jeudi 3 mars 2016 - par Pale Rider

Qu’est-ce que l’homophobie ?

Deux chrétiens ont été condamnés en justice pour avoir écrit et diffusé un tract contenant le témoignage d’un ancien homosexuel ayant opté pour l’hétérosexualité, pour des motifs notamment religieux. Cette condamnation est-elle légitime ? Est-elle ou non une atteinte à la liberté d’expression ? Que dit-elle de notre société ?

En France, deux chrétiens ont été condamnés, le 2 novembre 2015, pour « provocation à la discrimination à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur orientation ou identité sexuelle ». Alain Boutinon et Michel Oudot ont même failli être poursuivis pour « incitation à la haine et à la violence en raison de l’orientation ou identité sexuelle » ; mais ce chef d’accusation n’a pas été retenu.

Tract et tact

 De quels faits ces deux chrétiens sont-ils les auteurs ? D’avoir rédigé pour l’un, et distribué pour les deux, lors de la foire de Rouillac et dans des boîtes aux lettres, le 27 avril 2015, un tract contenant le témoignage d’un ancien homosexuel qui expliquait comment, à la suite de sa conversion à Jésus-Christ, il avait opté pour l’hétérosexualité en considérant que son homosexualité n’était pas en accord avec la volonté de Dieu. Ils ont été condamnés à payer ensemble 1 500 € à l’association antihomophobie adheos, 1 000 € pour frais de justice, les frais de parution du délibéré dans la presse, cela assorti d’une amende de 2 000 € pour l’un et de 1 000 € pour le deuxième.

 Les deux condamnés par le Tribunal de Grande Instance d’Angoulême ont fait appel et seront rejugés le 6 avril 2016. Le Comité Protestant Évangélique pour la Dignité Humaine (CPDH) et le Conseil National des Évangéliques de France (CNEF) ont décidé de les soutenir.

 On peut discuter du tact ou du manque de tact à la fois du contenu de ce témoignage (que j’ai lu) et de son mode de diffusion. En revanche, il est tout à fait étonnant qu’un témoignage vécu puisse être condamné en tant que tel, et cela d’autant plus qu’il ne contenait aucun propos de condamnation contre les homosexuels.

 Il y a un peu plus une trentaine d’années, l’homosexualité était considérée comme une maladie et, en tous cas, comme une orientation sexuelle à l’écart de la norme. Aujourd’hui, dans les manuels scolaires, elle est présentée comme exactement équivalente à l’hétérosexualité, ce qui pourrait pourtant se discuter non pas tant sur le plan religieux, comme on le croit, que sur le plan anthropologique et biologique. Cette indifférenciation serait-elle devenue un dogme sévèrement gardé par quelques inquisiteurs ministériels ?

Droit à quelle différence ?

 Dire qu’hétérosexualité et homosexualité ne sont pas équivalentes, c’est passible des tribunaux. Aujourd’hui, il est devenu interdit de dire que l’homosexualité peut ne pas être souhaitable, qu’elle peut poser problème, et qu’on peut choisir de devenir hétérosexuel. Ce tract ne dit rien de plus. Or, s’il vaut une condamnation en justice, pourquoi n’a-t-on jamais vu, dans les dernières décennies, de condamnation pour apologie de l’homosexualité, ce que divers artistes, auteurs, cinéastes, politiciens ne se privent pas de faire ?

 J’ai retrouvé un texte qui vaut aujourd’hui son pesant de cacahuètes : « Si la nature nous pousse à avoir des rapports intimes avec des personnes du sexe opposé au nôtre, en quoi cette singularité dérange-t-elle le bourgeois ? » Et savez-vous qui est l’auteur de cette remarque ? Pierre Desproges,[1] qui montrait ainsi par son sens unique de l’ironie qu’il faut se justifier d’avoir des comportements qui autrefois passaient pour ordinaires.

 Par un curieux phénomène d’inversion (…), la revendication du droit à la différence s’est transformée en interdiction de contester la différence, ce qui revient à dire qu’aucune orientation ou presque, aucun comportement ou presque ne sont contestables notamment sur le plan éthique (mais on voit que le domaine du « presque » recule), et qu’on risque d’être traduit en justice quand on ose établir une hiérarchie. Autrement dit : on n’a pas le droit de dire que la différence… est différente, et qu’on peut lui préférer autre chose. Ce tract ne disait rien de plus, et du moment que la personne qui témoignait dans le tract a changé librement d’orientation sexuelle (ce qui est certain puisque aucune poursuite pour abus de pouvoir n’a été engagée), je ne vois vraiment pas en quoi ce tract ni sa diffusion sont condamnables en justice. Dire que l’homosexualité ne nous plaît pas personnellement, ce n’est pas être homophobe. Et si je n’aime pas faire du ski de piste, ou même si je pense que c’est mauvais pour la santé ou pour l’équilibre écologique des montagnes, ça ne veut pas dire que je suis skieurdepistophobe.

Délit d’opinion

 Pour terminer, citons une partie de l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé… » Pour le cas qui nous préoccupe, cet article implique donc le droit de changer d’orientation sexuelle, de dire pourquoi, et même de le faire savoir publiquement.

 En conséquence, il me paraît évident que toutes les poursuites à l’encontre de Alain Boutinon et Michel Oudot doivent être purement et simplement abandonnées.

 Et ceux qui ne sont pas d’accord avec leur tract ont parfaitement le droit de diffuser un tract qui dit le contraire.

 

[1] Marianne du 24-12-2016, p. 96, extrait de « Chroniques de la haine ordinaire », France Inter le 24 avril 1986.




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