Commentaire de sisyphe
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sisyphe sisyphe 14 juillet 2010 13:53

Affaire Bettencourt/Woerth : Sarkozy parle, les soupçons restent

Contrairement à ce que Nicolas Sarkozy a bien voulu dire, lundi soir sur France 2, ni lui ni Eric Woerth ne sont lavés de tout soupçon. Tour d’horizon des questions qui se posent toujours.


Pour Nicolas Sarkozy, le sujet est clos. Il l’a fait savoir, lundi 12 juillet, lors de son intervention sur France 2, à force d’indignation contre cette affaire Woerth/Bettencourt faite, a-t-il fulminé, de « mensonges », de « calomnie ».
A ses yeux, le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), rendu public dimanche soir, a suffi à « lever tous les soupçons » qui pesaient sur Eric Woerth, en concluant que son ministre du Travail n’était pas intervenu, lorsqu’il était au Budget (2007- mars 2010) dans la gestion du dossier fiscal de Liliane Bettencourt.
Sauf que, d’une part, ce rapport a été effectué par une instance qui est tout sauf indépendante, puisqu’elle est sous la tutelle du ministère de l’Economie. D’autre part, quand bien même on ajouterait foi à ses conclusions, elles ne répondent qu’à une seule question sur une liste qui n’a cessé de s’allonger depuis trois semaines.
Quant aux suspicions qui portent sur l’éventuel rôle de Nicolas Sarkozy dans cette affaire, se borner à crier à la « honte », comme s’il s’agissait d’un crime de lèse-majesté, c’est un peu léger comme défense.

Non, ne lui en déplaise, l’affaire n’est pas encore morte, et encore moins enterrée. L’opération déminage de lundi est un raté. Il y a trop de questions qui attendent encore une réponse.

Florence Woerth était-elle au courant de la fraude fiscale de Liliane Bettencourt ?

L’IGF affirme donc qu’Eric Woerth n’est pas intervenu dans le dossier fiscal de la milliardaire. Et ce, même si le procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye, a fait savoir que « l’administration fiscale avait été prévenue le 9 janvier 2009 du fait que le dossier fiscal de Liliane Bettencourt était susceptible de mettre en évidence des éléments de fraude fiscale ».
Reste que la Tribune de Genève et Libération ont relayé des propos prêtés à un banquier anonyme selon lequel Eric Woerth « ne pouvait pas ignorer que sa femme venait très régulièrement à Genève » ces deux dernières années. Et si Florence Woerth, qui a travaillé de fin 2007 à fin 2010 dans la société Clymène, qui gère les actifs de l’héritière de L’Oréal, s’est rendue à Genève, « ce n’était certainement pas pour voir son jet d’eau », selon ce banquier. Florence Woerth, elle, assure qu’elle ne savait pas que Liliane Bettencourt avait des comptes en Suisse.
Alors, savait ? savait pas ? Jusqu’à présent, ce n’est que parole contre parole.



Le couple Bettencourt a-t-il financé illégalement l’UMP ?

L’ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, a déclaré aux policiers que le gestionnaire de la fortune de l’héritière de L’Oréal, Patrice de Maistre, lui avait réclamé 150.000 euros en liquide pour les remettre à Eric Woerth, en tant que trésorier de l’UMP, afin de financer la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Elle en aurait retiré 50.000 à la banque, somme maximale qu’elle pouvait se procurer par ce biais, et assure que Patrice de Maistre lui aurait dit qu’il allait « se débrouiller pour le reste ».
Ces allégations sont contestées par Eric Woerth et Patrice de Maistre. Ce dernier a même assuré aux policiers qu’il ne s’était « jamais occupé d’hommes politiques » et de financement de parti avant les régionales de 2010. Pourtant, le Nouvel Observateur a révélé, mardi 13 juillet, qu’il avait été contact dès septembre 2006 avec Eric Woerth dans le cadre du financement, par le couple Bettencourt, de la campagne de Nicolas Sarkozy. Pourquoi avoir menti ? Qu’est-ce que cela cache ? L’une des enquêtes conduites par le parquet de Nanterre est censée faire la lumière sur cet aspect de l’affaire Bettencourt/Woerth.



Eric Woerth a-t-il demandé à Patrice de Maistre d’embaucher son épouse ?

Dans les enregistrements réalisés clandestinement par le maître d’hôtel de Liliane Bettencourt, on entend Patrice de Maistre assurer à Liliane Bettencourt que c’est Eric Woerth qui lui a demandé d’embaucher sa femme, Florence, dans la société Clymène : « J’avoue que, quand j’ai accepté, son mari était ministre des Finances [en réalité du Budget, ndlr], il m’a demandé de le faire ». Eric Woerth dément aussi cette information. Il est néanmoins curieux qu’il est remis, en janvier 2008, soit quelques semaines après l’embauche de son épouse, les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre.



Eric Woerth est-il intervenu pour que le couple Bettencourt obtienne l’Hôtel de la Monnaie ?

Là aussi, le soupçon vient des enregistrements. On y entend Patrice de Maistre déclarer à Liliane Bettencourt, le 27 octobre 2009 : « J’ai demandé au ministre Eric Woerth, qui est un ami, d’être là, parce que c’est grâce à lui qu’il y a eu l’Hôtel de la Monnaie », destiné à accueillir l’auditorium André Bettencourt, le mari défunt de Liliane.



Voilà pour Eric Woerth. Et c’est déjà beaucoup. Autant dire que tous les soupçons qui pèsent sur lui sont loin d’avoir été levés, quoi que puisse en dire notre président. Qui n’a pas non plus répondu à toutes questions le concernant.



Les Bettencourt ont-ils remis des enveloppes à Nicolas Sarkozy ?

L’accuser d’avoir « ramassé des enveloppes » d’argent liquide chez Liliane Bettencourt ? « C’est une honte ! » Et puis, « vous [l’]imaginez, pendant un dîner, devant les convives à table, repartant avec de l’argent ? » Hormis cette manifestation d’une indignation portée à son comble, Nicolas Sarkozy n’a rien déminé du tout, lors de son intervention sur France 2. Certes, ces allégations de l’ex-comptable de Liliane Bettencourt publiées par Mediapart, elle les a ensuite démenties, ou plutôt nuancées. « Je n’ai jamais dit que des enveloppes étaient remises régulièrement à M. Sarkozy », a-t-elle déclaré ensuite à la police. Mais, a-t-elle assuré, « il y avait des enveloppes d’espèces qui étaient remises par M. Bettencourt ou de temps en temps par Mme Bettencourt à des politiques ». Nicolas Sarkozy était-il concerné ? Réponse de Claire Thibout : « c’est possible ». Qui dit vrai ? Là encore, on n’en sait fichtre toujours rien.
Par ailleurs, il semble, à l’écoute des enregistrements, que Liliane Bettencourt aurait signé un chèque en faveur de Nicolas Sarkozy, le 4 mars 2010. Sur ce point aussi, on attend toujours que l’Elysée nous donne des explications.



Nicolas Sarkozy est-il intervenu dans le dossier Bettencourt/Banier ?

Enregistrements toujours, et c’est toujours Patrice de Maistre qui s’adresse à Liliane Bettencourt : « Il [Patrick Ouart, ancien conseiller pour la justice de l’Elysée, ndlr.] a voulu me voir l’autre jour et il m’a dit, M. de Maistre, le président continue de suivre ça de très près... (...) ». En effet, Nicolas Sarkozy a rencontré deux fois Patrice de Maistre à l’Elysée, dont une en présence de Liliane Bettencourt, en novembre 2008, comme l’a révélé Le Nouvel Observateur, « pour évoquer les conséquences, sur le groupe l’Oréal, du procès intenté à François-Marie Banier par la fille de Mme Bettencourt », selon Pascal Wilhelm, l’avocat de Patrice de Maistre. S’en est-il tenu à ces seules rencontres, ou en a-t-il tiré, justement, des « conséquences » ?



Comment explique-t-il qu’à l’Elysée, on connaissait des décisions de justice avant qu’elles soient rendues ?

La raison invoquée par l’avocat de Patrice de Maistre ne permet pas, ainsi, d’expliquer comment Patrick Ouart a pu informer, en juillet 2009, le gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt d’une décision de justice avant même qu’elle soit rendue. A savoir que la plainte pour « abus de faiblesse » déposée par sa fille allait être classée sans suite par le procureur de Nanterre le 3 septembre, ce qui s’avéra exact.
Et ce n’est pas tout. Dans les bandes pirates, on entend encore Patrice de Maistre déclarer à la milliardaire : « En première instance, on ne peut rien faire de plus mais en cour d’appel, si vous perdez, on connaît très très bien le procureur. »

Et dire que le gouvernement nous rabâche depuis des jours qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter, que la justice est indépendante. Espérons néanmoins qu’elle le sera assez pour tirer au clair une partie, au moins, de ces questions.

(Sarah Halifa-Legrand - Nouvelobs.com)


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