lundi 3 juillet 2006 - par carnac

Les conseils de prud’hommes vont-ils être étranglés budgétairement ?

De nombreux conseillers prud’hommaux s’en sont déjà émus mais le simple citoyen, éventuel justiciable de ces tribunaux de proximité, risque d’avoir affaire à une juridiction indigente...

Le projet de loi « pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié » comporte dans son article 29 une réforme du financement des activités prud’homales traitant de l’indemnisation des conseillers élus dans les collèges employeurs et salariés des Conseils de prud’hommes.

Cette question a provoqué depuis plusieurs mois de très nombreuses manifestations de conseillers et plus largement de citoyens préoccupés par le niveau des moyens mis à la disposition des Conseils de prud’hommes.

Les projets de décret qui devraient être pris après le vote de la loi comportent certes certaines avancées, mais aussi des dispositions très graves, dans leur principe comme dans leurs effets, et notamment l’attribution d’un temps forfaitaire pour la rédaction des jugements largement sous-estimé par rapport aux nécessités.

L’ensemble des organisations syndicales de salariés et employeurs ont critiqué ces nouvelles dispositions lors de leur présentation au Conseil supérieur de la prud’homie le 5 mai 2006 mais à ce jour rien n’a concrètement évolué.

Dans son allocution du 4 janvier 2006 à Angers, le garde des Sceaux a souligné que : « Les juges prud’homaux accomplissent une mission fondamentale pour notre économie [...] et doivent être remerciés publiquement de leur engagement et de leur participation au service public de la Justice ».

Si la reconnaissance des différentes phases d’étude des dossiers dans le projet qui doit être prochainement débattu devant les députés constitue une évolution positive à savoir :

- - Temps d’étude des dossiers préparatoire à l’audience

- - Temps d’étude des dossiers postérieure à l’audience et préalable au délibéré

- - Temps de rédaction du jugement

les moyens en temps prévus par ce texte ne correspondent pas aux nécessités du service. Le.temps de rédaction du jugement est plafonné à 3 heures quelle que soit l’importance du dossier .

Il est possible de déroger à ce principe notamment en cas d’affaires multiples concernant une seule entreprise, ce que nous appelons une "jonction de dossiers", mais le temps octroyé demeure manifestement irréaliste et je vous en donne un exemple.

Nous avons eu à traiter récemment une jonction de 8 dossiers . Si le projet de loi et les décrets afférents étaient approuvés en l’état , nous ne disposerions pour la rédaction du jugement d’une telle jonction de dossiers que de 4 heures de rédaction pour 8 décisions, soit 32 minutes pour chaque demandeur.

En réalité il a été nécessaire de consacrer plus de 5 heures par justiciable soit 40 heures de travail à l’élaboration du jugement (dont seules 32 heures ont été payées par le ministère de la Justice : plafond actuel de remboursement) .

On ne peut pas dire que le rédacteur était "incompétent" dans ce cas car c’était un employeur - expert comptable de métier et connaissant parfaitement le sujet qui était soumis.

En fait, toutes les demandes étaient différentes tant par leur nature que sur le calcul des droits et là résidait toute la complexité du dossier qui nécessitait des recherches juridiques sur les dispositions de la convention collective et calcul précis des droits à indemnités en fonction de différents paramètres personnels (comme l’ancienneté par exemple)

Le souci de la bonne gestion des deniers publics, que je comprends parfaitement, conduit le ministère de la Justice à des décisions irrationnelles qui mettent en péril le fonctionnement même de l’institution prud’homale.

Dans les Conseils , et celui où j’exerce notamment , la dotation en temps plein des greffes a été continûment réduite, ce qui est une reconnaissance indirecte du travail fait par les conseillers qui peu à peu se dotent à titre individuel de matériel informatique, ce qui limite grandement le travail de secrétariat des greffes .

Nous avons ainsi perdu sur trois temps pleins initiaux , un mi-temps , ce qui représente 33% de baisse des frais salariaux du greffe.

Le ministère de la Justice a donc pu faire un gain substantiel grâce à l’investissement personnel des conseillers prud’homaux. Aujourd’hui c’est la possibilité même de faire face à la charge de travail qui est en jeu, comme on le constate dans l’exemple exposé.

Les conseillers prud’hommaux sont des gens responsables ; ils demandent simplement que pour ces dossiers à demandes multiples, les budgets soient au moins maintenus en leur état actuel .

Il faut savoir aussi que l’employeur d’un conseiller salarié est remboursé par le ministère de la Justice pour le temps consacré par son salarié à ses fonctions prud’homales - ce qui est normal . Le conseiller salarié bénéficie du maintien de son salaire pendant ses heures de vacation validées par le ministère.

Dans l’hypothèse où ne sera octroyé pour la rédaction de nos 8 décisions qu’un remboursement de 4 heures à l’employeur , aucun salarié ne pourra être en mesure de prendre en dehors du temps de travail : 32 heures - 4 heures soit 28 heures de travail sur temps personnel pour UNE SEULE affaire.

S’il prend ces heures sur son temps de travail , l’employeur qui n’a pas la contrepartie reversée par le ministère de la Justice, peut au mieux ne pas rémunérer le salarié , au pire , comme cela a été le cas à Thonon à la suite d’un dépassement de forfaits horaires... le licencier pour abandon de poste injustifié.

Ce qui veut dire que de tels dossiers devront être confiés, pour rédaction, à des conseillers employeurs qui seuls n’ont aucun compte à rendre sur leur emploi du temps .

Ce qui veut dire aussi que le paritarisme n’existera plus au sein des Conseils de prud’hommes pour la phase de rédaction des jugements .

Il y a là quelques questions à se poser avant qu’il ne soit trop tard et que le justiciable d’un conseil des prud’hommes, que nous sommes tous potentiellement, ait à pâtir de ces nouvelles dispositions.



13 réactions


  • éric (---.---.219.148) 3 juillet 2006 15:38

    Le droit du travail dérange ! Comme il est difficle de le supprimer (politiquement parlant) il « suffit » de le rendre quasi-inapplicable.


  • Marsupilami (---.---.174.91) 3 juillet 2006 17:20

    Ouaf !

    Très bon papier. Si le petit Nicolas Sarkozy est élu, on peut être sûr que les prud’hommes vont salement dérouiller pour les punir d’avoir puni les saloperies dues au CNE... et tout simplement pour démanteler le droit du travail.

    Houba houba grrr...


  • gem (---.---.117.250) 3 juillet 2006 17:48

    Plaidoyer pro-domo que je trouve de mauvaise foi.

    OK, il est bien évident que certains dossiers réclament plus de temps que le forfait. Mais inversement, il y a bien des dossiers qui réclament moins de temps que le forfait... non ?

    D’autre part, je suppose qu’un type bien organisé est capable de sortir de l’audience avec sa décision déjà rédigée, en combinant un modèle, les arguments décisifs, et les éléments préparés à l’avance. Non ?

    Le droit du travail dérange ? Pardine, s’il faut une semaine de boulot rien que pour prendre une décision (sans parler des procédures avant et après !), et bien oui, je comprend qu’il dérange ! Et je trouve même qu’il est bon pour la réforme. Ne serait que pour le rendre vraiment accessible aux justiciables (si des spécialites ont besoin de tant de temps, qu’est-ce que c’est pour un simple salarié !)

    Au lieu de demander plus de temps, les prud’hommes serait bien inspéres de demander (et de construire, par leur jurisprudence !) des règles qui soit compatible avec une décision rapide ...


    • carnac (---.---.7.104) 5 juillet 2006 16:57

      Il n’y a aucune mauvaise foi dans ce témoignage qui demande simplement :

      DU TEMPS POUR LA JUSTICE

      -  Lorsque nous parlons de 3 heures par dossier, j’en suis d’accord avec vous, une solution pourrait être d’en faire une moyenne et non pas un plafond comme actuellement ; Ceci dit personnellement je ne compte que le temps exact passé par dossier lorsqu’il se trouve en dessous du forfait de temps alloué et je peux témoigner que la plupart d’entre nous procédons ainsi dans notre conseil.

      ceci dit cela ne règle pas le problème des dossiers joints autrement dit de nos 8 dossiers effectifs cumulés en un seul dossier .

      Lorsque vous refaites toutes les fiches de paie erronées d’un seul dossier il est évident que cela prendrait à un expert comptable du temps et que cela prend tout autant de temps aux conseillers prud’homaux qu’à ce professionnel ... ce n’est pas en l’espèce la décision juridique qui était longue à prendre mais ses conséquences comptables.

      UN DROIT DU TRAVAIL TROP COMPLIQUE ?

      -  Je constate que la cour de cassation ne vit que sur ce que les justiciables considèrent comme des erreurs d’arrêts des cours d’appels .
      -  Comme quoi le parfait n’existe pas dans notre hexagone même en dehors du droit du travail qui n’occupe que la chambre sociale de la cour de cassation laquelle se compose de nombreuses autres chambres : civile , criminelle etc... Faut-il supprimer les droits pour autant ?

      Et si c’était la marque des démocraties que d’avoir des tribunaux pour régler les litiges ? y avez-vous pensé ?

      ELABORATION DE LA JURISPRUDENCE DU TRAVAIL :

      -  Les prud’hommes construisent actuellement la jurisprudence du CNE ... mais peut être que cette jurisprudence vous dérange ? Prenons donc un exemple plus consensuel.
      -  en d’autres temps les conseils des prud’hommes ont construit la jurisprudence de l’astreinte à la Française qui est largement plus indulgente pour les employeurs que la jurisprudence de la cour européenne . Dans le domaine de l’astreinte , la cour européenne estime que :
      -  soit on est à la disposition de l’employeur et c’est du temps de travail à payer comme tel ,
      -  soit on est au repos
      -  mais pour la Cour Européenne le repos assorti d’une contrainte à savoir l’astreinte n’est pas acceptable.

      -  La cour européenne a donc une position « on ne peut plus simple » elle paye l’astreinte comme du temps de travail effectif - solution qui n’est pas du goût des employeurs hexagonaux .

      Certaines solutions « simples » ne prennent pas en compte la totalité d’une problématique comme l’exemple ci-dessus en témoigne .

      Je pense que le code du travail peut être allégé notamment dans le cadre d’une flexi-sécurité

      Quand je dis alléger le code du travail c’est évidemment en conservant l’équilibre entre les intérêts des salariés et les intérêts des employeurs.


    • JG (---.---.42.2) 20 juillet 2006 16:32

      Si on suit ce raisonnement il suffira de programmer des ordinateurs pour rédiger et rendre des décisions. Que fait on de l’intéret des justiciables, alors que le recours à des avocats est de plus en plus obligatoire (Cour de Cassation, Conseil d’Etat, Cour administrative d’Appel...)

      Eh bien oui, le droit du travail est complexe et évolue tout les jours ( au fait, le temps rémunéré pour se former n’est payé qu’à hauteur de 5 semaines sur 5 ans )et les Conseillers doivent déja se former durant leur temps libre (beau cadeau pour le ministère).

      Le risque est de voir des jugements rédigés à la va-vite et réformé, mais c’est peut etre le but visé pour « casser » les prud’hommes ?


  • Adolphos (---.---.59.170) 4 juillet 2006 11:39

    « ces tribunaux de proximité »

    Les prud’homme ne sont pas des tribunaux de proximités.


    • (---.---.7.104) 5 juillet 2006 16:31

      J’aurais voulu que vous développiez votre pensée car pour ce que j’en vois ils le sont : Il en existe plusieurs pour un seul département : l’employeur comme le salarié n’ont donc pas lieu de faire de longs déplacements pour être reçus.

      Les listes électorales soumises aux salariés comme aux employeurs sont des listes de personnes qui habitent le secteur à pouvoir et qui connaissent donc particulièrement bien les bassins d’emplois concernés par d’éventuels litiges puisqu’ils y travaillent.

      Ce sont tous les salariés comme tous les employeurs qui sont susceptibles de voter pour lesdites listes.

      Il n’y a pas besoin d’avocat pour faire valoir ses droits devant un conseil des prud’hommes

      La procédure peut être totalement orale ce qui évite que les personnes qui ne manient pas l’écrit soient désavantagées.

      A tître indicatif je viens d’avoir une audience où une employeur italienne s’opposait à son représentant commercial en France : elle est venue expliquer son affaire seule oralement à la barre dans un mélange d’italien , d’anglais et de français ; nous sommes prêts de la frontière donc l’italien nous est familier, le sabir anglais aussi et pour le français une fois gommé l’accent cela allait .


  • carnac (---.---.7.104) 5 juillet 2006 17:00

    Marsupilami , vous avez raison Ce forum est un espace de débat civique et civilisé qui a pour but d’enrichir cet article.notre quidam n’apporte strictement rien au débat en cours


  • jule (---.---.121.155) 15 septembre 2006 15:38

    Le problème de la prud’homie est le manque de formation juridique des conseillers (malgrès un effort de certains)et de la culture du compromis règnant au sein des conseilles.

    Il est vrai que l’objectif du ministère et des chefs de cours est de reduire les temps de vacations. Pour cela il se calque sur un modèle qu’ils metrisent mais font fit de l’aspect d’exeption dont la la prud’homie revête.

    Mais il est vrai aussi que la decision est rarement rédigée par les conseillers eux mêmes. En effet, seul quelques éléments de la discution sont présentés au greffe, qui à la charge de ce dernier à reprendre l’exorde, remanier la discution et qualfier la decision.

    Sans avoir à polimiquer, on ne s’improvise pas juge et on oublie souvent l’intérêt du justiciable au profit des guerres de paroisses.

    amicalement vôtre.


    • carnac (---.---.7.104) 17 septembre 2006 13:55

      Je pense que vous avez une expérience d’un conseil des prud’hommes qui ne correspond pas du tout à celle que je vis. Avec un temps et demi complet de greffe pour 30 conseillers , notre greffe serait dans la pire des difficultés s’il fallait qu’il rédige nos décisions.

      Non seulement nous rédigeons seuls,mais faute de matériel informatique aux greffes , nous rédigeons avec notre matériel personnel et nous mettons à un point d’honneur à ce que le greffe n’ait plus qu’un copier coller à faire de nos décisions.

      On ne s’improvise pas juge, j’en conviens mais avec nos 2% de décisions retoquées par la cour d’appel nous ne sommes quand même pas si nuls que cela ...

      Du reste la cour de cassation ne passe-t-elle pas tout son temps à retoquer les décisions de juges professionnels .

      La particularité des décisions prud’homales c’est qu’elles passent leur temps à adapter un code du travail qui n’évolue pas aussi vite que les pratiques d’où la difficulté de ce sujet toujours en mouvement comme les juges professionnels le reconnaissent d’ailleurs.


  • jabi (---.---.57.99) 14 janvier 2007 12:44

    Comment se fait-il que vous ayez décidé la jonction de huit dossiers dont les demandes étaient de nature différentes ? Un seul délibéré et donc une rédaction unique, aux quantum près, n’était évidemment pas possible. La jonction de dossiers n’est une mesure d’administration judiciaire destinée à gagner en temps et en efficacité qui n’avait pas à être decidée dans le cas que vous présentez. Ce n’est pas pour autant que votre témoignage n’est pas interessant.


  • Annie 13 octobre 2007 10:11

    Salut à tous ceux que le justice prud’homale (donc sociale) ne laissent pas indifférents (quelque soit leur opinion que je constate, en lisant les autres commentaires, différente selon l’expérience vécue sur le terrain).

    Je fais partie de l’un des dix plus gros conseils de France depuis 15 ans (ceci pour me situer) et j’ai à mon actif la rédaction de plus de 1000 jugements (seule - sans aide du greffe après une formation longue difficile et qui continue chaque jour en raison de la spécificité de notre droit social).

    Je ne situe pas le problème de la forfaitisation sur la question de savoir si 3, 5 ou plus d’heures sont nécessaires à la rédaction d’un jugement mais sur celui de la séparation des pouvoirs.

    Si les juges appliquent les lois votées par les députés, ce n’est pas à eux, sauf à s’ingérer dans le fonctionnement des juridictions, de déterminer en quel temps ils le font surtout lorsqu’ils ne savent manifestement pas de quoi ils parlent.

    Je m’appuie sur l’article 6.1 de la convention européenne des droits de l’homme. Vous savez,elle rappelle que tout justiciable a droit à un juge indépendant et impartial ?

    Je revendique le droit de déterminer librement le temps qui est nécessaire pour rédiger une décision qui permettra au justiciable de savoir sur quelles bases il a été débouté ou condamné.

    J’ai prêté serment (et des milliers d’autres avec moi) d’appliquer et de respecter la loi.

    C’est une tâche difficile et ingrate (on le voit quand on vient nous donner des leçons et tenter de nous imposer une forfaitisation).

    La Cour d’Appel de CHAMBERY ne s’y est pas trompée quand elle estime que seul le juge peut estimer le temps qu’il passe à rédiger et, ce, avec toute sa conscience.

    Alors, arrêtons ces querelles qui ne peuvent que satisfaire les ennemis de la prud’homie et de la justice en général et rappelons à ceux qui veulent y faire barrage que la justice n’est pas négociable.

    Si un combat doit être mené que ce soit pour que nous ayons les moyens nécessaires de le faire, notamment par une formation forte et continue.

    Ce qui est au bout, ce ne sont pas les intérêts du gouvernement, de certaines organisations syndicales qui aimeraient s’en approprier, c’est l’intérêt du justiciable qui se présente devant nous et a le droit d’avoir une décision juste et, ce, quelque soit le temps qu’y aura passé le juge qui l’a rendue.


Réagir