jeudi 26 septembre 2019 - par christmeunier

Le bac 2019 : le grand n’importe quoi

Le bac 2019 : le grand n’importe quoi

 

Nous vivons dans une République hors norme, dirigée par une élite que le monde nous envie, issue de Sciences Po, de l’ENA, des Mines de Polytechnique ou d’un autre temple de l’intelligence. Et c’est justement dans ce cadre idyllique qu’est survenu l’incident récent du baccalauréat 2 019.

 

Les personnages

Dans le rôle des méchants, voilà les professeurs, mal payés, peu considérés par leur hiérarchie qui leur impose ses réformes sans même leur demander leur avis. En effet, dans ce temple de l’intelligence, on ne pratique pas la discussion. L’opinion de ceux qui connaissent bien le terrain et qui vont devoir appliquer la réforme en question n’intéresse pas les penseurs décideurs qui ont la science infuse.

Dans le rôle du troupeau, nous découvrons les élèves qui passent leur bac avec le trac et les craintes que l’on devine, et à qui les méchants font le coup de ne pas vouloir leur donner les notes qu’ils ont acquises par leur travail.

Enfin, dans le rôle du champion, le ministre de l’Enseignement, qui pourfend les méchants avec l’aide de sa suite de hauts fonctionnaires du ministère.

 

Les faits

Le décret ainsi que les sept arrêtés définissant les contours du futur lycée et la nouvelle organisation du baccalauréat ont été publiés au Journal officiel du 17 juillet 2018.

Ces évolutions devaient rentrer en vigueur, en 2019, dans le privé comme dans le public, pour une première version du bac réaménagé en 2021.

Les professeurs qui n’étaient pas d’accord avec cette réforme auraient eu tout le temps de faire grève avant le bac 2019, dont les épreuves étaient prévues pour la semaine du 17 au 21 juin.

Mais leurs responsables avaient décidé de frapper fort. Il s’agissait de corriger les copies qui leur avaient été confiées, mais de ne pas en rendre les notes.

Le jeudi 14, la veille de la promulgation des résultats, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale indiquait qu’il manquait encore 80 000 copies, mais que l’on espérait pouvoir en récupérer encore assez pour dépasser la limite de 50 000. Le problème, c’était qu’une note manquante bloquait le travail des jurys en rendant impossible le calcul des résultats de l’élève concerné.

Ainsi, les élèves victimes de la rétention d’une de leurs notes étaient pris en otage par des professeurs correcteurs qui luttaient ainsi, au détriment de ces élèves et au moment le moins opportun, contre une loi qui ne concernait ceux-ci en aucune façon. Les candidats étaient pour ainsi dire immolés au profit présumé d’élèves à venir. Les grévistes pensaient ainsi tenir à la gorge leur ministre de tutelle. Mais c’était compter sans la malice du pourfendeur de grévistes.

Sur le plateau de BFM/TV, le mercredi soir, il annonça avoir trouvé une parade pour que tous les bacheliers aient leurs résultats vendredi : avoir recours au contrôle continu au cas où une note manquerait. « Si en début de semaine on a finalement la copie et que la note est meilleure, c’est celle-là qui sera prise en compte, sinon, on garde la note de contrôle continu ».

 

Bilan

Ainsi, le ministre avait déjoué les plans des méchants grévistes. Mais à quel prix ?

Le baccalauréat, en tant qu’examen d’état, est soumis à quelques conditions, parmi lesquelles :

  • L’anonymat des copies, afin que le correcteur ne sache rien de celui qui a composé.
  • L’équité des épreuves : tous les participants doivent être traités de la même façon.

 

En ce qui concerne la première condition, seuls les candidats qui ont obtenu toutes leurs notes remplissent cette condition. Si l’on doit aller chercher la note du contrôle continu de l’élève, il rompt l’anonymat, car comment trouver la note de quelqu’un dont on ne saurait pas le nom ?

La Dépêche du Midi du 4 juillet 2019, remise à jour à 19 h 44 cite ce qu’ont rapporté des professeurs présents lors de la réunion de certains jurys.

« Quand le livret n'était pas disponible, il fallait rompre l'anonymat et mettre une note en fonction des autres notes obtenues au bac, sans trop pénaliser l'élève. De manière arbitraire ! Donc on a mis des 11, des 12, des 14 comme ça, à la tête du client. C'était la consigne du rectorat. »

Si l’on en croit la Dépêche, non seulement l’anonymat n’aurait pas été respecté, mais encore on aurait inventé des notes. Autrement dit, comme aurait dit le Général de Gaulle, c’était la chienlit. Que vaut un tel examen, digne des Pieds Nickelés, les rois de la bricole et de la tricherie sans génie ?

 

La seconde condition sur l’équité n’est à l’évidence pas remplie.

Les candidats qui avaient toutes leurs notes ont été jugés sur les épreuves écrites du bac. Leur cas correspond donc aux exigences.

Ceux qui n’avaient pas toutes les notes ont été jugés, quand on a eu accès à leur livret, sur leurs résultats tout au long de l’année. Au cas où leur copie aurait mérité une meilleure note que celle contenue dans le livret, ils auraient été lésés. Dans le cas contraire, au cas où ils auraient raté leur épreuve, ils auraient été sauvés par une bonne note au contrôle continu et auraient donc été favorisés. Quant à ceux dont la note au contrôle continu était insuffisante, ils n’auraient pas pu bénéficier d’une note éventuellement suffisante, mais malheureusement restée inconnue, au cas où le sujet les aurait particulièrement inspirés. Dans ce cas, ils auraient eux aussi été lésés.

 

Conclusion

Ce bac est à ranger dans la catégorie du grand n’importe quoi.

Parce qu’une réforme a été imposée sans concertation :

Des professeurs ont pris en otages des élèves qui n’étaient pas concernés directement par le problème de la réforme.

Un ministre de l’Éducation, pour déjouer les plans des grévistes, n’a pas respecté les conditions de base de validité d’un examen d’état, rendant aléatoires les réussites et les mentions.

Dans un pays peuplé de gens intelligents ou simplement raisonnables, le ministre, les professeurs et les représentants des élèves auraient travaillé ensemble à l’élaboration d’une réforme qui, née d’un accord commun et tenant compte des réalités du terrain, aurait pu être portée par tout le monde, chacun se reconnaissant dans le texte obtenu.

Au lieu de cela, une dispute indigne, dont les conséquences restent floues, a été menée sur le dos des élèves par des gens censés travailler dans leur intérêt.

Quant à la réaction des citoyens face à ce fiasco, on l’attend encore. Pas la moindre protestation à l’horizon. La fin justifie les moyens. Qu’on leur fiche la paix et qu’on les laisse partir en vacances.

Il n’y a vraiment pas de quoi être fier.

 



6 réactions


  • tashrin 26 septembre 2019 17:20

    2019 c’est la chienlit c’est sûr...

    en meme temps, les années précédentes attribuaient des mentions bien à des gamins qui savaient pas écrire français correctement hein...

    ca fait déjà bien longtemps que le bac n’a que la valeur du papier sur lequel on imprime le diplome


  • Esprit Critique 26 septembre 2019 18:22

    Faut relativiser un peu. le nombre de cas a problème éventuel est manifestement très faible, et comme de toute façon ce bac ne représente plus rien puisque distribué a plus de 80 % . nous atteindrons sans doute le taux de 90 % en 2020, et la même plus besoin de corriger des copies …..


  • waymel bernard waymel bernard 26 septembre 2019 18:32

    Remplaçons le bac qui n’a plus aucune valeur par une attestation de fin d’études secondaires et laissons les universités sélectionner leurs étudiants.


  • L'Astronome L’Astronome 27 septembre 2019 03:18

     

    «  Que vaut un tel examen, digne des Pieds Nickelés, les rois de la bricole et de la tricherie sans génie ? »

     

    Il s’agit, ni plus ni moins, que d’une fraude. L’État est en occurrence un fraudeur.

     


  • Traroth Traroth 27 septembre 2019 11:38

    Comme à chaque fois qu’on parle de « prise en otage » à propos de grévistes : zéro pointé.


  • exocet exocet 27 septembre 2019 19:37

    "Nous vivons dans une République hors norme, dirigée par une élite que le monde nous envie, issue de Sciences Po, de l’ENA, des Mines de Polytechnique ou d’un autre temple de l’intelligence.

    « 

    .

    La première phrase de cet article.

    .

    Ca commence mal.

    .

    Dans le classement de Shangaï, le plus sérieux pour les écoles et universités, Polytechnique est plus de 400ième et l’ENA ne figure pas dans les 500 premières écoles mondiales.

    .

    Il suffit de voir tous les jours de quelle manière notre Pays est gouverné. Le chômage, la dette, les iniquités. Les hommes politiques passent, les hauts fonctionnaires énarques et polytechniciens restent. Seuls les diplômés de ces deux écoles se prennent pour des »élites que le monde entier nous envie".

    .

    Ou quelques naïfs, dont l’auteur


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