Commentaire de Tristan Valmour
sur Le naufrage de l'université française


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Tristan Valmour 3 avril 2009 15:37

Bonjour Le Péripate

Je n’ai pas plus de preuves à apporter que Guy Millière. Mais je n’ai pas non plus écrit que l’université française était au travail, ni que nous avions le meilleur système, ni que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Donc, j’ergotais effectivement, à l’instar de Guy Millière.

D’où viendraient les capitaux si ce n’étaient des entreprises ? Harvard, université américaine privée est certes en majorité financée par les dons de ses anciens étudiants, comme par ses placements, mais la mentalité française est différente de la mentalité américaine. Je vois mal d’anciens étudiants français consacrer une partie de leur fortune à leur université. Donc, en France, privatisation rimerait avec soumission aux entreprises. Or une entreprise vise la valeur ajoutée, si possible à court et moyen terme. Rien de plus normal, ce n’est pas critiquable. Je vois mal des entreprises financer la physique quantique si elles ne peuvent disposer d’applications technologiques à valoriser à court terme.

Je répète qu’historiquement et fondamentalement, l’enseignement français est humaniste (savoir pour savoir), par opposition à l’enseignement anglo-saxon qui est utilitariste (savoir pour faire). Aucun système n’est meilleur que l’autre, ils ont tous des avantages et des inconvénients. Les évaluations internationales dont je ne cesse de critiquer la méthodologie mettent pourtant en avant le fait que les élèves et étudiants français réussissent mieux les tâches complexes que leurs homologues. Ils ont une capacité d’abstraction généralement plus importante. Cela s’est vu notamment à Singapour où des groupes d’étudiants français en école d’ingénieur ont d’abord été stupéfaits de constater que les singapouriens avaient fait en 6 mois ce qu’eux avaient fait en 2 ans. Mais les Français se sont ensuite rassurés lorsqu’ils se sont aperçus que si eux pouvaient expliquer l’origine de leur savoir et produire un savoir nouveau, les étudiants singapouriens en école d’ingé n’étaient capables que d’appliquer à ce stade. L’extrapolation vient après.

Je dirige des entreprises et je travaille pour des entreprises, et j’aime les entreprises. Elles n’incarnent pas le mal. Sauf les multinationales, car ces dernières biaisent l’économie de marché en raison de leur position dominante ; comme le font les Etats d’ailleurs.

Les écoles de commerce ne sont pas seules à produire un savoir exploitable par les entreprises : il y a aussi les IUT, BTS et filières pro en université. Et puis, il faut avouer qu’il y a beaucoup d’écoles de commerce bidons.

Dans le cadre d’une partie de mes activités (l’entreprise apprenante), je suis amené à conduire des entretiens d’explicitation (voir le site expliciter.fr pour de plus amples renseignements) afin de repérer le savoir procédural en œuvre dans la réalisation de tâches, peu importe la nature (ça va du travail à la chaîne a la conduite de négociations, toutes les activités sont abordées). Cela afin de modéliser les bonnes pratiques et augmenter l’efficacité des ressources humaines. Or, il y a une grande différence entre le savoir déclaratif (ensemble des règles, théories, théorèmes…bref, le savoir conceptuel) et le savoir procédural (celui qui permet la réussite d’une action). Pour schématiser, on peut réussir une action sans la comprendre (Cf Anderson, Piaget, Spinoza, etc.). L’action est un savoir autonome.

Ce faisant, que le savoir déclaratif soit d’essence humaniste ou utilitariste importe peu pour la réussite d’une action. Le savoir procédural se nourrit certes d’une partie du savoir déclaratif mais d’une part, il vit de manière singulière dans la conscience de l’individu, d’autre part, il est tributaire d’autres données (contexte, réfléchissement, modalité évocative, stratégie holistique ou sérialiste, intelligence multiple, etc.). Cela explique que l’on puisse diriger avec succès une entreprise sans avoir fait d’école de commerce. D’ailleurs, le savoir déclaratif est souvent une théorisation du savoir procédural, la complexité du vocabulaire en plus. Et comme dirait Alain, « beaucoup savoir n’est pas penser ».

Donc, le savoir dispensé peut servir l’emploi même s’il n’a pas pour objectif de servir directement l’emploi (différence entre connaissance et compétence). Par exemple, si je suis des cours de dessin (alors que je n’ai pas pour ambition d’être dessinateur), je développerai des aptitudes à exercer des professions qui nécessitent de la synthèse, la gestion de l’espace. Si je suis des cours de musique (alors que je n’ai pas pour ambition d’être musicien), je développerai des aptitudes à exercer des professions qui nécessitent de l’analyse, la gestion du temps. Si je touche les choses et les gens, je vais développer mes compétences interpersonnelles : connaissance d’autrui, communication, diplomatie. Si je lis Hugo (alors que je n’ai pas l’ambition de devenir prof de lettres), je vais m’enrichir de modèles de situations, de modèles psychologiques dont je vais inconsciemment (et parfois consciemment) étudier les similitudes et les différences avec la situation que je vis, avec les décisions que je dois prendre. Tout ça pour dire que ce que l’on croit ne pas être utile s’avère en réalité très utile. Croire est un jugement, pas un fait.

Je ne suis pas contre le modèle utilitariste, il y a encore une fois de très bonnes choses. Je suis contre la disparition du modèle humaniste où l’on trouve également de très bonnes choses. Ne voyez-vous pas que toutes les réformes, quelles que soient leur nature ou les pays où elles s’appliquent, conduisent à la disparition de la diversité, à l’uniformisation ? Or, qui dit uniformisation dit dictature.

Pour conclure, je suis opposé à ce que les grévistes empêchent les non-grévistes de suivre les cours. 



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