Commentaire de NICOPOL
sur Millénarisme, révolution et théorie du complot (2/3)


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NICOPOL NICOPOL 22 septembre 2010 01:21

Bonsoir Philou,

Merci de ce long message qui, une fois n’est pas coutume, s’efforce d’être argumenté et convainquant.

Je vais donc y répondre en détail.

"Les mouvements de révolte arrivent parce qu’ils sont l’expression d’un ras le bol, pas des rêves des gens qui réfléchissent à une société meilleure. Et c’est souvent bien plus d’opportunistes que viennent les dérives, qui voient dans ces évènements l’occasion d’exercer leur haine ou leur désir de puissance.

Le « bien éternel » est bien plus souvent une idéologie qui sert après coup commodément à manipuler les gens, et pas un but des vrais réformateurs« 

Entièrement d’accord.

Ayant lu çà, je ne comprends plus très bien vos critiques. Nous disons finalement la même chose, à savoir qu’il convient de bien distinguer les mouvements réformateurs qui privilégient le dialogue et le changement progressif, et les mouvements à tendance révolutionnaire et violente, dans lequel de malheureux défavorisés sont entraînés par quelques »meneurs« exaltés leur vendant une »lutte du bien contre le mal« (ce que je range sous l’étiquette »millénarisme« ). Je vous rejoints donc totalement dans la dénonciation de ces dérives, des manipulations de soi-disant leader messianiques, qui au fond l’aspirent qu’à prendre le pouvoir, et non à rendre plus heureux les faibles qu’ils entrainent dans leurs folies.

Pour reprendre un exemple qui m’est cher, j’approuve les »révolutionnaires« (davantage des réformateurs) de 1789 qui voulaient abolir les privilèges, renforcer la démocratie participative au travers du parlement, et rendre le système plus juste et plus équitable tout en maintenant une monarchie qui bénéficiait du soutien de la très grande majorité de la population française ; je conchie en revanche les révolutionnaires de 1793, leurs coups d’états, l’assassinat de la famille royale, la terreur, les guerres révolutionnaires et le génocide vendéens.

 »"Tout est relatif. S’il n’y avait pas eu la révolution, vous seriez peut-être un serf au service d’un quelconque noble.« 

Je suis d’accord avec vous si vous parlez de la révolution de 1789, qui avait pour but de mettre en place sans violence une monarchie parlementaire comme dans d’autres pays européens.

Je m’oppose totalement à vous si vous avez en tête la révolution jacobine de 1793, qui, j’en suis intimement convaincu, est à l’origine d’une bonne partie du bordel mondial qui s’en est ensuivi. Je suis convaincu que le monde actuel serait meilleur si le Roy, l’idiot, n’avait pas fui à Varennes (ou si son descendant tout aussi idiot ne s’était pas bloqué sur un simple drapeau blanc...), et si l’on avait empêché des fous furieux du type Robespierre, Lénine et autres Pol Pot de mettre en application leurs délires millénaristes d’ »homme nouveau« .

 »Le vrai problème est que le peuple n’a pas appris à mettre en place des reformes radicales sans violence. Mais cela vient aussi de la manipulation continuelle qu’il subit, où on le pousse à abandonner sa responsabilité et son pouvoir de décision au profit d’institutions telles que l’état, la royauté, l’église, la noblesse. Aujourd’hui, c’est les institutions financieres et les experts associés qui font office de gourous. Quand la casserole déborde, il révoque ses maitres souvent brutalement, mais comme il n’a pas appris à se diriger seul, des chefs auto-proclamés ont tôt fait de le replonger dans sa dépendance, en utilisant d’autres dogmes et d’autres impératifs.« 

Je partage totalement votre analyse. Sous couvert d’une pseudo-démocratie, l’individu moderne n’a quasiment aucune prise sur le monde qui l’entoure, trop compliqué, trop technocratique, trop dénué de sens. Nous passons docilement d’un »ordre établi« à une »révolution« qui, une fois victorieuse, deviendra le nouvel »ordre « établi » (j’adore SOS Bonheur de Duffo et Van Hamme qui illustre magnifiquement cette idée un peu désespérante). Mais au fonds, il n’y a que des individus ou groupes d’individus dévorés d’ambitions qui aspirent au « pouvoir », font tout pour y parvenir et s’y maintenir. Il n’y a plus de « politique » au sens antique et noble du terme.

Ceci étant dit, le fait de partager cette analyse n’empêche pas, bien au contraire, de considérer avec la plus grande méfiance ces « révolutionnaires » vous vendre leur soupe sur le « grand soir », le « dernier combat » et autres mythes millénaristes. Fondamentalement, le message de mon article, c’est celui-ci : « quelle que soit la situation, ne suivez jamais ces faux prophètes exaltés qui prétendent vous mener à la victoire finale contre les »forces du mal« , qu’ils soient de droite, de gauche, écolo, new-age, islamistes ou soucoupistes ». Ce message kantien, me semble-t-il, est particulièrement important dans le contexte d’insatisfaction et de frustration grandissante que vous décrivez fort bien.

"C’est pas le 14 Juillet qui est en cause, mais la direction des révoltés par des chefs, manipulateurs et opportunistes. Vous oubliez de dire que la soumission du peuple dans un cadre rigide rend difficile toute révolte intelligente, ce d’autant plus que la société est soumise à des pesanteurs inhibantes (pauvres-riches, nobles-manants, le poids de la religion, et par dessus tout les intérêts de certaines communautés dans le statut-quo).« 

Bien d’accord avec vous. Mais, quand même, il y a des »leaders« qui sont totalement persuadés d’être des sortes de »prophètes« devant guider le camp du bien dans sa lutte contre le mal. Et des gens crédules qui, au fond d’eux, ont conservé un fond de mentalité préscientifique millénariste qui ne demande qu’à être excité par ces quelques »messies« autoproclamés.

 »Le problème des révoltes, c’est celui de la société dans son ensemble, pas de ceux qui proposent autre chose. Si la société était arrivée à l’age adulte, elle saurait faire passe les changements sans à-coup.« 

Encore une fois, Philou, je ne peux que vous approuver. Comme vous le dites, une société qui a besoin de »révolution« pour améliorer les choses ou s’adapter à un nouveau contexte global est une société bien puérile. Ceci rend encore plus nécessaire d’attirer l’attention de ses contemporains sur ce que l’on estime être les manifestations les plus dangereuses de cette puérilité, et parmi lesquelles, comme je m’efforce de le montrer dans mon article, le millénarisme occupe une place éminente.

 »Peu de gens à l’heure actuelle sont pour la violence, même si les dérives actuelles incitent à la colère. Mais elle risque d’éclater, parce que depuis 30 ans le debat ideologique a été etouffé et qu’on nous sert constamment « c’est le système actuel » ou rien.« 

C’est surtout que, hélas, on ne nous propose pas d’alternative réaliste et crédible pour réformer ce système qui déraille. Soit on nous propose des »mesurettes« cosmétiques qui, bien que parfois motivées par une sincère volonté de réforme (je mets dans ce panier certaines propositions de Barack Obama ou Nicolas Sarkosy) ne changent finalement pas grand chose ; soit on nous propose des projets de société idéologiques et totalement irréalistes (tout nationaliser, prendre l’argent des riches, travailler 30 heures par jour, remplacer le nucléaire par des éoliennes...) ; soit on nous propose de »tout casser« par la violence et la force pour bâtir »from scratch« un monde parfait.

Pourquoi aucun homme politique n’est-il capable de proposer une analyse lucide et sans concession de la réalité, de se faire élire démocratiquement et de mettre en œuvre tranquillement mais fermement un vrai programme de réformes ? Un seul homme, dans le paysage politique français, me semble rapprocher d’une telle démarche, c’est Jean-Luc Mélanchon, qui est par son côté »tribun« une sorte de »Le Pen de droite« . Je n’adhère pas aux solutions qu’il propose, je ne suis pas de son »bord idéologique« et je m’oppose totalement à certaines de ses prises de position, mais en voilà un qui aborde les choses avec une certaine cohérence et pragmatisme, et en tout cas sincérité et réelle volonté de changement. Si on pouvait avoir une version »social-démocrate« de Mélanchon, je pense que je me réinscrirai sur les listes électorales...

 »La vacuité de la réflexion actuelle est le pire danger pour les peuples, car il risque de déboucher sur un rejet violent, faute de solution de remplacement. Et c’est pas une question de milliénarisme, mais de manipulation et de propagande pour endormir les gens.

Le meilleur pour faire avancer cela, c’est d’instruire les gens. Internet y contribue, à defaut des systemes en place.« 

Essayons de préciser ma pensée : il y a au fond de chacun de nous, à un niveau plus ou moins profond, un conflit entre un »surmoi« rationnel et raisonnable, et un »ça« obéissant à des croyances primitives et pré-scientifiques de type »millénaristes« . En situation idéale, le jeu politique mobilise la couche »raisonnable« de notre esprit de citoyens, et nous parvenons ensemble à définir et appliquer la meilleure solution possible dans le contexte présent (approche du »meilleur régime possible« des Grecs). En situation dégradée, des agitateurs révolutionnaires haranguent les foules, flattant leur »ça« millénariste en leur promettant pour demain le »meilleur des mondes« , entraînant les foules hypnotisées dans des révoltes violentes et finalement stériles, contre-productives et mêmes meurtrières.

Il y a donc manipulation et propagande, mais au fond le ressort mental qui est »excité« par cette propagande c’est un ressort de mentalité »millénariste".

Finalement, Philou, vos observations enrichissent et mettent certainement en perspective l’analyse de la mentalité millénariste, mais dans le fond il me semble qu’elle ne remet pas vraiment en cause l’ « histoire » racontée dans cet article...

Enfin bon, en toute sincérité, je suis ravi que nous ayons pu avoir enfin un dialogue je l’espère constructif (en tout cas il le fut pour moi). J’espère avoir l’occasion de le poursuivre sous cet article ou le prochain.

Cordialement,


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