Les images des fruits et légumes de Fukushima : une manipulation de l’opinion ?
Le net bruisse depuis une petite semaine de messages se propageant de façon virale, montrant des légumes et fruits de déformés, collectés dans la région de Fukushima, durement frappée par une catastrophe nucléaire. Mais ces photos ont elles « réellement » été prises dans la région de Fukushima ? Pas vraiment. Nous sommes donc face à un bidonnage journalistique, à l’image de certaines interventions soit disant réalisées dans des conditions de guerre, ou d’une fausse interview du leader Massimo, ou de réfrigérateurs jetés « live » d’une tour HLM de banlieue…
Parmi les intérêts d’internet, on ne peut nier qu’il constitue un réservoir important de données y compris de données photographiques. Cela permet de trouver des photos touchantes, comme celles de ses anciens copains de classe, ou amusantes, comme de mauvaises retouches « photoshop » d’images publicitaires. Cela permet aussi de retrouver l’origine de certaines photos que l’on a voulu nous présenter comme représentant la réalité, alors qu’elles ne la représentent pas du tout. Tel est le cas de plusieurs des photos des fruits et légumes prélevés autour de Fukushima, photos qui circulent en ce moment à grande vitesse et haut débit sur la toile (voir par exemple 1, repris par 2). Avant d’analyser cela en détails, il reste nécessaire de préciser qu’en aucun cas il ne s’agit là de remettre en cause le fait qu’un accident nucléaire civil majeur s’est produit à Fukushima, et que celui a eu et aura des conséquences importantes sur la santé des populations concernées. L’analyse se situe ailleurs...
Cas n°1 : la tomate aux pousses vertes.
Cette photo n’est pas récente. Elle a été prise voilà plus d’un an, en 2012, certes au Japon, non pas à Fukushima, mais à 900 km de distance, dans une zone peu affectée par les radiations. Elle a été publiée par le journal Asahi Shimbun dans un article où les radiations ne sont pas mentionnées. D’autres cas de tomates ont été décrits ; ils ne sont pas rares lorsque les tomates commencent à « vieillir » (3 ,4).
Cas n°2 : le radis en forme de main à 5 doigts
La photo est encore plus vieille puisqu’elle date de 2004. Publiée sur le site coréen « Nate », elle montre un radis étrange retrouvé dans un jardin potager (5). Une version « pied » plutôt que « main » a également été décrite (6), certes au Japon, mais en 2007, donc bien avant Fukushima !
Cas n°3. Le chou géant
Là aussi, la photo n’a pas été prise à proximité de Fukushima, mais à quelques 1200 km de distance, et publiée par le journal Oita Godo Shimbun (7) en 2012. De tels choux géants existent dans d’autres régions du monde, par exemple aux USA (8).
Cas n°4 : la mandarine bicolore
Celle-ci a été récoltée en 2011 non pas à 10, 2à, 5à, ou a100 km du site contaminé, mais à 1600 km de distance de Fukushima, dans une région peu affectée par les radiations. De tels fruits ont déjà été décrits (y compris chez d’autres espècs comme le citron ou le melon) avant la « mandarine de Fukushima », par exemple en 2009 (9), ou dans des régions non affectées par une catastrophe nucléaire.
On pourrait continuer ainsi l’analyse de ces images qui montrent en vérité des mutants végétaux qui ont tous ou presque déjà été décrits ou observés par les jardiniers potagers (ex. aubergines multiples, maïs bifide, pêches ou abricots jumeaux, etc.), ce qui démontre que ces mutations ne sont pas spécifique à Fukushima. Elles peuvent en effet se produire partout sur terre. La conséquence des radiations sur le matériel génétique est simplement d’augmenter le taux des mutations, qui résulte de l’accroissant du taux de réparation – et donc de réparation erronée - des cassures de l’ADN, elles produites par les radiations. Un effet Fukushima devrait dont être recherché dans la fréquence d’apparition de ces mutations, et pas dans leurs résultats visibles, ce que les généticiens appellent le génotype. Inutile de dire que ces travaux vont prendre encore des mois de travail aux équipes sur place…
« Les bidonnages avérés ont trait à l'image » disait le sociologue Jean-Marie Charon. Il ajoutait « Dans la presse écrite, la reconstitution des paroles, la contraction de la citation, les effets de mise en scène, les récits enjolivés sont considérés comme anodins. Notre tradition littéraire française est souple avec le caractère véridique des mots dès lors que la trame de la vérité est respectée ». Si tel était le cas ici, nous ne serions en présence que d’un péché véniel, mais malheureusement la faute est plus grave. Cette faute grave évoquée est en fait la volonté - d’ailleurs pas toujours formelle - de manipuler l’opinion au travers de la production d’images « chocs », non liées pour bon nombre d’entre elles à l’accident nucléaire. Cette stratégie a été celle suivie par le biologiste G.-E. Séralini lorsqu’il a montré et fait montrer dans la presse des rats déformés par des tumeurs massives lors d’une expérience d’évaluation des risques toxicologiques de la consommation de maïs OGM, ou d’ingestion de l’herbicide RoundUp. L’analyse fine des données qu’il a publiées a pourtant fait ressortir l’absence de corrélation statistiquement significative entre nombre, taille et type de tumeurs et traitement (ou non) des rats. La déontologie, et encore une fois l’objectivité, auraient donc voulu que le chercheur présentât alors des photos de rats traités et non traités en indiquant qu’aucune différence n’avait été notée. Au lieu de cela, nous n’avons eu droit qu’à une splendide opération de communication…
Cette stratégie dénoncée dans le cas des légumes de Fukushima ou des « rats de Séralini » poursuit un objectif précis qui n’est pas l’information objective, mais l’information militante, et donc orientée. Il s’agit - en l’occurrence - de rajouter de la peur (si possible massive) à l’horreur, stratégie qui s’apparente à la « stratégie du choc » si bien décrite par Naomi Klein dans l’ouvrage éponyme. La peur rend en effet le raisonnement plus difficile et permet « par la masse » l’acceptation des conclusions que l’on vous livre. Ici, et pour faire simple : « le nucléaire est dangereux, il ne faut donc pas de nucléaire ». Or cette question, qui reste importante, mérite un débat éclairé et serein sur les risques et avantages des différents modes de production d’énergie, ou sur la façon de « produire » la meilleure énergie possible, celle que l’on ne consomme pas et que l’on économise. Tout cela n’est pas admissible par certains dans la société, qu’ils fassent partie d’ailleurs de groupes de pressions économiques, de lobbys, ou d’associations militantes aux objectifs douteux.
Références
3. http://kraalspace.blogspot.fr/2011/01/alien-tomatoes.html
4. http://www.klru.org/ctg/blog/?p=6372
5. http://pann.nate.com/talk/552221
6. http://www.vjcc.com/cc_05-07.htm
7. http://www.oita-press.co.jp/localNews/2012_133980929092.html
8. http://www.timesdaily.com/archives/article_c190664d-6803-5779-bbd9-3322a7604dbc.html