Commentaire de Luc-Laurent Salvador
sur Un juré ose défier l'omerta des verdicts d'assises !


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Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 6 avril 2011 07:19

L’influence est permanente dès qu’il y a communication. Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils sachent y résister ou non, les jurés sont sous influence. Il ne saurait en être autrement dans les affaires humaines.
Et le processus d’influence commence avec la notion même de « fait ». Faut-il le rappeler, un fait est « fait », c’est-à-dire, toujours plus ou moins fabriqué.
Donc loin de penser qu’un fait est incontestable, il nous faut nous rappeler constamment comment un fait peut être défait.
Je me dis que dans l’affaire d’Outreau, il ne doit pas manquer de cas de ce genre.

Quoi qu’il en soit, c’est un fait bien connu en psychologie qu’un jury est régi par une dynamique de groupe où les influences et les contagions (c’est-à-dire, les processus d’imitation réciproque entre les jurés) vont faire qu’il y aura consensus ou dissensus sur tel ou tel point et au final sur le verdict.

On ne peut douter une seconde que ceux qui sont en position d’autorité soient tentés d’en user. Comme partout, il y aura ceux qui aimeront cela et s’y adonneront largement et ceux qui, conscient de la nécessaire dimension collective du jugement, veilleront à assurer le caractère le plus démocratique possible à la dynamique de groupe en se contentant de rappeler... les faits, les lois, les règles et en laissant évoluer les représentations par la rumination qu’en font les jurés.

Il me paraît évident que le refus de la motivation est l’expression de la volonté de tenir la justice hors de contrôle. Cela peut sembler inacceptable actuellement où la revendication de transparence et de démocratie va grandissante avec la perte de confiance, de légitimité et d’autorité du pouvoir.

Mais il y a une bonne raison qui motive cet état de fait : la justice est faite pour réparer le tissu social, pour construire une réalité qui nous rassemble, nous mette en accord, donc en paix. Elle réalise cela en prenant une décision. Elle tranche en disait quelle est la « réalité ». Mais elle ne peut faire cela que par la seule chose qui ait ce pouvoir de « créer » du réel : le consensus.

Si le consensus se perd, la « réalité » aussi est perdue. Le conflit va perdurer et la paix ne viendra jamais.
C’est pour cela qu’on est pas censé discuter les décisions de justice. Motiver ces dernières, c’est inévitablement ouvrir la discussion sur ces motivations et donc sur la décision. C’est remettre en cause cette dernière et c’est garantir l’insatisfaction populaire car la conviction que justice est faite aura disparue.

Nous vivrions alors en permanence dans un monde instable où tout serait contestable et c’est peu confortable.

Je pense que c’est déjà notre réalité. Mais j’ai choisi la pillule rouge. Pour garantir la paix des chaumières, il est logique que le pouvoir fasse tout ce qu’il peut pour nous amener à préférer la pillule bleue. La non motivation des décisions de justice va dans ce sens. Il est plus facile de se raconter que tout va bien en laissant la boite de Pandore refermée.

D’ailleurs, il se pourrait bien que tout aille mieux en effet tant que la boite de Pandore reste fermée smiley

Mais peut-être suis-je naïf ou idéaliste, je continue à penser qu’il vaut mieux ouvrir les boîtes de Pandore pour aller au fond des choses et se mettre d’accord, faire consensus sur le « réel », sur la roche, plutôt que sur le sable des faux-semblants.


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