La trêve hivernale : une mauvaise solution à un vrai problème
Depuis le premier novembre et jusqu’au trente mars, les locataires qui ne payent pas leurs loyers ne pourront pas être expulsés et pourront ainsi se maintenir dans les lieux sans crainte…
La trêve hivernale ne trouve application que dans le cadre d’un local d’habitation et ce qu’il le soit à titre principal ou secondaire. Le local ne servant pas à l’habitation, tel qu’un local commercial ne bénéficie donc pas du dispositif.
Ce dispositif a des visées tant humanistes que de polices. Le parti est pris que la société ne peut accepter qu’une personne ou qu’une famille soit « mise à la rue » pendant une période rendue âpre par les conditions météorologiques. Le dispositif vise aussi à s’éviter les troubles à l’ordre public qui découleraient potentiellement d’une expulsion réalisée par temps froid.
De ce point de vue, tout le monde loue les bienfaits du dispositif.
Mais si l’on se met à la place du propriétaire du logement du locataire, cette bienveillance et cet humanisme à l’égard de ses semblables risquent fortement de dériver vers une sorte de haine.
Car oui, économiquement le dispositif est une hérésie. Il n’a pour d’autre effet que de faire supporter la carence du locataire, voire de l’état si l’on croit encore au mythe de l’état providence, au propriétaire que l’on peut non ironiquement affubler de l’adjectif malheureux.
Revenons brièvement sur le déroulement d’une procédure d’expulsion classique.
- Expulser patiemment
Dans la majorité des cas, le contrat de bail contient une clause qui prévoit la résolution de plein droit du bail à défaut de paiement des loyers. Pour que cette clause produise effet, le propriétaire va devoir faire signifier par Huissier de Justice un commandement de payer les loyers à son locataire. Si ce dernier ne régularise pas sa situation dans un délai de deux mois, la résiliation du bail est acquise au bailleur. Néanmoins, à ce stade le bailleur ne peut toujours pas expulser son locataire.
En effet, il va devoir l’assigner devant le Tribunal d’Instance statuant en référé à une date d’audience fixée à plus de deux mois du jour de l’assignation.
A ce stade en raisonnant sur la stricte théorie, le processus d’expulsion a déjà pris quatre mois (en pratique le temps que les choses se fassent il faut rajouter entre deux semaines et un mois).
Ensuite, le propriétaire obtient une ordonnance de référé qui constate la résiliation du bail et prononce l’expulsion. Le juge peut également accorder des délais de grâce au débiteur et retarder la résiliation de plein droit.
Fort de ce titre exécutoire, le propriétaire va faire délivrer un commandement de quitter les lieux à son locataire. Ce commandement de quitter les lieux offre à nouveau un délai de deux mois au locataire pour non pas régulariser financièrement sa situation mais pour rendre le local à son propriétaire.
Á l’expiration de ce délai, l’Huissier de Justice pourra se rendre sur place pour inviter le locataire à quitter le logement « spontanément ».
Si lors de son passage, l’Huissier de justice s’aperçoit que le locataire n’a pas quitté les lieux et ne compte pas le faire de soi même, il va devoir requérir le concours de la force publique. La préfecture dispose alors de deux mois pour prêter son concours. Si elle ne le fait volontairement (s’il existe un trouble à l’ordre public) ou involontairement (un oubli administratif), un droit d’indemnisation s’ouvre au propriétaire.
On le voit, le processus est déjà long (2 mois + 2 mois + éventuellement 2 mois + le temps qui s’ajoute aux délais théoriques). Mais ajoutez à cela, la période hivernale de 5 mois, il y a véritablement de quoi transformer la bienveillance initiale en une profonde haine.
Car rappelons le, durant tout ce temps le locataire peut rester dans les lieux sans même payer ses loyers sans que le propriétaire puisse n’y faire grand chose.
Exemple : En février 2014, le locataire ne paye plus ses loyers. Le propriétaire réagit vite : Le commandement de payer les loyers est signifié le 24 mars 2014, le locataire ne régularise pas sa situation dans le délai de deux mois, il est assigné le 5 juin 2014 pour une audience qui se tiendra le 18 août (pensons qu’il existe des vacances judiciaires durant lesquelles il ne se tient aucune audience), le propriétaire récupère l’expédition du jugement et fait signifier le 2 septembre 2014 un commandement de quitter les lieux à son locataire toujours dans les lieux. L’expulsion ne pourra être effectuée qu’au mieux le 1 avril 2015. Non c’est n’est pas une blague !
Au départ, on considère la trêve hivernale comme une période de répit, pendant laquelle le locataire va pouvoir revenir à meilleure fortune et régulariser financièrement sa situation. Sauf qu’en pratique les retours à meilleure fortune sont rares, et dès lors que la résiliation du bail est acquise par la non régularisation par le locataire de sa situation financière dans le délai de deux mois du commandement de payer, le propriétaire n’a plus aucun intérêt à vouloir se passer du bénéfice de cette résiliation.
- Une perte sèche pour le propriétaire
On le voit, un locataire peut donc rester plusieurs mois dans un logement dont il ne paie pas les loyers, laissant le propriétaire, seul, faire face dans bien des cas au remboursement du prêt qui lui a permis d’acquérir le logement, dans une situation que l’on peut qualifier sans ironie de difficile.
Le locataire entraîne dans sa chute celle de son propriétaire qui n’obtenant pas le paiement de ses loyers ne peut rembourser le prêt qu’il a contracté. L’impayé est contagieux…
La réalité est aussi que le propriétaire devra supporter la charge des frais de l’Huissier de justice (plus ou moins 1500 Euros pour l’ensemble de la procédure d’expulsion) en plus des loyers impayés et malheureusement bien souvent des frais de remise en état du logement.
La pratique enseigne également que lorsqu’une personne ne paie plus son loyer c’est que sa situation financière est plus que précaire. Autrement dit, le propriétaire n’aura que très peu d’espoir de recouvrer les loyers impayés. Il aura beau s’adjoindre les services d’un Huissier de Justice, ce dernier face à l’absence de solvabilité du débiteur sera d’un maigre secours.
Le bilan est lourd pour le propriétaire.
- Un secteur démoralisé
On comprend pourquoi la loi ALUR (loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014) qui a notamment augmenté la trêve hivernale de 15 jours, a été mal perçue par les propriétaires et entraînée une chute du secteur.
En effet, lorsqu’on intègre le risque de devoir faire face à des loyers (au montant encadré) impayés l’investissement locatif n’apparaît plus comme l’investissement le plus rentable et sûr. D’où l’existence d’immeubles vides dont il est malheureusement plus « sage » de les laisser vides en ne misant que sur la hausse du prix du foncier pour en tirer une plus-value.
Face à ces risques, on comprend mieux l’exigence des propriétaires lors de la sélection des dossiers des candidats à la location. Il s’agit de ne pas se tromper !
- L’Etat au secours des propriétaires ?
La loi ALUR s’est tout de même attaquée au problème des loyers impayés en inventant la Garantie Universelle des Loyers. Ce dispositif permettra aux propriétaires privés qui le souhaitent d’être couverts des loyers impayés pendant dix huit mois contre 1 à 2% du prix du loyer. Sauf pour les locations estudiantines, les propriétaires bénéficiaires de la GUL ne pourront exiger d’autre cautionnement.
Ce dispositif à financement public (les sources de financements font d’ores et déjà l’objet d’inquiétudes et de scepticisme) dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2016 reste à être détaillé par des décrets qui font déjà figure d’arlésienne...
Gageons qu’avec cette GUL, l’Etat a pris conscience qu’il n’était plus possible de laisser supporter le coût des impayés de loyers aux seuls propriétaires déjà bien « généreux » et éprouvés.