Sans toit ni foi...
Des formules pour masquer l'impuissance.
Sans domicile fixe. La formule porte en elle autant de mépris que d'ironie acide. Il y aurait donc la possibilité pour ses pauvres hères de disposer d'un refuge qui serait mobile, une sorte de camping-car hpour démunis. C'est pourtant leur fixité qui fait abcès dans la tête des braves gens qui se contentent d'un acronyme pour désigner des êtres humains qu'ils entendent évacuer de leur humanité urbaine.
Les braves gens ne sont d'ailleurs pas prêts à supporter cette éventuelle fixité au cœur de la ville. Des élus se font un malin plaisir d'interpréter à leur manière la fameuse Fraternité qu'ils osent encore laisser sur le fronton de leur mairie. Ils édictent des arrêtés anti-mendicité, ils transforment les bancs publics en honteux sièges de torture pour qui voudrait s'y allonger alors que dans le même temps, ils proposent des mobiliers urbains confortables pour les bobos en goguette.
Le domicile, le refuge, l'asile leur sont ainsi refusés dans une nation où même les églises leur ferment les portes. C'est le rejet systématique à la rue, à la marge, à la périphérie ou plus sûrement dans les espaces informes de nos aménagements routiers, aux abords des rivières et des forêts. Les malheureux sont réduits à l'état de bête en quête d'un terrier pour échapper aux morsures du temps.
Le toit est ainsi l'obsession première. Il leur faut se prémunir d'un ciel qui ne leur tombera pas sur la tête alors que des risques de ce côté pèsent lourdement avec les brigades de salubrité urbaine surtout à Paris à l'approche de la fastueuse farce olympique. Se couvrir pour échapper au soleil ou aux précipitations, au froid et aux regards inquisiteurs devrait être un droit non opposable. Hélas, il n'est pas possible de laisser s'enrichir au-delà de l'imaginable des gens sans priver l'État de venir aux secours des déshérités.
Alors pour supporter l'insupportable, pour fuir les regards qui jugent ou pire encore qui rendent invisible, ils se réfugient dans des excès qui les caparaçonnent un temps. L'alcool est encore la substance la plus accessible et les quelques pièces glanées ici ou là, permettront d'acheter cette bibine salvatrice.
C'est ainsi que sans toit ni foie devient la marque d’infamie de ceux qui laissent filer leur dignité dans ce cercle infernal dans lequel la société dans son ensemble les pousse honteusement. La formule est sans doute maladroite, excessive, ignominieuse mais elle relève d'une réalité sordide qu'on s'efforce tous de condamner non pas au nom des valeurs que l'on se plaît à bafouer par notre indifférence et notre impuissance mais d'abord par ce jugement si facile que la présence d'une canette ou d'une bouteille permet pour nous donner bonne conscience.
Alors il serait grand temps de renoncer aux formules lapidaires pour nommer ces humains de la rue en commençant par supprimer et rendre illégal l'usage de l'acronyme de notre égoïsme. Il y avait autrefois des termes qui désignaient sans toutefois exclure : Chemineux, trimard, vagabond, clochard… Le dernier ouvrant la porte au mépris qu'allait faire naître ce SDF de malheur.
Les mots ne sont jamais innocents quand ils viennent habiller de manière acceptable les plus effroyables de nos maux. Prenez bien garde à cette manière dont nos responsables cessent d'user pour habiller de formules présentables ce qui en réalité relève de l'abject, de l'insupportable et de l'intolérable.
Ce piège n'est pas fortuit. Il permet en grimant l'effroi de le rendre recevable par une opinion publique qui aime tant se laisser berner par les éléments de langage d'un pouvoir qui a perdu toute maîtrise sur l'évolution d'une civilisation qui court à sa perte. C'est ainsi que leur seule action consiste à modifier les mots pour adoucir l'impuissance de ceux qui sont sans foi ni loi mais bardés de diplômes et de conseillers pour manipuler le peuple.