Commentaire de easy
sur Le noir mat, la dernière couleur du luxe


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easy easy 27 juin 2011 12:26

Bonjour Lucadeparis,

Vous avez bien balayé le spectre des arguments possibles à cette mode du noir mat.

Essayons de compléter l’examen de ce spectre.

Je vois l’introduction du noir mat au moment où l’image disons photographique s’est imposée (cinéma inclus) 
Dans le même temps que l’image photographique s’est imposée, on nous projetait des diapos dans les amphis, on faisait des expériences avec la lumière dans nos salles de TP de physique, et là, moments magiques, spéciaux, on tirait les rideaux noir mat.

Alors que pendant longtemps (mais pas toujours) on avait entouré les tableaux des maîtres d’un cadre chargé souvent clinquant, on se mit à encadrer toute photo, tout film, de noir mat.

Les cous en résine ou plâtre qui servaient à exposer les bijoux autour de la place Vendôme passèrent de la couleur chair ou blanche, au noir mat (flocage de fibres mates sur le mannequin) 
Les écrins à stylos, qui étaient autrefois garnis de satin blanc, bleu marine, passèrent au rouge et au noir mat. 


C’est que dans le même temps, les objets que produisaient les industries étaient beaucoup plus facilement brillants qu’autrefois. Le brillant et le brillant durable était partout, jusque sur les pare-chocs. Le mat ressortait donc comme l’alternative ou le contrastant du brillant de plus en plus courant. Pour finir, les états de surface, les niveaux de matité ou de brillant d’un objet manufacturé devinrent très considérés et arguments esthétiques au même titre que la couleur.

Alors que le Cristal Palace, que Grand Palais formaient des écrins clinquants aux expositions, on se mit à contruire des magasins et des halls d’exposition dont les plafonds étaient noir mat.

Puis, le fond noir mat d’un local devenant synonyme d’écrin culturel, il apparut de plus en plus suffisant de peindre un intérieur en noir mat pour suggérer l’idée qu’il abritait quelque intelligence.

Est alors arrivée le moment techno-gothique qui a fait du noir mat et de l’anthracite mat son alfa et oméga. On semblait faire du deuil une raison de vivre.

Plus récemment, les casques de moto sont passés au mat. Ensuite seulement, les motos elles-mêmes. Les motos étant fortement synonymes de furtivité. Au bilan, un motard sous combinaison noire, avec casque intégral noir, sur moto noire mate serait le symbole absolu de la furtivité en milieu urbain ordinaire. 

Et puis il y a la nuit. L’espace nocturne étant artificiellement rendu vivable grâce à la fée électricité, nous nous sommes mis à vivre la nuit, dans le noir mat.

Bitumisation, Chaussettes noires, T-shirt noir, lunettes noires, noir c’est noir, noir désir...

Et si le soleil représente quelque père, le noir mat énonce son absence, son abandon ou son rejet.


Enfin, il y a la longue procession que forme l’enterrement du blanchisme. Il y a la place que le monde doit accorder désormais à la peau noire et mate qui contient, pour les Blancs, quelque chose relevant du plus virginal, du plus sauvage et du plus innocent de l’industrialisation.


Dans le domaine militaro-ninja, le noir mat serait plutôt synonyme de plus grande agressivité-furtivité et donc d’efficacité meurtrière. 

Mais dans le domaine civil, il verserait nettement dans le victimisme en « Nous sommes tous les nègres de la civilisation »



Autant signaler deux détails.
 
L’industrie ne sait pas encore fabriquer des joints de bagnole autrement que noirs. On essaye bien de les peindre en couleurs mais on ne sait pas les colorer dans la masse tout en leur conservant leurs qualité physiques et mécaniques dans la durée (à cause des UV) 
Pour fabriquer nos pneus noir mat, l’industrie doit incorporer dans ses sauces de vulcanisation, des pigments de couleur.

Le bitume forcément noir, les pneus et joints forcément noirs, ça devait conduire à réaliser des voitures noires tout aussi mates.

Autre détail amusant. Les tunistes avaient tenté de résoudre la problématique de l’ombre portée que forme la voiture sur la route en installant des lampes sous la caisse. Leurs voitures roulaient donc en produisant un étonnant négatif de la réalité naturelle. Et les autorités ont fini par interdire cette anomalie visuelle.

Poursuivons avec « Plus vite que son ombre » 
Comme « L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt », comme il s’agissait de sortir du lit avant que le soleil ne soit levé, nous nous sommes lancés à corps perdu de la recherche du temps perdu au dépassement d’autrui par la vitesse. A défaut de parvenir à l’immortalité, nous avons été névrosés de la vitesse. Et comme c’est sur la route noire et avec des pneus noirs que nous avons le plus couramment joué de vitesse, comme il fallait furtiver les radars, notre névrose plusrapidiste ne pouvait qu’être noire et furtive.

La vitesse de la lumière nous étant inaccessible, elle attendra. 


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