Où crèche la laïcité ?
Le désordre et la confusion continuent en matière de laïcité. On a aimé la crèche Baby Loup, on a aimé la crèche de Noël de Vendée, celle de Béziers... on va adorer celles qui ne vont pas manquer de venir faire spectacle juridique dans nos tribunaux et dans nos médias de masse. Jusqu'à ce qu'une loi supplémentaire mette fin à l'indécision des tribunaux. Jusqu'à ce qu'un nouveau problème apparaisse pour obliger à une nouvelle loi...
Santon le « problème » s’autoentretenir avec gaieté et joie de vivre, avec un élan vital qui, pour l'instant, fleure bon Noël ? A plus tard… et joyeuses fêtes !
La laïcité créchait en l’Etat. Ce dernier a mis le feu à la société en créant une laïcité du citoyen, par la loi sur les signes religieux des élèves à l’école en février 2004. Cette loi qui devait régler un « problème » a eu le résultat contraire. Les disputes dans la société à propos de religion trouvent de nouvelles pommes de discorde, en même temps que la conviction de chacun s’accroit et que le conflit des convictions s’envenime. Ce qui était parfaitement (et malheureusement) prévisible.
En ce moment, les crèches. La question des crèches est un marronnier (sourire), on la retrouvera l’an prochain.
Il serait bon que nous revenions à la laïcité comme compétence exclusive de l’Etat et des collectivités locales, des pouvoirs publics en brefs. Eux seuls, sont laïcs. Il n’y a pas de laïcité du citoyen ni de laïcité de groupes de citoyens. Quand j’écrirai Etat, il s’agit de la puissance publique à tous les échelons de territoire.
La laïcité de l’Etat est la garantie de la liberté du citoyen en matière religieuse. La laïcité est une contrainte de l’Etat, la laïcité n’est pas, ne peut pas être une contrainte pour le citoyen. L’Etat a renversé la laïcité et l’a retournée, en a attribué une part au citoyen. Ce faisant, cette nouvelle laïcité de l’Etat cesse d’être la condition de la liberté religieuse du citoyen, elle devient une religion. Si la laïcité de l’Etat permet à l’Etat de commander au citoyen un comportement dit « laïque », la laïcité devient une religion. Ce point n’avait pas échappé à certains adeptes de cette laïcité-contrainte-citoyenne, quand ils quittaient le terrain argumentaire de la validité politique et historique de la laïcité et se mettaient à parler de la force de la loi, de la force de la puissance publique pour imposer sa volonté, argumentaient soudain que « la loi est la loi ». La puissance publique ne peut gouverner les croyances et les convictions de chacun. On peut se souvenir du mot de Staline : « le Vatican, combien de divisions ? » comme une prophétie… à ceci près que le Vatican, lui, est toujours là. Le monopole de la violence publique, pour reprendre une idée fondamentale de Max Weber, qui définit quasiment l’Etat, ne le fait pas entrer dans les consciences au point d’annihiler les convictions religieuses des citoyens.
Tout au contraire, il me semble, les religions ont des outils du côté de la persuasion, de l’insistance, de la répétition, de l’omniprésence, de la diffraction du discours dans les maisons, les familles… du sentiment d’appartenance… que n’a pas l’Etat.
En transformant la laïcité-arbitrage-étatique en laïcité-religion-contrainte-citoyenne, l’Etat se met en concurrence avec les religions et son échec est programmé. Apparaissent alors toutes sortes de nouveaux points d’achoppement, de nouveaux points où la laïcité devrait ou pourrait s’appliquer, des points conflictuels évidemment. Nous n’avons pas de jurisprudence, puisque nous avons fait apparaître des problèmes là où il n’y en avait pas, en inversant le sens de la laïcité. En ce moment, des crèches dans des mairies.
La laïcité-religion a un commandement, qui est présenté comme ayant toujours fait partie de la laïcité, voire comme ayant toujours été l’essence de la laïcité : la religion est pour l’espace privé et pour l’entre soi, chaque citoyen doit faire profession d’athéisme dans l’espace public. La schizophrénie demandée est intenable. Et la joie d’être soi, le fait que nous sommes au monde pour nous y exprimer, tant que nous ne faisons pas de mal aux autres, ces grandes valeurs de la vie sont niées, alors qu’elles fonctionnent et fonctionneront de toute façon.
L’autre problème de cette loi et de l’inversion qu’elle crée, contient, promeut… est que nous n’avons plus les outils conceptuels pour comprendre ce qui nous arrive (qui ne nous arrive pas réellement, que nous créons pour une bonne part et qui a l’air de nous arriver). Nous avons deux laïcités, incompatibles et opposées, et beaucoup de citoyens passent de l’une à l’autre selon leur appartenance religieuse personnelle, selon ce qu’ils estiment être leur intérêt.
Depuis le vote de cette loi, nous voyons les difficultés liées à « la laïcité » augmenter en profondeur (intensité) et en surface (extension du champ, apparition de nouveaux objets).
Revenir à cette idée que seul l’Etat est laïque et que la laïcité de l’Etat garantie la liberté religieuse des citoyens redonnerait le guide dont nous avons besoin pour réguler la pratique religieuse de chacun et la présence des religions dans la société. Il serait clair que les crèches de Noël peuvent être interdites au nom de la laïcité de l’Etat et les sapins, les pères Noël… non.
La laïcité-athéisme d’Etat qui commande un laïcité-athéisme au citoyen nous lance dans des problèmes sans fin. Les mots nous échappent et nous manquent. Le pire est que nous avons perdu notre ADN dans ce mouvement.