Commentaire de Louis Dalmas
sur Voyage au bout de la bêtise


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Louis Dalmas Louis Dalmas 24 janvier 2011 18:57

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J’ai lu avec attention le débat à propos de Céline, et je voudrais suggérer quelques observations.

1)  Il me semble juste de ne pas faire payer à la pensée le prix des actes. Des intervenants ont cité bien des cas ou le talent littéraire est à séparer d’un comportement condamnable. Ce qui n’empêche pas de juger ce talent ; la condition est de le juger “en soi”, en tant que production intellectuelle, et d’y faire la part de ce qu’on aime et de ce qu’on n’aime pas, mais pas de lui appliquer des critères relatifs à un domaine différent, celui de l’action. On a connu un cas semblable avec Heidegger, dont l’appartenance présumée à un mouvement nazi n’a pas à amoindrir son apport philosophique.

2)  La censure d’une œuvre, quelle qu’elle soit, est inacceptable. On peut ne pas en honorer l’auteur, mais en interdire l’accès est une sinistre idiotie. Comme le sont les nouvelles lois prohibant l’expression du “révisionnisme”, du “négationnisme”, de l’offense aux religions ou même du racisme. La suppression d’une opinion ne fait qu’en augmenter l’attrait. L’auteur réduit au silence devient une victime ; l’occultation de ses écrits, même stupides, irrationnels  ou choquants, ne fait qu’accroître la tentation d’en prendre connaissance.

3)  Le cas de Céline pose problème, car il a lui-même revendiqué une harmonie entre sa pensée et ses actes. Son antisémitisme l’a rapproché des nazis. Ce n’est pas une raison pour le condamner en bloc : cela ne fait qu’imposer un tri entre l’or et la poubelle, autrement dit une reconnaissance de la valeur d’une partie et le rejet de l’abomination d’une autre.

On peut faire une comparaison intéressante avec la politique. Les nazis ont identifié, eux aussi, leur idéologie à leurs crimes. Ils ont été condamnés en bloc. Les leaders de l’Occident, les Bush, Clinton, Blair et leurs complices, ont eux aussi identifié leur libéralisme économique et leur pseudo-morale du bien contre le mal à leurs guerres. Ils n’ont pas été punis comme ils auraient du l’être, mais ils sont aussi perçus comme un bloc. La grande différence est que la littérature n’influe pas directement sur la réalité, alors que la politique a des conséquences qui se matérialisent en ruines et en morts. En littérature ou en art, on ne peut pas ternir l’œuvre par la noirceur de son auteur. En politique, on doit faire payer aux criminels la responsabilité de ce qu’ils ont fait.        


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