui n’a jamais trompé que les plus sots et qui avait au moins le mérite d’exister. La parade amoureuse du Dindon est à classer de la sorte, bien qu’elle cache des lois, toutes nécessaires à cette espèce. Comme le théâtre classique et la parade du dindon, la phallocratie avait ses règles d’action, d’unité et de temps.
Cette domination apparente du genre masculin, calquée d’ailleurs sur l’éthologie, fut adoucie dans l’espèce humaine par la galanterie, qui donna à la femme une supériorité de fait, garantie par la symbolique de la galanterie. Cette supériorité féminine de fait, bien réelle, se vérifie dans l’histoire et dans les vieux couples où la femme finit toujours par dominer à l’heure du bilan.
L’Hystérocratie, car c’est bien là mon hypothèse (…), comme organisation sociale transitoire vers le neutre de l’objet, porte en elle une contradiction, dans la mesure où les hommes, sexuellement dominants en tant que pénétrants, sont en réalité dominés et discrédités, sans ménagement, ni échappatoire possible. Ils sont à leur tour pénétrés de la marchandise jusqu’à devenir, en caricaturant un peu, impuissants. Aucun passage à l’état d’adulte n’est possible, encore moins à l’état de père. C’est le règne de l’Avoir dans une tragédie, sans règle du jeu, dont l’avenir se dessine à l’infini comme un point de fuite au raz de l’horizon. En effet l’homme, en l’absence de repères symboliques, ne peut plus s’affirmer sur le modèle sexuel et reste l’enfant de sa mère, puis de sa femme ; il en résulte une infantilisation de la société, avec un consommateur infantilisé toujours en quête de nouveautés. Cette situation est optimale pour la consommation, qui se structure effectivement sur la gestion et la rentabilité, c’est à dire dans la fonction "nourricière". La femme, depuis la nuit des temps, comme beaucoup de femelles des autres espèces, nourrit avec le lait et gère l’enfant et le foyer. Elle a une aptitude naturelle à produire, à nourrir et à gérer. Derrière le mot « épanouissement »se cache la satisfaction des besoins, la satiété et l’absence de frustration, apparente ou savamment entretenue. Le masculin devient alors synonyme d’antisocial, de violent, de négatif, de brouillon, de rêveur et parfois même de couillon (le couillon de service, thème qui revient maintenant souvent dans la publicité). La critique de la violence se limite à la violence physique et on ignore la violence verbale qui est tout aussi redoutable et plus typée dans le genre. Les résultats scolaires des garçons, de plus en plus mauvais par rapport aux filles, sont en train de confirmer le diagnostic ! Une mécanique d’engrenages aux dents d’acier est en train de broyer le masculin et cela commence dès le plus jeune âge à l’école... Aucun questionnement digne de ce nom ne se met en place. Aucune critique n’est possible. Il semble qu’il n’y ait aucune alternative.
Alors on peut penser pour se consoler qu’il n’y a plus de problème. Les options féminines ont toujours fini par avoir le dessus : maintenant c’est officiel !
L’absence supposée de problème n’est pas si simple.
Pour passer au neutre et à la victoire définitive de la chose, il faut dans un premier temps, rejeter le genre. L’absence de genre débouche effectivement sur le neutre de l’objet et du Robot. Ce dernier qui est appelé à avoir une place centrale, ne se reproduit pas de façon sexuée et peut donc ignorer le genre…Cependant première objection, en ce qui concerne l’espèce humaine, le mâle et la femelle, même si égaux en tant que personne, ne se mesurent pas à l’aune de la similitude, mais à celle de la complémentarité. C’est une subtilité profonde du genre. Il s’est produit un glissement de l’égalité, idéal de justice, vers une pseudo similitude à la façon du neutre qui sera difficilement symbolisable, en dehors des caractéristiques du neutre, porteuses de significations dangereuses parce qu’elles abandonnent l’Etre pour l’Avoir et se résume finalement à posséder. Comment posséder la chose ? Cette question ramènerait à l’Etre mais ce n’est pas la préoccupation du marché, puisque la réponse est simple : elle se résume à l’argent ! De cette absence de fondement, résulte une "culture" de gestion, de finance et de consommation uniquement, basée effectivement sur l’Avoir et qui manque complètement d’idéal et d’altérité, c’est-à-dire d’Etre. Ce manque d’idéal et d’Etre, est plus préjudiciable à la gent masculine, à qui ils sont singulièrement plus nécessaires. Alors on pourrait penser que l’on puisse avoir, en retour, des philosophes, des poètes, des écrivains et des musiciens. Ce n’est pas le cas, car le "fil de l’Etre" est cassé. L’altérité se situe dans le développement de l’Etre, au stade de la sublimation qui marque le passage à l’altérité. La question est de savoir pourquoi, nous nous enfonçons dans l’Avoir, comme un aller sans retour dans la Matrice (cocoon) dans un contexte d’infantilisation généralisée.
On pourrait penser qu’il n’y a plus besoin d’idéal... Produire et gérer suffisent ! Les gens veulent consommer, un point c’est tout !
Une vision se limitant à la Chose, ne peut plus solutionner les problèmes que la suprématie de la Chose provoque dans l’Etre. Un déficit de l’Etre ne se compense pas véritablement par l’Avoir…à moins effectivement d’élever en totem le marché au centre de la société, comme médicament avec addiction, pour tous les handicapés de l’Etre.
La contingence du vivant, qui prend d’ailleurs dans l’immense majorité des cas, la forme du Mâle et de la Femelle, ne relève pas de la logique cartésienne des choses. C’est probablement là que les mouvements rationalistes les plus durs font erreur. Que vaut une raison nue, au sens et au signifiant lisse, trop ancrée dans l’actuel et la contingence, face au besoin de sens et de signifiants comme la richesse de l’histoire de l’humanité nous en a donné à travers ses mythes et ses récits fondateurs ? Pour beaucoup, peu importe, il faut jeter le bébé avec l’eau du bain et la bassine. Peut-on encore parler de rationalisme, lorsque l’on fait table rase et que l’on coupe les racines du sens ? Un égalitarisme trop rationnel et cartésien, appliqué au genre aboutit sur un androgyne, comme machine ou chose qui pourrait se repiquer ou se répliquer. Comment se fait-il que la nature ait choisi cette forme de voie pour les escargots et les limaces, et pas pour les êtres humains ? Peut-on bousculer ces ancrages pour des libertés consuméristes, dans une suprématie absolue de l’égo et du corps, totalement investis par le marché ? Le fond du problème est là. Le social qui reste un souci apparent de notre société sera tôt ou tard mis à mal !
Peut-on s’éloigner indéfiniment des lois choisies par la nature qui sont naturellement porteuses de sens et de symbole, au nom d’une raison plus cartésienne que la nature elle-même. Raisonner dans l’abstrait et l’universalisme suppose un bon niveau intellectuel. Quid de ceux qui ne l’ont pas, c’est-à-dire la grande majorité ?
C’est pourtant la voie choisie par la société post moderne. Mais ce qui est grave, c’est que ces choix nous sont imposés par le marché, comme lieu privilégié de la rationalité humaine. La société de consommation a débarrassé la table jetant nappe, couverts et gastronomie pour son menu fast food du Marché qui gère la marchandise et le consommateur. Les modes de vie, produits eux-mêmes par la consommation, sont ainsi imposés par l’économie, les marchés et la rentabilité ; son modèle de consommateur optimal est effectivement un androgyne chosifié. Les équilibres entre l’Animus" et "l’Anima" sont rompus par nécessité marchande, et les re-pères symboliques « mâle femelle », " Homme Femme" " Père Mère", qui s’étaient construits difficilement durant la longue histoire de l’humanité, ont disparu. Les hommes et les femmes sont amputés de leurs appendices spécifiques, devenus un handicap à la consommation. On nous prépare une prothèse valable pour tous, en vente dans tous les hyper- marchés. Ce qui par le sens pourrait éloigner de la consommation est amputé. Le marché ne tolère que ce qui lui sert. Le déterminisme social engendré par le marché, semble échapper à certains, qui veulent ignorer que le marché sonde sans arrêt nos désirs pour mieux les canaliser et les exploiter. Sur le moyen terme, le marché nous entraine toujours là où il veut aller, c’est-à-dire son profit maximum !
On oublie que l’hominisation est né du symbole et que le langage est né de la capacité spécifiquement humaine à symboliser et à donner du sens et de l’Etre à la vie. C’est le symbole qui crée le signe, la signification, le sens et l’Etre. La dualité du Mâle et de la Femelle, est à la base comme socle de l’édifice symbolique du sens. Ceci n’est pas très cartésien, ni rationnel, c’est pourtant bien réel. Aucune civilisation n’a pu s’en dispenser.
Le passage du Mâle et de la Femelle, au Père et à la Mère, repose sur une dialectique symbolique délicate. C’est de cette valeur symbolique et de son équilibre fragile dans le rapport des sexes que nait le sens Social. Quelle peut- être la portée du passage à la « chose » et au neutre, dans l’abstrait d’un idéologisme marchand et sans symbolisation possible autre que celles offertes et triées par le marché…On constate effectivement que le sens social de l’Etre s’érode pour un sens économique totalitaire des choses. C’est une défaite et une déroute pour les rationalistes et les cartésiens dont le pouvoir réel et vrai règne surtout sur les équations et les calculs de l’économie et de la production. On est loin de la mystification qu’ils représentent généralement !
Il n’y a pas de civilisation sans Père, c’est du moins ce que nous a révélé l’histoire. Il n’y a pas de Père sans homme ni femme. Cette constatation, peu originale, a le mérite d’être stable et d’avoir été un choix universel ou un sens universellement admis. Le nier revient à renverser toute la symbolique sociale, pour s’aventurer dans des chemins nouveaux dont la destination est inconnue des promoteurs eux-mêmes.
L’appareil productif, Chose par excellence, est devenu la Mère nourricière et la Femme pourvoyeuse de tous les désirs. Il y a donc la perspective d’une nouvelle fusion avec le monde des choses comme la fusion originelle avec la mère. Le marché est créateur de tous les fantasmes à condition que ces fantasmes soient marchands. Le marché se pare et se maquille comme une péripatéticienne dans son offre. Il adore par-dessus tout le discussionisme qui lui assure la promotion en lui épargnant toute réflexion approfondie. Il n’y a plus rien pour contrebalancer la domination absolue du marché. Cette nouvelle domination va-telle remplacer le Père ? Quel progrès et quelle avancée ! Quelle perte aussi au niveau du sens ! La publicité et sa symbolique de pacotille vont-telles devenir le langage sociale et le support des représentations symboliques, imposant les comportements de masse utiles au marché et l’abandon des conduites individuelles ?
Cette construction est probablement illusoire et instable. L’éco système dont on sait ce qu’il advient lorsque le subtil équilibre est rompu, n’est pas seulement physique et matériel... Au niveau de l’écologie le bateau prend l’eau déjà de toute part.
On peut craindre le pire à court terme. Ce qui se passe, actuellement, en Occident, a été redouté de tous les temps. Peut-on ignorer tous les récits et tous les mythes fondateurs de l’humanité ? Agir de la sorte ne révèle-t-il pas une prétention inquiétante de la pensée économique dominante, érigée en pouvoir absolu, et pernicieusement normative de tous les comportements, et qui impose le cartésianisme et le rationalisme de la chose, même au vivant qui lui échappe ! Certains pourfendeurs impitoyables de Dieu, après l’avoir tué, se comportent maintenant comme des Dieux, mais contrairement à son silence légendaire, on entend qu’eux, portes parole inconscients du marché qui commence à révéler toutes ses bassesses. La globalisation économique, financière et culturelle commence à montrer ses dents sales. Nous sommes enfermés dans un économisme qui balance entre le mercantilisme et l’utopie. Les envolées utopiques ont souvent, comme péché originel, une logique cartésienne qui les fait voler trop haut. C’est ainsi que la science alimente un imaginaire de science fiction. Bien des choix modernes flirtent avec ces utopies. Elles sont secrétées par le marché et sont entièrement à son service. Leurs pouvoirs destructeur est complètement sous estimé !
La publicité imposera-t-elle un symbolisme marchand de pacotille, dans la sécularisation et la spectacularisation générale d’une société, ravalée aux pulsions compulsives de l’envie et de l’émotion de l’instant ?
Il faudrait, maintenant, conceptualiser notre société, dans des analyses plus fines. Le concept transitoire et significatif d’Hystérocratie, même s’il n’est pas complètement exact, pas plus que ne l’était d’ailleurs celui de Phallocratie, est une hypothèse intéressante, dont on peut, au moins dire sans se tromper, qu’elle va embarrasser plus d’un, en dehors de ceux qui hurleront avec les loups. Les éléments de l’analyse se trouvent, effectivement, chez Freud et Lacan ! Les libertés dont nous « profitons » ne sont pas imputables à la pensée cartésienne et rationaliste, ce qui leurs donnerait une légitimité valorisante dont certains se gaussent. Les libertés dont nous profitons sont étroitement liées à une certaine prospérité économique, mais aussi aux lois cartésiennes du marché, par ailleurs impitoyables, et dont tout le monde s’accorde à reconnaître les dysfonctionnements et le caractère délétère. Le paradis peut très vite se transformer en enfer. Voilà qui commence à effrayer les plus avertis tandis que d’autres tentent, subitement et précipitamment dans la hâte, de déboulonner Freud et de jeter, à leur tour, le bébé avec l’eau du bain... Pourquoi selon vous ? Qu’est ce qui lave plus blanc que l’homo sapiens ? L’homo économicus… Attention que tous ces lavages ne fassent disparaître les couleurs !
Eric de Trévarez