samedi 23 novembre 2019 - par Laurent Herblay

Sapir définit les fondements de la souveraineté (3/3) : la laïcité nous chérirons

« Souveraineté, démocratie, laïcité  » est très ambitieux. Outre l’approfondissement de son analyse de la remise en cause de la démocratie par la négation de la souveraineté des nations, son propos, conçu peu après les attentats, est plus global. Comme Généreux dans « La dissociété  », il fait le lien entre toutes les dimensions, politiques, économiques et sociétales, en montrant que les attaques contre la laïcité en France participe aussi à la remise en cause de notre souveraineté.

Sapir définit les fondements de la souveraineté

 

La laïcité comme fondement de notre société
 
Sapir pointe une conséquence pas toujours vue de la remise en cause de la souveraineté nationale : « il ne faut pas s’étonner de la dissolution des sociétés dans ce cadre, car ce qui fait société est en réalité nié (…) Une communauté qui ne pourrait prendre, du fait de traités, que des décisions sans importance sur la vie de ses membres ne serait pas moins asservie que celle se trouvant effectivement sous la botte d’une puissance étrangère  ». Pour lui, « lorsque l’on porte atteinte à la souveraineté du peuple et que l’on met à bas ce que des siècles ont construit, on ne peut guère s’étonner de replonger dans un passé des plus obscurs, celui du fanatisme religieux comme celui de l’ethnie et de la tribu (…) la mise en cause, sournoise ou directe, de la souveraineté du peuple ouvre ainsi toute grande la porte à sa dissolution et à sa reconstitution sous la forme de communautés, qu’elles soient religieuse ou ethniques  ».
 
Nous rentrons alors dans un cercle vicieux puisque « nous obliger à nous définir selon des croyances religieuses ou des signes d’appartenance aboutit à briser le peuple (…) Les jeunes issus de l’immigration ne peuvent pas s’intégrer car ils ne savent pas à quoi s’intégrer ». Pour lui, c’est donc la globalisation qui « produit, de manière naturelle et permanente, la montée des fondamentalismes religieux  ». Il cite Laurent Bouvet pour qui « l’insécurité culturelle, combinée à l’insécurité sociale, produit le ‘malaise identitaire’  ». Prenant un recul révélateur, il dénonce le danger religieux car « le conflit inter-religieux met en jeu des fins qui dépassent l’echelle humaine (…) Une finalité extrême peut engendrer une barbarie extrême (…) Les croyances religieuses doivent être bannies de la sphère publique et renvoyées à celle du privé. Ceci implique une séparation des espaces publics et privés  ».

 

Citant « La dissociété  » de Généreux, il souligne que l’ultralibéralisme individualiste ronge le lien social : « le lien social peut opprimer tout autant que libérer. Il est seulement possible d’affirmer que l’on ne saurait vivre sans lien social (…) Les crispations autour des tabous alimentaires et vestimentaires, sur les signes extérieurs, comme la question du voile chez les musulmans, ont avant tout pour but d’identifier brutalement une communauté, de la séparer du reste de la population et de l’enfermer dans le cadre de références mythifiées pour le grand profit de quelques-uns (…) L’intégration est un processus d’assimilation des règles et coutumes, qui est en partie conscient – on fait l’effort d’apprendre la langue et l’histoire de la société dans laquelle on veut s’intégrer - mais qui est également inconscient. Pour que ce mécanisme inconscient puisse se mettre en branle encore faut-il qu’il y ait un référent. La disparition ou l’effacement de ce dernier au nom du multiculturalisme qui ne désigne en fait que la tolérance à des pratiques très différentes est un obstacle rédhibitoire à l’intégration », réflexion que ne renierait pas Malika Sorel.

 

Pour Sapir, la laïcité est « la reconnaissance de la distinction nécessaire entre sphère publique et sphère privée, et reconnaissance de l’obligation de chacun à considérer que la religion fait uniquement partie de la sphère privée. Cette double distinction est impérative si l’on veut que puisse se constituer un bien commun qui soit la propriété de tous et donc de chacun (…) (La laïcité est) une forme d’organisation où la conviction personnelle se plie à l’existence de la Res Publica, de choses communes qui nécessitent et impliquent un travail en commun (…) la reconnaissance qu’il existe des principes et des causes qui dépassent les individus et les choix individuels ». Ainsi, « en retranchant de l’espace public les questions de foi, on permet au contraire au débat de se constituer et de s’approfondir sur d’autres sujets  ».

 

Pour Sapir « l’hétérogénéité sociale ex-ante fixe donc comme objectif à l’ordre démocratique la construction d’une homogénéité politique ex-post, et ce dans des sociétés d’intérêts contraires. C’est pour cela que l’ordre démocratique est contradictoire au multiculturalisme, en ceci que ce dernier institue et reproduit des communautés séparées à l’intérieur de la communauté politique de référence  ». Mais parce qu’un ordre démocratique fonctionnel permet au peuple d’agir à sa guise, « en réalité, l’ordre démocratique dérange toujours les possédants et les dominants par la radicalité de ses implications  ». Ceux-ci préfèrent la seule logique du marché, qui repose sur « le contrat (qui) ne fait pas société  ». Cela produit une « dépolitisation totale ». Il dénonce « la fétichisation de l’état de droit  » et « le légalisme comme un système total, imperméable à toute contestation  ». Dérive révélatrice, il rappelle que l’Etat est aujourd’hui contesté par les grandes entreprises, avec les mécanismes juridiques des traités commerciaux.

 

De manière classique, Sapir voit une alliance idéologique anti-étatiste de fait entre la droite ultralibérale et la « gauche » dite libertaire, les deux se réfugiant dans des pseudo lois de la nature économique, une construction religieuse habillée des vêtements d’une pseudo-Raison, parfaitement incarnée par Emmanuel Macron, non évoqué dans ce livre publié début 2016. Il dénonce des « constructions métaphysiques  » et rappelle que TINA « porte en lui la négation de la démocratie  ». Il fait une citation lumineuse de Perry Anderson : « une mise à distance de toute forme de contrôle démocratique et de responsabilité devant les peuples est un principe constitutif du réseau complexe d’agences technocratiques et autres collèges d’experts qui forme la colonne vertébrale des institutions de l’UE. Ce qu’on a appelé par euphémisme le ‘déficit démocratique’ est en fait un déni de démocratie  ».

 

Merci Jacques Sapir pour ce remarquable ouvrage, pilier de la pensée souverainiste, qui a l’immense mérite de montrer tous les liens qui existent entre les différents aspects de l’évolution politique, économique et sociétale de nos sociétés. C’est un vrai classique, dont les analyses sont confirmées par tout ce qui s’est passé depuis, rendant sa lecture pas moins actuelle qu’à sa sortie.

 

Source : « Souveraineté, démocratie, laïcité  », Jacques Sapir, Michalon


7 réactions


  • Captain Marlo Fifi Brind_acier 23 novembre 2019 11:44

    Du pipeau en branche... La souveraineté est un ensemble de droits régaliens :

    disposer de frontières, gérer sa monnaie & son budget, décider de ses politiques économiques et sociales, avoir sa propre justice et ses propres lois, disposer d’une diplomatie et d’une armée indépendantes. 

    Tout ce que les dirigeants Français ont transféré aux Instances européennes et à l’ OTAN, ce qui relève de la Haute trahison.


    Définition de la Haute trahison :

    « C’est l’entente avec des états étrangers ou des puissances privées, pour mener des politiques manifestement contraire aux intérêts du peuple français. »

    Cet article de la Constitution était tellement dangereux pour la classe politique française, que Sarkozy l’a supprimée avant sa forfaiture du Traité de Lisbonne...


    Je ne vois pas ce que la laïcité vient faire là dedans ?

    Les 170 pays du monde qui sont des pays souverains n’ont pas tous la laïcité dans leur Constitution, tant s’en faut !


    Sapir propose la sortie de l’ euro, mais pas de l’ UE.

    Et Jacques Généreux veut sauver l’ Europe !

    Deux bras cassés qui sont faits pour s’entendre et papoter sur des sujets qui n’ont rien à voir avec la souveraineté.



  • Jonas Jonas 23 novembre 2019 12:34

    "Les croyances religieuses doivent être bannies de la sphère publique et renvoyées à celle du privé. Ceci implique une séparation des espaces publics et privés« 

    Les progressistes et les républicains sont perdus : en niant la civilisation européenne, l’identité culturelle et cultuelle de la France, ils sont incapables de nommer le problème et de l’éradiquer.

    Il s’agit d’un début de changement CIVILISATIONNEL.

    Si demain 90% des femmes françaises portent le hijab, ne vont plus dans les cafés, bars, piscines, refusent la mixité sociale homme/femme comme préconisé dans le Coran et la Sunnah,

    si les restaurants gastronomiques (avec quantités de variétés de vins, de bières, cassoulet, boeuf bourguignon, jambon braisé, petit salé aux lentilles, choucroute, etc...) seraient tous remplacés par des restaurants islamiques sans porc, sans alcool, sans viande saignante,

    la France ne serait plus la France, sans pourtant enfreindre votre laïcité.

    Vouloir par ailleurs bannir les croyances religieuses de l’espace public, c’est oublier l’héritage catholique de la France.

    Il n’y a pas en France un village sans son Église au centre de la commune.
    Toutes les institutions françaises, hôpitaux, associations caritatives, écoles, tribunaux, parlement, cour des comptes, poste, ponts et chaussées, banques, cathédrales,... que vous connaissez aujourd’hui ont été pensés, structurés et édifiés sous la France catholique.
    Les universités qui se construisent sur toute l’Europe occidentale, sont à la charge de théologiens, prêtres, chanoines, abbés, soeurs, ordres catholiques bénédictins, cisterciens, franciscains, dominicains,... dans la hiérarchie du Pape de Rome.
    C’est l’unité catholique de l’Europe qui permet par exemple à un Nicolas Copernic d’étudier dans l’université de Cracovie dans le royaume de Pologne, puis dans celles de Bologne, Rome, Padoue, Ferrare en Italie.
    Pourquoi croyez-vous qu’il y ait une croix catholique au sommet de l’université de la Sorbonne, et sur le dôme du Panthéon ?
    Pourquoi le plus vieil hôpital de Paris s’appelle Hôtel-Dieu ?

    La gastronomie raffinée que vous dégustez (vins d’abbayes, bières, liqueurs, miel, jambons, fromages...), ont été dans la grande majorité des cas bonifiés par des moines.

    La littérature chrétienne, le »Paradis perdu« de Milton, »Polyeucte« de Corneille, »Esther« , »Athala" de Racine, Bossuet, etc... la musique sacrée de Palestrina, Hildegarde Von Bingen, Bach, Mozart, Vivaldi, Gounod, Schubert, etc... entre autres forment les piliers de la culture européenne.

    Le calendrier de tous les pays européens est basé sur la naissance du Christ.
    Chaque jour, on fête un saint de l’Église catholique.
    Le dimanche est jour de repos pour tous, jour du Seigneur.
    Toutes les Églises font sonner leur cloches chaque heure qui passe.
    Les fêtes traditionnelles sont de tradition chrétienne (Noël, Pâques, Ascension, Assomption, Épiphanie, Toussaint, Carême, Pentecôte,...).
    Noël est fêtée depuis 15 siècles.
    Avant que le terrorisme islamique n’interdise toute représentation du Christ sur la voie publique, des crèches géantes étaient organisées à Noël, et ça ne gênait personne.

    La république et sa religion maçonnique n’ont fait que piller et dilapider cet héritage millénaire à partir de 1789.


  • Odin Odin 23 novembre 2019 19:58

    « les attaques contre la laïcité en France participe aussi à la remise en cause de notre souveraineté »

    Nous avons perdu notre souveraineté nationale, notre nation est morte, seul un Frexit la ressuscitera.

    Militaire  : nous sommes, grâce à l’ashkénaze hongrois, talonnette 1er, sous-traitant de Washington..

    Économique : nous ne l’avons plus depuis la loi Rothschild du 03/01/1973 (Pompidou/Giscard) et les con-tribuables paient chaque année près 50 Mrd d’€ rien que pour les seuls intérêts de la dette pour l’usure des banques privées.

    Le budget doit être validé par des commissaires européens non élus qui demandent des coupes franches sur les retraites, la protection sociale, la vente des bijoux de famille à des multinationales etc…

    Politique : les sénateurs et députés ne sont plus que des administratifs qui nous coûtent « un pognon de dingue » et retranscrivent dans le droit français les directives de ces non élus à Bruxelles (GOPÉ). Pour devenir 1er de cordée passage obligé par la FAF (young-leader) GODF et validé par le groupe Bilderberg. Ils se permettent même de nous déféquer sur la gueule (référendum de 2005) etc...

    Culturelle : tout est nivelé vers le bas, l’art contemporain n’est plus qu’une diarrhée fétide propagé par des LGBT etc...  

    Frontières une gigantesque passoire où tout doit circuler librement pour mieux dégénérer les autochtones (Kalergi) et où les dividendes spoliés aux gueux peuvent se diriger librement vers les paradis fiscaux etc... 

    Dans Le Dernier Mitterrand23Georges-Marc Benamou rapporte que François Mitterrand lui a expliqué que la France ne sera plus souveraine : « "En fait je suis le dernier des grands présidents". Il me dit ça vite, dans un mélange de pudeur et de grandiloquence. Comme s’il craignait que je le prenne pour un vieux fou, il tente de rationaliser l’aveu qu’il vient de me faire : "Enfin, je veux dire le dernier dans la lignée de De Gaulle. Après moi, il n’y en aura plus d’autres en France... À cause de l’Europe... À cause de la mondialisation... À cause de l’évolution nécessaire des institutions... Dans le futur, ce régime pourra toujours s’appeler la Ve République... Mais rien ne sera pareil. Le président deviendra une sorte de super-Premier ministre, il sera fragile" »..


  • Pascal L 23 novembre 2019 22:18

    « Les croyances religieuses doivent être bannies de la sphère publique et renvoyées à celle du privé. Ceci implique une séparation des espaces publics et privés »

    Cette idée équivaut à vouloir supprimer les seules religions étiquetées comme telles pour favoriser les religions qui ne disent pas l’être tout en l’étant profondément. Toutes les idéologies qui jouent avec nos émotions sont pires que les religions déclarées. Le marxisme, l’écologisme sont des religions pas tout à fait sans Dieux, mais avec un vrai projet d’éradiquer le mal de notre société par le mal. La valorisation de l’individu comme personne sacrée procède également de cette dérive. L’argent ou le pouvoir sont des Dieux tout à fait convenables pour une partie de la population. Même l’islam ne serait pas vraiment touché par une telle mesure, car la religion est l’aspect le plus faible derrière les aspects social et politique qui n’ont pas de raisons d’être touchés par un laïcisme strict. Le Christianisme serait le plus touché car il est la religion de la relation à l’autre. En s’enfermant dans la sphère privée, l’autre n’existe plus, la transmission ne se fait plus. Si vous voulez augmenter la perte de repère des jeunes génération, il me semble que c’st la bonne méthode. Mais je suppose que c’est le vrai but de ce projet.


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