« Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ? »
- Pierre Bergé lors de la manifestation en faveur du mariage homosexuel le 16 décembre à Paris. © Jean-Baptiste Quentin / Maxppp/Le Parisien
La manifestation de dimanche contre le projet de loi Taubira sur le mariage et l'adoption par des couples homosexuels a rencontré un succès impressionnant ; c'est tout simplement la plus grande manifestation en France depuis trente ans. Cette question sociétale, que d'aucuns considèrent comme étant surtout de la pure diversion pour ne pas parler de la déroute du gouvernement en matière économique et sociale (rappelons que la barre des 9 millions de chômeurs a été atteinte, soit un quart de la population active, loin des 3 millions annoncés), a réussi à davantage mobiliser que tous les autres sujets réputés sérieux.
Parmi les manifestants, certains n'étaient sans doute pas complètement hostiles au mariage entre homosexuels (ou à un PACS amélioré, égalisant les conditions), mais c'est l'adoption et, plus encore, la PMA et la GPA en ligne de mire, qui posent véritablement problème, et même semblent se heurter à des tabous très profonds.
Les manifestants avaient peut-être en mémoire les propos monstrueux de Pierre Bergé, fondateur du journal Têtu et actionnaire du Monde, qui déclarait en décembre : "Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA (gestation pour autrui, NDLR) ou l'adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant." Lorsque certains voient désormais dans les pays de simples hôtels, d'autres voient dans les femmes (pauvres, on l'imagine) de simples usines... où l'on fabrique les bébés des autres (des bourgeoises, peut-on aussi imaginer).
Le 15 janvier, Virginie Duby-Muller, député UMP de Haute-Savoie, a rappelé aux socialistes les propos ahurissants de leur "maître-à-penser" Pierre Bergé :
Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement, partage, à une nuance près, les convictions de Pierre Bergé ; elle a co-signé le 13 décembre 2010 une tribune pour légaliser la Gestation Pour Autrui, le fait qu'une femme puisse porter dans son ventre l'enfant d'une autre femme. Pour la porte-parole du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, la filiation n'a plus rien de naturel de nos jours ; voici un extrait de la tribune qui nous éclaire sur son idéologie :
"La multiplicité et la plasticité des modèles familiaux ne peuvent être ignorées plus longtemps. En sociologie, en psychanalyse et en droit, voilà bien longtemps que les liens sociaux priment sur les liens biologiques. Parenté et filiation n’ont rien de naturel, ce sont des liens institués. Ce ne sont pas les liens génétiques mais la manifestation de la volonté d’être parent, l’engagement irrévocable, et la réalité d’une vie de famille qui font d’une personne un parent. Ce n’est pas le fait de porter un enfant qui fait d’une femme la mère de cet enfant, mais le fait de le vouloir, de s’engager à l’élever et de s’y préparer."
Ce qui distingue Najat Vallaud-Belkacem et Pierre Bergé, c'est que la première refuse toute idée de location du ventre ; la gestation doit être altruiste :
"La gestation pour autrui ne sera une authentique pratique altruiste que si elle est encadrée. [...] Pour éviter toute forme de dérive, nous proposons de ne pas autoriser les femmes sans enfant à porter un enfant pour autrui, de limiter le nombre de gestations pour autrui par femme, et de fixer une limite d’âge. Nous ne proposons pas de permettre à une mère de porter un enfant pour un de ses descendants. Nous excluons toutes relations financières entre les parents et la femme qui porte leur enfant."
Il n'en reste pas moins que cette idéologie qui récuse l'idée que la nature fonde le lien (du moins le plus souvent) entre parents et enfants a quelque chose d'inquiétant, elle remue instinctivement beaucoup d'entre nous. L'autorisation de la GPA pour les couples d'hommes n'est certes pas à l'ordre du jour, mais elle est le corollaire inévitable de la PMA pour les lesbiennes. Et, comme on peut le lire dans Le Figaro, "dans sa grande majorité, la communauté médicale est opposée à la GPA et à la « marchandisation » du corps de la femme. Même le Pr Yvon Englert, chef du service de gynéco-obstétrique de l'hôpital Erasme à Bruxelles où se rendent nombre d'homosexuelles pour « fabriquer des bébés Thalys », est prudent : « Avec la GPA, on prend des risques énormes. Après neuf mois de grossesse, on peut s'arracher l'enfant entre parents et gestatrice ou, au contraire, le rejeter totalement sous prétexte d'une malformation. Je n'en fais pas. »" Porter un enfant pendant neuf mois, ça peut "naturellement" créer quelques liens, qu'il peut être ensuite cruel de rompre.
La fin de l'altérité sexuelle
En 1998, au moment de l'adoption du PACS, Elisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, disait son opposition au mariage et à l'adoption par des couples homosexuels, se référant à des expertises psychiatriques et faisant l'éloge de l'altérité sexuelle - un enfant ayant, selon elle, besoin d'un homme et d'une femme pour se développer convenablement :
Aujourd'hui, changement de discours. Lundi soir, dans "Mots croisés", un débat très intéressant a réuni partisans et détracteurs de la loi Taubira : d'un côté, Najat Vallaud-Belkacem (PS), Barbara Pompili, députée EELV de la Somme, l’avocat Emmanuel Pierrat, de l'autre, Bruno Gollnisch (FN), Henri Guaino, député UMP des Yvelines, et l’abbé Pierre-Hervé Grosjean, du diocèse de Versailles.
Après que Bruno Gollnisch a rappelé, à la 50e minute, les propos choquants de Pierre Bergé, la question la plus importante a sans doute été abordée à partir de 1h02, à l'initiative de l'abbé Grosjean : "Je trouve ça étonnant, un peu inouï, qu'on soit en train de débattre pour savoir si vraiment un papa c'est complémentaire d'une maman. Vous demandez à un enfant de six ans si papa c'est comme maman, il va vous dire non : papa m'apporte des choses que maman ne m'apporte pas. Il ne va pas rentrer dans des théories fumeuses. C'est le bon sens de tous ceux qui nous regardent." Barbara Pompili, incrédule devant le "bon sens" de l'abbé Grosjean, rétorque : "Parce que ce sont deux personnes différentes, pas parce qu'elles ont un sexe différent" et relance : "C'est quoi pour vous l'identité d'homme et l'identité de femme ? On n'a jamais répondu là-dessus..." Najat Vallaud-Belkacem renchérit : "Tous les individus sont singuliers, l'altérité peut se retrouver dans autre chose que le sexe précisément, il y a d'autres composantes de l'altérité." L'abbé Grosjean fait alors remarquer : "Ce qui est étonnant, c'est que ce soit une féministe comme vous, et ministre du Droit des femmes, qui m'explique que finalement une femme c'est comme un homme, et qu'après tout il y a autant d'altérité entre deux hommes qu'entre un homme et une femme, mais je trouve ça étonnant !"
L'abbé Grosjean ne fait que reprendre le discours des socialistes en 1998, et d'Elisabeth Guigou en particulier, lorsqu'elle vantait l'altérité sexuelle (il rappelle d'ailleurs sa volte-face à 1h17). Mais les temps ont changé, et les deux jeunes femmes représentant le Progrès, Najat Vallaud-Belkacem et Barbara Pompili, d'ailleurs toutes deux favorables à la GPA, vont nous annoncer, en direct, la fin de toute altérité sexuelle ; selon elles, il existe bien une altérité entre des INDIVIDUS, mais pas entre les SEXES. Le sexe est devenu indifférent. Il n'est porteur, en lui-même, d'aucune spécificité.
C'est la théorie du genre, chère à Judith Butler, enfin en marche... En résumé, pour Butler, "notre sexualité (homo, hétéro, bisexuel…) ou notre genre (masculin, féminin) ne sont ni innés, ni figés pour l’éternité. Une petite fille qui se précipite sur une poupée ou un garçon sur un ballon ne le font pas « naturellement ». Ils jouent un rôle social et obéissent à une logique qui « range » les individus à une « place » sexuelle prédéfinie. C’est ce que Butler appelle la « performativité de genre ». Elle propose de se libérer progressivement de ces « assignations à résidence » sociale ou sexuelle. [...] L’idéal ? « On s’éveillerait le matin, on puiserait dans son placard le genre de son choix, on l’enfilerait pour la journée, et le soir, on le remettrait à sa place. »" Femme le matin, homme le soir... tel est donc l'étrange idéal de Judith Butler et de nos progressistes...
En bref, l'abbé Grosjean, Gollnisch et Guaino nous ont parlé de civilisation, de normes sociales, du droit de l'enfant à une famille, tandis que maître Pierrat, Vallaud-Belkacem et Pompili ont parlé d'adaptation aux évolutions de la société, de liberté, et de l'égal droit des adultes à l'enfant... Pour comprendre l'idéologie libérale-libertaire que peuvent incarner Najat Vallaud-Belkacem ou Pierre Bergé, les analyses du philosophe Jean-Claude Michéa sont des plus éclairantes.
On s'étonnera cependant que celle-là même qui s'est donnée pour objectif de faire disparaître la prostitution se fasse le chantre de la gestation pour autrui. Car, entre louer son sexe pour quelques instants charnels, sans recours aux sentiments, et louer son ventre durant neuf mois, pour y faire pousser l'enfant d'une autre, qu'est-ce qui est le plus choquant ? La réponse tombe sous le sens... mais le bon sens ne semble plus vraiment la chose du monde la mieux partagée.