mardi 23 octobre 2012 - par Caroline Courson

Le 22 à Asnières ou l’anticommunication

Je vais passer pour une vieille conne (j’y ai l’agréable compagnie de Philippe Delerm – mais son titre sonne moins bien au féminin !) si je vous dis que je râle sans arrêt contre les abus de la communication qui tuent la communication.

Je m’explique : toute personne normalement constituée et intégrée à notre époque (dont on a le droit de penser pis que pendre, mais quand même, c’est ici et maintenant que l’on vit) possède actuellement un téléphone fixe + un téléphone portable + un ordinateur avec une adresse mail et une adresse de réseau social. Soit au moins quatre possibilités d’être contactée à tout moment.

 

Et quelle est la phrase que l’on entend le plus autour de nous ?

J’AI PAS REUSSI A TE JOINDRE !

M’enfin, dirait Gaston, y’a un problème ?

 

Ouais, un gros problème. Ou plutôt plusieurs problèmes qui s’accumulent, et nous renvoient en pleine figure l’existence d’une énorme solitude en plein cœur de la foule.

La technique, d’abord. C’est super, les nouvelles technologies, mais ça marche jamais. J’étais pas connecté (et comment je pouvais le savoir ?)… j’avais plus de batterie (même réflexion)… mon serveur était en panne (idem)… Ah zut, on a été coupé… Toutes ces petites pannes quotidiennes qui donnent bonne conscience quand on « oublie » simplement de décrocher parce qu’on n’en a pas envie.

La psychologie, ensuite. Puisqu’on sait très bien qu’on a de multiples possibilités de se parler, on ne fait pas l’effort de le faire, on verra ça plus tard… Y’a toujours quelque chose d’urgent sur le feu, n’est-ce-pas ?

 J’étais sur mon portable (quand on appelle sur le fixe, et lycée de Versailles). j’étais coincé sur l’ordinateur (quand ça sonne dans le vide) ou excuse-moi, je dois répondre au téléphone (quand on réussit à se parler en direct sur le net). Sans oublier le pire du pire : je suis en face de toi, mais tu réponds à la sonnerie de ton i-phone, c’est sûrement important. Et moi je reste planté là, comme disait Balavoine, et ça réveille en moi des envies de meurtre quand ça se reproduit toutes les cinq minutes !

C’est un constat accablant que je ne commente même pas, suffit de se référer à la simple évidence.

 Une évidence à la croissance exponentielle lorsqu’on la transpose aux administrations et aux entreprises.

 

Ayant atterri aux Urgences à la suite d’un malaise que l’on diagnostiqua cardiaque, mais sans gravité, je tombe sur un jeune interne qui me conseille de prendre un rendez-vous pour une échographie du coeur.

- « C’est où ?

- Là, juste au-dessus !

- Bon, j’y vais.

- Non, vous bougez pas.

- Alors, j’appelle.

- Non, c’est interdit.-

- Vous, appelez, alors…

- O.K… Mais zut, ça marche pas !

- Alors je fais comment ?

- Ecoutez, le plus simple, c’est que vous rentriez chez vous, vous allez voir votre médecin et vous lui demandez de téléphoner pour prendre un rendez-vous ici. »

Le plus simple, bien sûr. Et 26 euros de plus pour le trou de la Sécu, alors qu’il y avait juste quelques marches à grimper !

 

Effarée, je lui demande si ça ne lui rappelle pas le 22 à Asnières.

Il me lance alors un regard oblique signifiant que ça n’est pas du cœur que je suis malade. Evidemment, il ne doit pas avoir plus de 25 ans !

 

Autre exemple : pour prendre rendez-vous avec un conseiller à La Poste de mon village (pas plus de 2 minutes à pieds), je dois depuis peu passer par une plate-forme d’appel en 36 où un jeune homme, charmant au demeurant, me demande comment ça s’écrit déjà le nom de mon bled… Oui c’est vrai, il est à l’autre bout de la France ! Et il est inutile que je me déplace, l’agenda aussi est délocalisé.

 Et si l’on passait par New-York, ça serait peut-être plus facile de communiquer ?

 Le 22 à Asnières, je vous dis. C’est devenu une dictature !

 



3 réactions


  • macha macha 23 octobre 2012 10:19

    Bonjour Caroline,

    Je suis bien d’accord avec vous, ce que vous dites je le disais l’autre jour à mon mari.
    Dans ce monde « plein d’appareils » , nous ne savons plus parler et écouter d’une façon claire et posée. J’ai l’impression parfois que l’ émotion et l’affection n’ont plus de place, du coup les liens sont « brouillon » et flous, et on ne comprend plus l’autre, d’où les malentendus, les quiproquos et autres frictions possibles. Moi je préfère une rencontre vraie face à face, pour voir le visage et les yeux de l’autre (le miroir de l’âme).
    Merci pour votre article !

  • Loatse Loatse 23 octobre 2012 10:49

    Bonjour Caroline,

    Je vois que nous avons en commun quelques démêlés avec la poste... :) mais bon, je ne leur jette pas la pierre plus que cela, le scénario ubuesque que tu décris lorsque faisant preuve de naiveté* tu penses pouvoir consulter ton praticien à l’étage du dessus sans passer par la case départ (et sans toucher 20 000 F), ce scénario doit se répéter à l’infini chaque jour ..

    .A la poste donc, je tente de faire rectifier une erreur dans mon adresse..on me répond (alors qu’ils ont un système informatique qui permet la correction) : prenez rendez vous avec votre conseiller clientèle...

    Au lycée de ma fille, besoin de savoir à quel ordre rédiger un chèque pour une sortie, je téléphone au service adéquat. fermé l’après midi me répond t’on... pas grave, pour un si petit renseignement j’appele le sécrétariat de la direction...

    N’ai même pas pu formuler ma demande... me suis faite jeter comme une malpropre...non pas parce que la personne n’avait pas le renseignement en question mais bien parceque celle ci ne se sentait pas concernée...

    ai hésité à la rappeler pour la traiter de morue.. mais bon, je ne voulions pas alourdir mon karma* smiley

    * signé : une postulante en sagesse, mais c’est un sacré boulot...

    * naiveté : penser de manière rationnelle en 2012 et qu’en face de soi cela soit recevable...




    • Caroline Courson Caroline Courson 23 octobre 2012 11:37

      Bonjour Loatse,


      Oui, le constat de l’impossibilité des communications, quelles qu’elles soient, est absolument terrible !

      La rationalité, comme vous dites, est un mot qui devrait être supprimé du dictionnaire, il n’existe plus...

      Je m’arrache les cheveux chaque jour à ce sujet, c’est un miracle que je ne sois pas déjà chauve !!! smiley

Réagir