samedi 24 janvier 2015 - par Alain Roumestand

Le « petit juge » de l’affaire Grégory est à la retraite

Le juge Jean-Michel Lambert, 62 ans, est depuis peu à la retraite.

Celui qui a beaucoup souffert des conséquences de l’affaire Grégory apparaît souriant, presque fragile, à ses interlocuteurs, journalistes et visiteurs des salons du livre qu’il fréquente pour présenter son dernier ouvrage, bilan sur sa carrière.

Titre : « de combien d’injustices suis-je coupable ? ». Avec une caricature de couverture, montrant un juge équilibriste, sur un fil tendu entre les 2 plateaux de la balance de la justice.

34 ans de fonction. « Une certaine tristesse, un sentiment d’impuissance », pour celui qui souhaite encore « conjuguer le verbe aimer ». « Combien d’innocents ai-je condamnés ? » est la question posée dès le début.

L’homme qui a débuté à 27 ans après 3 tentatives au concours, avec « une belle capacité de travail », « prêt à en découdre », éloigné de tout manichéisme, avoue, à sa prise de fonctions, « un sentiment de supériorité », même s’il affirme avoir toujours fait preuve du respect de la dignité des hommes et des femmes qu’il a trouvés en face de lui.

De 80 à 86, il est juge d’instruction à Epinal dans les Vosges. Il passe 15 ans au tribunal de Bourg en Bresse, 11 ans comme vice-président du tribunal du Mans. Ce qui implique des milliers de décisions, civiles ou pénales.

Il a aussi exercé comme juge de la liberté et de la détention (JLD) dans le domaine des soins psychiatriques sans consentement, au pénal pour les détentions provisoires. Il a dû trancher les questions d’indemnisation des accidentés de la route, les expropriations, les servitudes de passage, les mitoyennetés, les malfaçons dans les constructions.

Mais l’affaire Grégory « une affaire destinée à rester l’une des plus grandes énigmes judiciaires du 20ème siècle », sera l’affaire de sa vie.

Le premier chapitre de son livre d’ailleurs, « Vous êtes tous des Bernard Laroche », est consacré à ce drame, à ce dossier travaillé parmi 229 autres dossiers dont il est en charge à l’époque.

Il se sent responsable de la mort de Bernard Laroche. « Je suis l’un des artisans de cette abjection ».

Il reprend, 30 ans après, point par point, la récit de la mort du petit Grégory Villemin sur un créneau de 1h15 maximum. « On a fabriqué, point par point un emploi du temps à Bernard Laroche ».

« Le 16 octobre 1984, à 17h, Bernard Laroche récupère sa belle-sœur, âgée de 15 ans et demi, à la sortie du collège. Son fils, Sébastien, sensiblement du même âge que Grégory, 4 ans, est du voyage, sagement assis sur la banquette arrière… »

Le petit Grégory est retrouvé mort dans la Vologne. Bernard Laroche, qui n’a pas d’alibi mais qui aurait dû être innocenté par la simple chronologie des évènements, passera 3 mois en détention et sera tué par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin.

« Un véritable concours de circonstances a projeté un innocent dans un piège fatal ». « Une autopsie bâclée », « des témoignages erronés », « des erreurs de procédure », « une haute tension médiatique » sont mis en accusation et Jean-Michel Lambert reconnaît : « j’ai été l’un des rouages et pas le moindre ». Il reconnaît sa part de responsabilité, mais il nie catégoriquement ce qui lui a été reproché à l’époque : il ne s’est jamais opposé au prélèvement des viscères de l’enfant ; « les 2 légistes n’avaient pas à solliciter mon accord ou mon avis ». Il n’a jamais été dessaisi pour ne pas avoir été à la hauteur.

Le juge Lambert n’oubliera jamais, sa carrière se fracassant dans un accident majeur. Il ne s’en remettra jamais.

Un long travail de reconstruction sera nécessaire. Il lui faudra « rester debout et continuer d’avancer ».

En 1993, longtemps après le drame, il est convoqué devant la cour d’assises de Dijon, au procès de l’assassin de Bernard Laroche. Cette journée sera marquée à jamais dans sa mémoire, avec les médias qui veulent l’abattre, le feu des questions du président et des avocats.

En 1995, il est assigné devant le TGI de Paris, par Christine Villemin, à titre personnel, pour dysfonctionnement dont elle rend responsable le juge.

Il élargit maintenant le propos au fonctionnement de la justice « rendue par des hommes et des femmes n’excluant pas toujours la passion et les préjugés ».

Il le proclame haut et fort et se défend : « je précise qu’aucun des accusés dans les affaires criminelles que j’ai instruites n’a été acquitté ». « Aucun des inculpés que j’avais placés en détention provisoire dans des dossiers correctionnels n’a été davantage relaxé ». Mais le doute est là. » « Est-ce à dire que je ne me suis jamais trompé, l’appareil judiciaire m’ayant emboité le pas pour condamner un innocent ».

Il évoque une autre affaire déplorable un « tsunami judiciaire » l’affaire d’Outreau.

Il pointe la vie quotidienne des tribunaux avec comme exemple cette présidente de correctionnelle qui veut emporter la décision et met tout son poids pour cela : « je vous préviens, je ne rédigerai pas le jugement. L’un de vous devra s’y coller », dit-elle à ses collègues. Et comme c’est long et complexe…

Il critique chez certains le « fonctionnement brouillon, la lenteur maladive cachée sous le masque de la conscience professionnelle, la désinvolture pour expédier des dossiers », les évènements personnels qui interfèrent.

Il élargit les problèmes à la confection de la loi, souvent imparfaite. « Le législateur se fiche éperdument de la réalité judiciaire ».

Il prend en compte « la longue chaine d’intervenants qui génère des difficultés ».

Mais il considère avoir été « un bon petit soldat qui tranche les litiges en appliquant les règles de droit définies par le législateur ».



1 réactions


  • Grandi Grandi 24 janvier 2015 13:16

    Quant on observe comment le conseil d’état est facilement revenu sur l’arrêté d’un juge dans l’affaire Dieudonné et qu’en plus on visionne le document youtube ci-dessous, qui nous parle aussi de la justice, cela fait peur.
    « Témoignage de Charles-Louis ROCHE et Diane ROCHE »
    https://www.youtube.com/watch?v=4yW1tFUzFh0


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