Commentaire de Le péripate
sur Quand la chrématistique gouverne le monde


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Le péripate Le péripate 17 octobre 2008 15:51

 Pecunia patere non potest...
L’argent ne fait pas de petits, c’est l’argument d’Aristote. . D’ailleurs l’article tord la pensée d’Aristote, pour en faire une vulgaire dénonciation de l’avarice et du goût de l’argent pour l’argent, ce qui est une très mauvaise interprétation..

Plongeons au coeur de cet argument (l’argument authentique d’Aristote). A la différence du blé que l’on plante, de la brebis que l’on élève, de l’olivier que l’on plante, il ne sort rien des objets que l’on utilise comme monnaie, l’or, l’argent, le cuivre sont stériles et inertes. Bernard Maris, l’économiste vedette du France Inter socialiste rappelle dans "l’anti-manuel d’économie" que de la monnaie enterrée quelque part n’en ressortira pas plus à l’exhumation. Très drôle.
Ce que Aristote vise surtout, et ses continuateurs catholiques puis marxistes après lui, c’est l’intérêt. Il est, suivant ce raisonnement, contre-nature d’exiger quelque chose en plus de l’argent prêté. Les plus malins s’insurgent même contre l’intérêt composé, calculant ironiquement au bout de combien de temps un euro placé à 3% représentera une somme dépassant la masse de la Terre. Ce qui ne manque pas de frapper l’imagination.
Fort bien. Une première objection pourtant, ceux qui empruntent semblent accepter de payer un intérêt, et y trouver un avantage. Il semble donc que ce soit un acte entre adultes consentants, et le terme "contre nature" semble excessif.
Seconde objection : il y a un risque du prêt.
Troisième objection : le manque à gagner. Si cet argent peut servir à planter un olivier, s’en priver, c’est aussi renoncer aux revenus tirés des olives. Avec ces trois objections, on tient une réfutation complète de l’idée d’Aristote.
Mais, allons un peu plus loin. Marx condamme toute rentabilité (ce que ne fait pas Aristote). Dans le langage courant, on dit se faire "exploiter", par son patron bien sûr. A juste titre Marx attribue toute production à l’action de l’homme.
Mais quelle est l’erreur commune de Marx et d’Aristote ? Car, si j’achète une brebis aujourd’hui, et que je suis sûr que dans quelques mois elle aura un agneau, pourquoi ne me vend on pas aujourd’hui la brebis au prix de la brebis plus l’agneau moins la nourriture ?
N’y aurait-il pas comme une illusion dans l’idée que ce serait la productivité physique des investissements matériels qui expliquent leur rentabilité ? Si je suis certain que le cognac que j’entrepose aujourd’hui aura dix ans d’âge dans dix ans, pourquoi le vieux cognac vaut-il plus cher ? De plus, ce dernier exemple, sans presque de main d’oeuvre, montre bien que "l’exploitation" n’est pour rien dans la rentabilité.

Je ne vais pas vous faire languir plus longtemps : le revenu d’intérêt est le prix que l’on paye pour s’épargner la contrainte de l’attente.
Ou encore, les satisfactions à venir valent moins que les satisfactions immédiates. L’argent ne grossit pas avec le temps, mais il y a une décote d’une promesse de prêt à mesure que l’on s’approche de l’échéance du remboursement. Une promesse de payer 1000 euros dans trois ans ne vaut que 860 euros aujourd’hui (à 3%). Et si le salarié se fait "exploiter", c’est qu’il est payé de suite, alors que le producteur devra encore commercialiser le produit, alors qu’il a entamé le détour de production bien en amont (les investissements)
C’est ce que, en économie, on appelle la "préférence temporelle".

C’est assez amusant, et ridicule, que d’essayer de recycler une erreur vieille de deux mille ans.


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