Des professeurs du collège Hubertine
Auclert de Toulouse ont écrit une « lettre ouverte » glaçante :
Lettre ouverte
Notre jeune collègue de mathématiques a mis fin à ses jours
mercredi 27 janvier 2016. Il avait 27 ans et commençait tout juste
dans le métier. Vincent était professeur stagiaire en
mathématiques, tout comme Anne-Marie, comme Alice en français, ou
Ana et Georges en anglais. L’équipe enseignante avait pourtant
demandé au Rectorat, en juin dernier, de ne plus affecter de
stagiaires dans notre collège. Personne ne peut ignorer les
conditions difficiles dans lesquelles nous exerçons notre métier :
insultes, incivilités, coups portés sur les adultes, dégradations
des locaux, déclenchements incessants de l’alarme incendie, violence
dans la cour, en classe ou devant le collège, harcèlements
conduisant certains élèves à des absences répétées voire à des
départs de notre établissement.
Il se tient dans le collège plus de 15 conseils de discipline
par an, et tout autant ne sont pas tenus pour faire baisser les
chiffres... Il faut regarder les choses en face.
En quatre ans nous avons obtenu la création d’un poste
supplémentaire de CPE. Or depuis notre dernière audience au
rectorat en 2014, la situation, déjà préoccupante à l’époque,
s’est fortement aggravée. L’Équipe Mobile de Sécurité a fait acte
de présence de temps à autre, en simple observateur dont nous
n’avons jamais lu les conclusions. Rien de plus. Aucun label ZEP,
REP, Eclair ou autre, qui permettrait d’alléger les effectifs en
classe, d’apporter des réponses à la violence et aux difficultés
des élèves. On nous dit que le label fait peur, qu’il risque de
pousser certains élèves vers le privé, de faire disparaître pour
de bon la mixité sociale. Dans les faits, de nombreux élèves de
CM2 évitent notre collège et partent dans le privé. D’autres le
quittent en cours d’année, excédés, effrayés par le comportement
des camarades et l’absence, de la part de l’institution, de réponse
rassurante et de nature proprement éducative. Les professeurs
stagiaires, l’an dernier, ont démissionné : celui de mathématiques
en décembre 2014 puis celle de français en janvier 2015. Personne
ne s’en est ému.
En septembre dernier, ils étaient cinq stagiaires, emplis
d’espoir et d’appréhension à la fois, mais la foi a vite cédé la
place au désenchantement et à l’angoisse la plus profonde. La
réalité du terrain est cruelle : confrontation permanente au bruit
et à l’indiscipline, difficulté voire impossibilité de faire
cours, furie des élèves dans les couloirs, dans la cour de
récréation ou au réfectoire, violence verbale et physique à
l’encontre des adultes ou des élèves eux-mêmes, mépris affiché
de l’autorité.
Les rapports s’amoncellent, symptôme de l’impasse dans
laquelle l’institution se trouve. Au final, quelle solitude pour
chacun lorsqu’il se retrouve seul dans sa salle de classe ! Quelle
absence de reconnaissance de la part de notre hiérarchie, nous
renvoyant sans cesse à notre responsabilité individuelle, remettant
en cause nos compétences, nous rappelant que nous sommes « des
professionnels et non des personnes » alors même qu’on nous somme
d’incarner « la bienveillance » en toute situation ! On nous punit
même comme des enfants ! On nous interdit même, dans une telle
situation, l’exercice de notre droit de retrait !
Le soutien apporté par le collège n’aura pas suffi à aider
Vincent. Aujourd’hui nous crions notre colère et notre désespoir.
Quelle réponse nous est faite ? Le secrétaire général adjoint de
l’académie, M. Jean-Jacques Vial, a témoigné dans la presse
locale, il considère que lier ce suicide à nos conditions de
travail relève d’un « raccourci un peu grossier ».
L’article qualifie le collège Hubertine Auclert (affublé d’une
belle faute d’orthographe) d’« établissement pas connu pour
être compliqué ». Quel mépris pour notre métier et le travail
accompli ! Quelle méconnaissance de la situation de notre
établissement, alors même que le Rectorat est en possession de
l’état des lieux déplorable dressé en 2014 ! Par ailleurs on nous
propose un soutien psychologique individuel, là où nous dénonçons
un dysfonctionnement institutionnel.
Le jour de ses obsèques, nous avons appris que Vincent était
malade : son dossier médical n’était pas un secret pour
l’institution. En toute connaissance de cause, il n’aurait jamais dû
être envoyé dans notre collège. Le métier d’enseignant
requiert une solidité certaine. Mais à l’heure où il faut
absolument mettre des adultes dans les classes, on fait peu de cas de
la santé mentale de chacun. Professeurs stagiaires, contractuels ou
titulaires sont placés çà et là, qu’ils connaissent, ou pas, la
réalité du terrain, qu’ils soient préparés, ou pas, à vivre les
situations les plus déstabilisantes, qu’ils aient les épaules, ou
pas, pour esquiver les coups.
Une fois la porte de la classe fermée, les souffrances sont
étouffées : on nous demande coûte que coûte de garder tous les
élèves en classe, y compris ceux qui nous insultent et qui
empêchent le cours de se dérouler. Et même si les souffrances
parviennent jusqu’en salle des professeurs, muselées, elles ne
passent pas la porte de l’établissement. Les enseignants souffrent
en silence. Nos ministres nous imposent sans cesse de nouvelles
réformes, comme des réponses à tous les maux. Nos pratiques
pédagogiques ne sont jamais les bonnes, nous sommes, dit-on,
responsables de ce qui nous arrive...
En tout cas, nous nous sentons collectivement responsables du
décès de notre collègue. Personne n’a su préserver son intégrité
physique et morale ; personne, surtout pas le grand appareil de
l’État.
Combien de Vincent faudra-t-il pour qu’on entende enfin la
douleur des enseignants ?
Un collectif de professeurs du collège Hubertine Auclert
de Toulouse, le 1er février 2016.
http://www.politis.fr/articles/2016/02/de-la-misere-en-milieu-enseignant-34064/