Les Français sont cupides
Voilà quelques années, j’entendis un étranger dire que « les Français sont cupides ». On ne s'y attend pas à celle-là. D'habitude, il y a un French Bashing pour expliquer que « les Français sont, au choix : 1° sales, 2° arrogants, 3° paresseux ». Mais « 4° cupides » … ! Celle-là me semblait bien la meilleure !
Il faut dire que, dans mon gauchisme et mon universalisme alors, je ne voulais voir « mon pays » (qui ne « méritait » d'être « mon pays » « que » dans la mesure où il était gauchiste et universaliste … à se prendre, nombriliquement, pour le bienfaiteur planétaire suprême et absolu …) … je ne voulais voir « mon pays », que dans l'optique exponentielle d'une idéologie des Lumières magnifiques, accouchant d'une Révolution parfaite, en vue d'un Monde meilleur et (pourquoi pas ?) d'un Cosmos encore plus ravissant (ces escomptes sont très fréquents, entre gauchistes et universalistes, pour ne pas dire « cupides d'idéaux » ! une singularité étonnante qui s'éclairera dans cet article).
Ou bien, si « mon pays » était cupide, cela devait « forcément » venir de « la droite », sans parler de « l'estrèmdrwate » pas partageuse du territoire avec toute la Terre sans frontière ! …
Mais enfin, à observer l'aisance avec laquelle le monde anglophone – et pas que ce monde – parlent d'argent (contrairement à notre pudibonderie à ce sujet), ainsi que les allègres donations (d'affairisme plus ou moins philanthropique) ayant lieu çà et là régulièrement à l'étranger (certes, et logiquement, sans que cela ne saigne les grandes fortunes : ne soyons pas mauvais, à la fin la donation a eu lieu et l'argent sert autrement que pour le pur profit), on se dit que « nous autres, Français », sommes bien étranges. Car nous croustillons de renseignements financiers tout en nous mêlant de budgétisations étatistes d'institutionnalisation mutuelle (qui nous dédouanent de nous soucier directement de la misère : ce sont ainsi des cohortes d'assistants sociaux qui en font métier, en se sentant l'âme de bons samaritains payés selon un barème fonctionnarial).
Mais si nous craignions de parler d'argent en vérité, parce que nous nous méfiions, justement, de la cupidité de nos concitoyens jusqu'à la paranoïa (délire rationnel) ? … C'est dire, comme la cupidité française serait grande alors !
SuperDupont, paru dans Fluide Glacial. Source de l'image.
Une déclaration rare, voire fallacieuse, que cette allégation de cupidité française
C'est ainsi que je partis en quête d'informations, pour savoir si l'étranger qui m'avait balancé que « les Français sont cupides » n'avait pas inventé cela tout seul. Ma belle-famille suisse s'en est évidemment donnée à cœur-joie (surtout mon beau-père et mon beau-frère, c'est de bonne guerre entre hommes gravitant familialement autour d'une femme chérie). Or, contrairement aux idées reçues, ça n'est pas parce que la Suisse est le coffre-fort du monde (c'est de moins en moins vrai avec la levée du secret bancaire et autres paradis fiscaux) … ce n'est pas parce que la Suisse est le coffre-fort du monde, que tous les Suisses roulent sur l'or et son cupides. À la limite, c'est comme de dire que « les Français sont sales, arrogants, paresseux et cupides », mais à la limite seulement, car il est plutôt vrai que « les Suisses sont prudents – pour ne pas dire lents – et qu'ils sont consensuels – pour ne pas dire conformes » (à tout, il y a un revers, et « si les Français sont sales, c'est qu'ils sont aventureux ; arrogants, rayonnants ; paresseux, raisonnés ; cupides, économes »). Bref ! ma belle-famille m'aidait dans son genre, mais il est aussi vrai qu'existe le French Bashing.
Or, une recherche par Internet ne donne rien de spécial. Tapez ici ou là que « les Français sont cupides » ou seulement « Français cupides », et vous ne trouverez rien de tel que cette sentence de l'étranger qui m'a balancé ça. À ce point, dans la mesure où les moteurs de recherche ne disaient rien de tel (car j'en ai fait plusieurs, et n'utilise que rarement le dominant, au profit de Qwant ou Duckduckgo …) … dans la mesure où les moteurs de recherche ne disaient rien de tel, j'aurais pu renoncer en me disant que « non, décidément, c'est la lubie de mon vieil interlocuteur étranger que cette cupidité française ». Sauf que j'ai moi-même « élargi mes critères de recherche en esprit », c'est-à-dire que j'ai fait preuve de feeling. Qu'ai-je alors trouvé ?
L'Histoire secrète de la cupidité française
Quelqu'un comme moi, féru d'âme territoriale autant qu'il est permis – notamment depuis les Celtes (1, 2) – devait aller rechercher jusque là. Où l'on découvre que les Celtes, vastes mercenaires (notamment embauchés par les différents acteurs des querelles méditerranéennes et jusqu'en Turquie galate) avaient une réputation de cupidité, en plus de leur impiété et de leur cruauté. Si ce sont des allégations étrangères, c'est-à-dire de la part de leurs embaucheurs et de leurs victimes … il n'en reste pas moins que toute réputation ne vient pas de nulle part. Disons que les Celtes étaient économes, pour faire bonne mesure, ou qu'en tout cas ils ne s'en laissaient pas compter en affaires, quittes à passer pour avares (mais qui veut s'en laisser compter en affaires, au juste ? … Personne). À partir de là, il y a une base antique, or il est vrai que jamais les conquérants n'ont remplacé les populations locales ; c'est ainsi que cette « cupidité » a potentiellement des racines pré-celtiques, et qu'elle a pu survivre à la romanisation ainsi qu'à la christianisation, sans parler de la récente républicanisation industrielle et commerciale.
Pendant l'époque féodale, les juifs purent aisément servir de bouc-émissaires à l'idée que la cupidité était dans leur caractère religieux. D'une part, de toutes façons, hypocritement on leur laissait les métiers d'usure … et, d'autre part, il est toujours plus facile d'accuser autrui de nos propres traits, afin d'éviter de nous regarder au miroir. Mais puisqu'il y a un fond de vérité dans toute réputation, nous dirons que « les juifs aussi, sont économes » comme leurs concitoyens chrétiens de France ! Où l'on comprend aisément que les Français juifs sont de l'ethnie française autant que leurs concitoyens chrétiens : qui se ressemble s'assemble (à se demander ce que viennent faire des musulmans antisémites dans le lot français, aujourd'hui, sinon par cupidité dans un pays riche, d'autant plus que le sémitisme désigne aussi les populations arabes, Arabie d'où est originaire le Coran … passons).
Et puis, en pleine révolution industrielle et commerciale républicaine au XIXème siècle, la France est le pays d'où a émergé le plus grand ethnographe de la cupidité, j'ai nommé Honoré de Balzac. Or, que l'on se comprenne bien : en cette époque, la littérature ne désignait pas ce recoin plus ou moins obscur des amateurs de lecture, dont certains fréquentent encore de rares bouquinistes, aujourd'hui. Non. À l'époque, la littérature désignait l'ensemble des communications à distance, fictionnelles et informatives. Elle avait une forte fonction documentaire et testimoniale, comme durant tous les siècles d'existence de l'écrit précédant l'avènement des médias de masse (de la presse encore littéraire, jusqu'à Internet certes en partie littéraire, mais vaste médiathèque « multimédia » en vérité, comme on dit désormais, quand on dit qu'il n'y a pas que de la lecture … ). Voilà pourquoi il est permis de qualifier Honoré de Balzac d'ethnographe. Et, même s'il était au faîte de ce qui se tramait dans toute l'Europe, ça n'est pas « toute l'Europe » qu'a dépeint Balzac, mais précisément la France. Un esprit génial tel que le sien, parla donc des Français à l'heure de la République industrielle et commerciale montante, et aujourd'hui bien assise dans la macronie : les Français sont cupides.
Mais je n'ai pas terminé cette Histoire secrète de la cupidité française. Car de nos jours, les boucs-émissaires tout désignés, à défaut de pouvoir être les juifs de façon publiquement admissible, ce sont les écoles de commerce (je vous laisse apprécier le lien). Et puis, bien qu'il ait une ascendance brésilienne et libanaise, Carlos Ghosn est aussi Français : TF1 adore désigner ce genre de têtes, avec l'émission Capital sur M6 et ses audiences record. Il faut dire que l'affaire Cahuzac est impayable ... Alors, comme je l'ai dit en en-tête : nous croustillons de savoir, car – au fond – nous adorons nous projeter dans ces cupidités.
Or, croyez-moi, cela n'est pas de tous les pays ni de toutes les cultures : la France a un don pour cela, qui s'exprime évidemment à merveille dans la vindicte parfois irrationnelle des gauchistes – et, à la limite, surtout dans leur vindicte, qui peut ici se payer de bonne conscience militante par-dessus le marché au prétexte de la mondialisation (dont la réputation contient certes aussi un fond de vérité, mais …).
Finalement, le philosophe Philippe Petit (car, en France, tout finit toujours par être plus ou moins « philosophé » par quelque « intellectuel » …) … finalement, le philosophe Philippe Petit peut se demander pourquoi la cupidité est devenue une valeur – alors qu'elle en fut toujours déjà une en France depuis l'Antiquité, et qu'Emmanuel Macron fait un très bon bouc-émissaire supplémentaire, entre opérations pour les juifs Rothschild et passages à l'ENA quasi-équivalente des écoles de commerce, en termes de standing. Mais certes, Milton Friedman et Ayn Rand avaient contribué à dérider les Étasuniens quant à la chose, ces cinquante dernières années, sinon qu'en France cela s'est vautré en névrose fiscale.
Bilan provisoire avant liquidation
Ainsi, jusqu'au XXème siècle en tout cas, il y avait à droite des catho-tradis très à cheval sur leurs fortunes contre tout sens évangélique, tandis qu'a gauche il y avait des laïcs voire des militants athées (« la religion opium du peuple » répétaient-ils, après avoir entendu quelque part que ça se laissait peut-être lire déjà chez Karl Marx) … il y avait des laïcs voire des militants athées, qui étaient plus évangéliques que l'évangile, au nom de leur vindicte anti-cupidité elle-même animée par leur cupidité frustrée : cupidité française.
Et bien que le catholicisme soit réduit à une obscure communauté parfois militante dans la MPT face au MPT, et bien que le gauchisme marxiste (articulant cette bonne vieille lutte finale des prolétaires contre les capitalistes) soit réduit de même à une obscure communauté parfois militante notamment aux élections présidentielles (dernière fenêtre où ils se laissent voir – il faut dire, les mass-médias privatisés ne laissent plus de fenêtres à rien que leur extrême-centrisme …) ... il se trouve que les dynamiques cupiditaires (qui ne sont ni spécialement libérales, ni spécialement capitalistes en vérité, bien que ça aide au plan économique) se perpétuent dans notre pays, aussi appauvri serait-il au quotidien, avec ou sans covidisme hystérique.
Or, naturellement, le seul réflexe d'un Français cupide, face à l'appauvrissement, c'est l'épargne qui ne change rien dans l'ensemble ; de même, face à la peur générée par la superfétation autour de santés théoriquement menacées.
Bref, les Français sont sales/aventureux, arrogants/rayonnants, paresseux/raisonnés, et cupides/économes. CQFD.
Post-scriptum
Je ne me fais pas l'espoir que cet article y change quoi que ce soit : d'abord parce que nous sommes obscurément dans la petite communauté marginalisée d'AgoraVox.fr, certes … mais ensuite et surtout, parce que, de toutes façons, avec notre réputation de politesse et de tact (arrogante, mais aussi paresseuse), eh bien, à la fin, ce sera toujours « fais ce que voudras ». Et ne sommes-nous pas cupides face à tout ce qui prendrait ou semblerait seulement prendre, sur nos libres velléités ?
Décidément, mon étranger avait raison, quand il me lançait : « les Français sont cupides ».
Les Français sont cupides.
Le Français cupide qui chantait l'anarchisme ...
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