Les conseils de prud’hommes vont-ils être étranglés budgétairement ?
De nombreux conseillers prud’hommaux s’en sont déjà émus mais le simple citoyen, éventuel justiciable de ces tribunaux de proximité, risque d’avoir affaire à une juridiction indigente...
Le projet de loi « pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié » comporte dans son article 29 une réforme du financement des activités prud’homales traitant de l’indemnisation des conseillers élus dans les collèges employeurs et salariés des Conseils de prud’hommes.
Cette question a provoqué depuis plusieurs mois de très nombreuses manifestations de conseillers et plus largement de citoyens préoccupés par le niveau des moyens mis à la disposition des Conseils de prud’hommes.
Les projets de décret qui devraient être pris après le vote de la loi comportent certes certaines avancées, mais aussi des dispositions très graves, dans leur principe comme dans leurs effets, et notamment l’attribution d’un temps forfaitaire pour la rédaction des jugements largement sous-estimé par rapport aux nécessités.
L’ensemble des organisations syndicales de salariés et employeurs ont critiqué ces nouvelles dispositions lors de leur présentation au Conseil supérieur de la prud’homie le 5 mai 2006 mais à ce jour rien n’a concrètement évolué.
Dans son allocution du 4 janvier 2006 à Angers, le garde des Sceaux a souligné que : « Les juges prud’homaux accomplissent une mission fondamentale pour notre économie [...] et doivent être remerciés publiquement de leur engagement et de leur participation au service public de la Justice ».
Si la reconnaissance des différentes phases d’étude des dossiers dans le projet qui doit être prochainement débattu devant les députés constitue une évolution positive à savoir :
- - Temps d’étude des dossiers préparatoire à l’audience
- - Temps d’étude des dossiers postérieure à l’audience et préalable au délibéré
- - Temps de rédaction du jugement
les moyens en temps prévus par ce texte ne correspondent pas aux nécessités du service. Le.temps de rédaction du jugement est plafonné à 3 heures quelle que soit l’importance du dossier .
Il est possible de déroger à ce principe notamment en cas d’affaires multiples concernant une seule entreprise, ce que nous appelons une "jonction de dossiers", mais le temps octroyé demeure manifestement irréaliste et je vous en donne un exemple.
Nous avons eu à traiter récemment une jonction de 8 dossiers . Si le projet de loi et les décrets afférents étaient approuvés en l’état , nous ne disposerions pour la rédaction du jugement d’une telle jonction de dossiers que de 4 heures de rédaction pour 8 décisions, soit 32 minutes pour chaque demandeur.
En réalité il a été nécessaire de consacrer plus de 5 heures par justiciable soit 40 heures de travail à l’élaboration du jugement (dont seules 32 heures ont été payées par le ministère de la Justice : plafond actuel de remboursement) .
On ne peut pas dire que le rédacteur était "incompétent" dans ce cas car c’était un employeur - expert comptable de métier et connaissant parfaitement le sujet qui était soumis.
En fait, toutes les demandes étaient différentes tant par leur nature que sur le calcul des droits et là résidait toute la complexité du dossier qui nécessitait des recherches juridiques sur les dispositions de la convention collective et calcul précis des droits à indemnités en fonction de différents paramètres personnels (comme l’ancienneté par exemple)
Le souci de la bonne gestion des deniers publics, que je comprends parfaitement, conduit le ministère de la Justice à des décisions irrationnelles qui mettent en péril le fonctionnement même de l’institution prud’homale.
Dans les Conseils , et celui où j’exerce notamment , la dotation en temps plein des greffes a été continûment réduite, ce qui est une reconnaissance indirecte du travail fait par les conseillers qui peu à peu se dotent à titre individuel de matériel informatique, ce qui limite grandement le travail de secrétariat des greffes .
Nous avons ainsi perdu sur trois temps pleins initiaux , un mi-temps , ce qui représente 33% de baisse des frais salariaux du greffe.
Le ministère de la Justice a donc pu faire un gain substantiel grâce à l’investissement personnel des conseillers prud’homaux. Aujourd’hui c’est la possibilité même de faire face à la charge de travail qui est en jeu, comme on le constate dans l’exemple exposé.
Les conseillers prud’hommaux sont des gens responsables ; ils demandent simplement que pour ces dossiers à demandes multiples, les budgets soient au moins maintenus en leur état actuel .
Il faut savoir aussi que l’employeur d’un conseiller salarié est remboursé par le ministère de la Justice pour le temps consacré par son salarié à ses fonctions prud’homales - ce qui est normal . Le conseiller salarié bénéficie du maintien de son salaire pendant ses heures de vacation validées par le ministère.
Dans l’hypothèse où ne sera octroyé pour la rédaction de nos 8 décisions qu’un remboursement de 4 heures à l’employeur , aucun salarié ne pourra être en mesure de prendre en dehors du temps de travail : 32 heures - 4 heures soit 28 heures de travail sur temps personnel pour UNE SEULE affaire.
S’il prend ces heures sur son temps de travail , l’employeur qui n’a pas la contrepartie reversée par le ministère de la Justice, peut au mieux ne pas rémunérer le salarié , au pire , comme cela a été le cas à Thonon à la suite d’un dépassement de forfaits horaires... le licencier pour abandon de poste injustifié.
Ce qui veut dire que de tels dossiers devront être confiés, pour rédaction, à des conseillers employeurs qui seuls n’ont aucun compte à rendre sur leur emploi du temps .
Ce qui veut dire aussi que le paritarisme n’existera plus au sein des Conseils de prud’hommes pour la phase de rédaction des jugements .
Il y a là quelques questions à se poser avant qu’il ne soit trop tard et que le justiciable d’un conseil des prud’hommes, que nous sommes tous potentiellement, ait à pâtir de ces nouvelles dispositions.