lundi 7 novembre 2011 - par Jean-Luc Van Gheluwe

Le souffleur et le râteau

Comment une machine présentant quelques inconvénients est-elle en passe d’évincer un outil parfaitement adapté à sa fonction ?

C’est l’automne, les feuilles tombent ; elles s’accumulent au pied des arbres, dans les caniveaux, le long des haies, sur les pelouses. Elles forment des tapis croustillants ou des amas glissants selon le temps qu’il fait et pour un certain temps.

En quelques semaines, la plupart de ces feuilles auront disparu : décomposées, enfouies, piétinées, elles s’incorporeront au sol ou seront emmenées en menus fragments par les pluies. Entre temps, de bonnes chaussures suffiront à s’en préserver.

Un nouveau passe-temps

Mais les feuilles incommodent : elles perturbent l’ordonnancement des places goudronnées et des pelouses immaculées. Aussi monsieur tout le monde recourt-il de plus en plus souvent à un engin désormais vendu dans toutes les grandes surfaces de bricolage : le souffleur.

Apparu tout d’abord sur la voie publique sous forme d’énormes bennes roulantes, bruyantes et puantes, le souffleur s’est ensuite porté sur le dos. Les manipulateurs de machines que sont devenus nombre de jardiniers professionnels l’ont alors adopté.

Depuis quelques années, la bête hurlante à long cou se retrouve en tête de gondole. Devenue possible cadeau d’anniversaire ou de fête des pères, elle essaime désormais dans les villages et es quartiers.

Comment le râteau a-t-il pu être détrôné, lui dont les avantages sont appréciés depuis la nuit des temps ? Une conception simple en fait un outil économique ; sa durée de vie peut dépasser celle d’un homme ; son long manche donne un bon rayon d’action ; son parfait silence ne trouble nullement une activité extérieure vivifiante.

La machine plutôt que l’outil

D’une manière générale, la machine tend à remplacer l’outil ou l’huile de coude jusque dans les moindres besognes domestiques. A un point tel qu’on ne se pose plus la question de son intérêt réel. Le travail manuel est à ce point déprécié, le gain de temps tellement obsessionnel, la nouveauté par principe adulée, que toute machine en vient à être considérée comme un bienfait. Le nettoyeur haute pression remplace le sceau et la brosse ; l’élagage de quelques branches appelle la tronçonneuse ; le râteau rouille tandis que le souffleur vrombit.

La feuille considérée comme salissante offre le prétexte à sortir l’engin, l’arme de la propreté, le jouet du temps libre. Car par définition, ce temps pendant lequel on ne « travaille pas » ne doit pas être un travail, il ne peut qu’être un loisir et réclame donc une machine censée précisément libérer du travail. S’époumoner en joggant ou transpirer au fitness, oui ! S’activer au râteau ou à la scie à bûche, non !

Il ne s’agit pas de mettre en cause par principe l’utilisation de la machine : la tronçonneuse permet à l’homme seul de préparer son bois de chauffage. Mais le recours systématique à la machine peut être discuté.

Une efficacité limitée

Dans le cas du souffleur, son aptitude à faire ce qu’on attend de lui pose problème. Il exige en effet un temps sec car il décolle difficilement les paquets soudés par l’humidité. Le vent lui est également fatal, impuissant qu’il est alors à rivaliser avec lui. Comme si ces deux premières conditions, rarement réunies en automne, ne suffisaient pas, il se révèle de plus incapable de terminer la tâche, une fois les tas difficilement amassés. En effet, sauf à user d’un coûteux matériel haut de gamme muni d’un inverseur, il faut finalement recourir à la pelle, à la fourche ou aux bras pour évacuer les monticules.

Son second inconvénient est de venir s’ajouter à la longue liste des engins thermiques à utilisation domestique. Il consomme en essence l’énergie physique qu’il est censé économiser. Cette voracité se double d’un insupportable hurlement : après la saison de tondeuses, voici venir celle des souffleurs.

Sauf à considérer comme plus noble de porter une machine sur le dos que d’actionner un manche, les arguments favorables à cette nouvelle trouvaille commerciale manquent. Alors, soufflez un peu… prenez le râteau !

© Van Gheluwe 2011



8 réactions


  • Zangao Zangao 7 novembre 2011 10:31

    Il pousse les feuilles et lève une poussière de dingue. Quant au guignol qui le préfère au balai, ses vertèbres lui rappelleront son « bon »souvenir dans quelques années.
    Faut quand même être stupide pour se ballader avec une mobylette sur le dos !


  • Robert GIL ROBERT GIL 7 novembre 2011 10:57

    Voici une petite parodie sur l’automatisation a outrance, et je crois que malheureusemant nous ne sommes pas loin de la réalité :
    http://2ccr.unblog.fr/2011/10/02/cest-bien-cest-automatique/


  • jef88 jef88 7 novembre 2011 12:05

    Le souffleur et le rateau ....
    Cela pourrait être un sujet de philo au BAC
    LE RATEAU : il se tient à la main .. C’est un outil (beurk) le travail manuel quelle horreur !!!
    On dresse les gosses dés leur plus jeune age à l’intellectualisation à outrance...

    LE SOUFLEUR : chouette alors ! c’est moderne et dans le vent ! il suffit de mettre de l’essence et ça maaaaaaaaarche !!!
    Bien sur il faut ramasser les feuilles après ... Mais si on les pousse vers le caniveau ou la chaussée c’est gagné !

    Si on compare ?
    le souffleur va un peu (tout petit peu quand on compte l’entretien) plus vite
    Il coute beaucoup plus cher !!
    le rateau pourrait être plus rapide s’il était plus large....

    Mais toute cette problèmatique est à l’image de notre socièté !
    IL FAUT ACHETER , cela permet de s’endetter, de planter la balance des payements et de se crever pour rien !
    Pourquoi n’y a t’il pas un dplome de bon sens ?


  • luluberlu luluberlu 7 novembre 2011 13:26

    Bravossss pour la pertinence de votre indignation. Et du constat, à pleurer.


  • Ariane Walter Ariane Walter 7 novembre 2011 15:58

    J’ai adoré votre article. Et ce d’autant plus que j’ai acheté, pour moi, le fameux souffleur...Or j’ai horreur du bruit, je suis servie, et quand on a aspiré des feuilles ,il faut quand même les mettre dans un sac. Il végète comme un jouet stupide de noël dans un coin de la cave....

     Et passer le râteau fait de jolis bras !!


    • Rensk Rensk 13 novembre 2011 15:23

      Un outil quand-même dont je ne voudrais pas revenir et « le fil » au lieu de la faux...

      En montagne, dans les prés... après passage des vaches je fauche pour éviter que l’herbe se couche et ne donne par là... à la neige un terrain dangereusement glissant.
      La faux est un bon outil mais c’est plus difficile que le fil sur un terrain en bosses et trou... quand vous « piquez » dans la terre cela vous donne une sacrée « décharge » dans le dos (cela coupe sec l’élan)... Avec le fil pas ce problème, juste le bruit et les vibrations (après 8 heures mes mains tremblent au moins 5 heures, donc pas de soupe car impossible de garder dans la cuillère la soupe)


  • srobyl srobyl 13 novembre 2011 17:18

    Excellent coup de gueule !
    Il y a longtemps que l’existence de ce genre de truc merdique m’étonne et m’exaspère. La dernière connerie (ou l’avant dernière...on a du en trouver d’autres depuis) qu’on a réussi à coups de pub à faire passer pour un objet indispensable, pour des particuliers qui n’ont que très peu de surface à entretenir... Il en est d’autres, tout aussi chers, bouffeurs d’énergie, bruyants comme le fendeur de bûches (tudieu, qu’on m’apporte un merlin !) ou le broyeur de végétaux (et les déchetteries alors ? ou un bon feu de joie...bon, il est vrai que c’est pas toujours autorisé)
    Société de remonte-pentes...qui se demande comment économiser l’énergie et se plaint du manque d’activité physique et du cholestérol galopant !


  • Radshine 10 août 2015 11:05

    Soyons nombreux à signer cette pétition :
    http://www.avaaz.org/fr/petition/Po...


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