La Martinique installée dans la grève générale
J’ai déjà publié sur AgoraVox une partie de la chronique que je tiens sur les évènements en Martinique et aux Antilles. Vous aurez compris que je suis grèviste comme 99% de la population martiniquaise...Je me permets de vous en faire parvenir la suite.
Martinique, dimanche 22 février.18e jour de grève générale.
Pénurie.
J’ai réussi à acheter des courgettes, rares d’habitude, un chou chinois au marché. Ma fille,elle, s’est s’introduite, malgré la ruée, dans un supermarché avec un sac à dos, par la petite porte qu’ouvrait discrètement le gérant. Elle a ramené des steaks hachés et des ailes de dinde surgelés. Bravo ma fille !
Demain les négociations reprennent à la Préfecture de Fort de France.
La stratégie en question ?
La plupart des gens sont décidés à continuer jusqu’au bout. Des défections cependant : celles des petits patrons dont certains sont déjà ruinés. Ne fait-on pas le jeu des békés qui n’attendent que ces faillites pour reprendre la main, occuper le marché ? C’est l’argument du ministre Patrick KHARAM. C’est aussi, remarquons-le, un des arguments récurrents des capitalistes pour faire cesser une grève.
Je pense néanmoins qu’un problème stratégique se pose. Comment mieux cibler, attaquer les intérêts des vrais capitalistes ? Difficile…
Un réseau social
De nombreux petits travailleurs indépendants sont syndiqué dans une fédération rattachée à la CDMT. On peut imaginer une synergie et une réorganisation de la production en fonction des besoins réels sans avoir l’objectif du profit et de l’exploitation du consommateur.
Un « Réseau Social » tente de se mettre sur pied pour mettre justement des « demandeurs » avec des « offreurs »via internet. L’animateur de ce réseau est passé très vite sur ATV et je n’ai pas eu le temps de prendre en note ses coordonnées.
Le meeting du Grand Carbet
Ce n’était qu’un grand meetings parmi ceux qui s’étaient déjà déroulés ces derniers jours. Nombreux ont été les intervenants, dont Olivier BESANCENOT. Je n’évoquerai que ce qui m’a le plus intéressé.
Tout d’abord la représentante de l’Union des Femmes de la Martinique a rappelé le rôle des femmes dans le mouvement de grève, leur émancipation qui s’affirme, les difficultés financières et les souffrances qu’elles doivent souvent affronter au quotidien.
Des représentants du LKP de Guadeloupe étaient présents. L’un d’eux a rappelé les circonstances qui ont provoqué les violences. En tant que syndicaliste il avait du faire face à l’attaque de gardes mobiles non loin de l’endroit où a été tué Binot. Le service d’ordre syndicaliste s’est alors replié en bon ordre, en tentant de protéger tous ceux qui se trouvaient là et qui risquaient les agressions des forces de l’ordre. 284 membres du RAID venaient en effet d’arriver. L’orateur a lui-même été victime des coups de ceux-ci et n’a du son salut qu’à une femme à ses côtés qui s’est mise à hurler et qui a détourné l’attention de son agresseur. Il aurait été aussi impressionné par une habitant du lieu s’écriant qu’il allait chercher son fusil. Des jeunes motorisés ont assisté à ce tabassage ponctué d’insultes racistes. Portant aide aux victimes ils jurèrent ensuite vengeance pour ces exactions. La Guadeloupe se retrouva couverte de barrages routiers. L’harcèlement des forces de l’ordre avec des armes à feu commençait.
Philippe PIERRE-CHARLES de la CDMT pris ensuite la parole pour appeler à la reprise en main de tous les leviers de l’économie, notamment la grande distribution, par les salariés eux-mêmes. Il rappela la nature internationaliste du combat contre la société capitaliste.
Aparté
Au passage, notons bien que personne n’évoque ici la question identitaire ou statutaire. Elle existe sans doute mais c’est surtout à une liste de revendications précises et argumentées qui pourraient être celles de métropolitains que l’on se réfère avant tout. C’est un fantasme de métro orchestré par les grands médias français.
En Guadeloupe, comme en Martinique, il ya une cohésion totale et aucune divsion ni énervement sur quelque sujet que ce soit. L’Etat français, c’est vrai table sur ce genre de division, essaie de les provoquer, relayé par les grands médias. Mais ils n’ont là rien à se mettre sous la dent !
Ce qu’ils ne peuvent comprendre c’est qu’il s’agit là d’un véritable élan révolutionnaire. Enfin à voir la vision "sélective" que rend de ce mouvement les grands médias métropolitains, on comprend que certains ont surtout peur de la contagion sociale.
Olivier BESANCENOT
Olivier BESANCENOT parla en dernier. Il se déclara impressionné par le caractère unitaire du mouvement en Martinique et enGuadeloupe alors qu’en métropole chacun resterait trop dans sa petite chapelle. Il évoqua la crise qui frappe le capitalisme tout entier, et non pas le seule capitalisme financier que l’on opposerait ainsi au capitalisme industriel prétendument plus vertueux. Lui aussi rappela qu’à la crise internationale répondait à présent des luttes dans nombre de pays. Et, selon lui « la peur est à présent dans l’autre camp », celui des capitalistes en désarroi.
Le meeting se termina bien sûr avec l’Internationale et des milliers de poings levés. Impressionnant.
Un vent d’Amérique ?
Bien sûr il y a Obama.
Mais on oublie souvent de considérer tous les mouvements sociaux d’Amérique Latine, du Vénézuela de Chavez à la Bolivie de Morales, des populations de l’Equateur se réorganisant sur des bases autogestionnaires, du mouvement de gestion directe en Argentine. Y a-t-il eu là une influence sur ce qui se passe aujourd’hui aux Antilles ? Des Antillais étaient bien sûr au tout dernier forum social de Bélem.
Martinique. Lundi 23 février. 18e jour de grève générale.
La nuit dernière j’ai fait un rêve étrange.
Enfin plutôt un cauchemar.
Un CRS m’a demandé qui j’aimais. J’ai été pris d’une terrible panique et j’ai crié, lâchement, en m’enfuyant sur le boulevard du Général De Gaulle, « Vive Sarkozy ! ». Les gens me regardaient un peu surpris. Une ambulance est finalement arrivée et des gros bras en sont sortis pour me mettre une camisole et m’emmener. Le pire c’est qu’un CRS - le même que précédemment ? - est arrivé lui aussi pour me frapper. « Il est complètement fou, vous voyez bien ! » hurlait-il.
Là je me suis réveillé tout en sueur, mon chat sur le ventre, qui me regardait.
Tout va bien. La grève continue. Ouf.
Les négociations sont restées inachevées en Guadeloupe car ce soir, un accord sur les 200 euros étant sur le point d’être signé, le Préfet a finalement trouvé la note trop salée. Le LPK dans un meeting improvisé a immédiatement appelé à la continuité de la grève. Pa molli. J’ai quand même l’impression qu’ils tiennent le bon bout.
A Fort de France les négociations ont été presque immédiatement rompues après que la partie patronale ait demandé comme préalable à toute avancée, la fin de la grève. Ce qui a provoqué des quolibets et le départ immédiat des membres du Collectif.
Des supermarchés ayant tenté de rouvrir, des piquets de grève, constitués de volontaires, ont été immédiatement envoyés. Beaucoup de ces piquets campent sur place nuit et jour. Et des habitantes du quartier leur portent régulièrement des repas.
Michel MONROSE a rappelé plus tard dans un point presse, le caractère incessible des revendications du Collectif du 5 février. Toutes les revendications doivent avoir été satisfaites avant que l’on envisage la fin de la grève. Néanmoins les négociations reprennent demain.
A l’aide de listes du CCAS, des bénévoles passent dans certains quartiers pour distribuer de la nourriture aux plus démunis, aux personnes âgées qui restent souvent très isolées du fait de la pénurie des carburants.
Des associations, des solidarités, se constituent pour prendre en main les jeunes, notamment ceux qui ont des concours en fin d’année scolaire (BEP, Bac…)
L’organisation de la distribution des carburants.
Trop de gestes d’incivilités ont été constatés ce qui amène à une pénurie artificielle. Le Comité a énoncé deux nouvelles règles :
- le carburant ne sera distribué aux automobilistes qu’au vu de la jauge : il faudra en avoir moins que la moitié du réservoir.
- il faudra payer d’avance (30 euros) et on ne rendra pas la monnaie. Ceci pour éviter que certains ne viennent que pour complèter un réservoir quasi plein. Un automobiliste a ainsi fait scandale en prenant de l’essence…pour 12 centimes. Il a pu éviter le lynchage de toute une foule qui attendait à la station depuis parfois des heures.
De plus en plus de syndicalistes, d’automobilistes viennent aider et contrôler la distribution. C’est mieux que les forces de l’ordre souvent mal perçues. Sur la rocade à une station ils ont du charger les automobilistes et, étant en contre bas, ils ont fini par recevoir une volée de parpaings. Tout le monde est donc reparti sans carburant !