Commentaire de easy
sur On nous mène en bateau avec le « modèle allemand »


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easy easy 4 février 2012 14:04

Faute de temps, je ne puis entrer dans le sujet proposé.
Je ne peux que dire deux mots sur le « modèle » existe-t-il ou pas.

Concernant donc les « modèles » de culture ou de pays, mais ça vaut pour d’autres entités, par exemple pour les défilés de mode, ils existent, au-delà du papier, à la fois de manière vivante et de manière potentielle.

La langue française existe de deux manières. D’abord parce qu’elle est pratiquée (de mille façons mais en conservant un air de famille). Et aussi parce qu’en magasin, sont à disposition de tous, des mots, des expressions, des syntaxes et grammaires que chacun peut saisir et utiliser en toute intelligence et compréhension de tous.

Les « modèles » allemand, français, bolivien, inuit, existent eux aussi, dans leur pays respectif, selon ces deux manières. D’une part parce qu’ils sont vraiment pratiqués, d’autre part parce qu’il y a tous les ingrédients en magasin.



Je serre maintenant plus spécifiquement sur le modèle allemand.

La photo de cette usine montre une salle à plan rectangulaire allongé avec des prises de lumière naturelle importantes (« paradoxalement » orientées vers le nord dans notre hémisphère nord)
La salle ne comporte aucun pilier intermédiaire, la surface du sol est parfaitement dégagée de toute structure architecturale.
Sur les deux grands murs, il y a dans la hauteur, des corbeaux soutenant deux rails gris. Sur ces deux rails, il est possible d’installer un pont roulant. (Il y en a forcément un mais il est derrière le photographe)
C’est ce pont roulant électrique qui permet aux ouvriers de déplacer en toute ergonomie les charges très lourdes sur cette surface. 
Ces rails porteurs débordent du bâtiment à une de ses extrémités afin que le pont puisse charger et décharger des camions garés dehors.
Ces ingrédients, ici cuisinés, sont constitutifs du modèle industriel dans lequel se situe le modèle plus particulièrement allemand. Le modèle allemand ayant la particularité d’avoir poussé au plus loin possible l’ergonomie tant pour le client que pour l’ouvrier. 
L’Allemagne est l’endroit du monde industrialisé où est née l’ergonomie certes au profit du consommateur mais aussi et concomitamment au profit de l’ouvrier.

En Amérique, à l’époque où la masse était jouée par les propriétés radio luminescentes de produits radioactifs et où l’on s’amusait d’en voir des applications sur les montres, les ouvrières passaient leur temps à humecter leur fin pinceau à la bouche pour les tremper ensuite dans le produit avant d’en déposer une fine goutte sur chaque heure et sur les aiguilles. A la nuit tombée, elles s’amusaient de se retrouver avec la bouche radio luminescente et le cadavre de ces filles mortes de cancer reste radio actif. Cela pendant que la direction savait les problèmes vécus par les Curie. 

En Allemagne ce genre de cloisonnement du savoir sur la dangerosité des produits n’a pas pu prospérer tant il y règne l’ingrédient du respect de la santé du travailleur allemand.
Ils ont été les rois de la chimie et des poisons mais leurs ouvriers ont été singulièrement équipés en protections globales et individuelles. Les fondamentaux du syndicalisme allemand se situent sur ce principe de la protection de la santé de l’ouvrier.

Qu’un tel souci d’ergonomie n’ait pas été absolument respecté partout en Allemagne, oui, très probablement. Mais l’ingrédient est là, en magasin, toujours prêt à être utilisé et il est très utilisé. 

Alors que dans d’autres pays industriels on n’a pas eu de scrupules à exposer des soldats et des civils aux radiations des expériences sur la bombe atomique, les Allemands n’ont jamais fait ça parce qu’en boutique ils disposent de l’ingrédient de la sécurité du personnel, parce que leur culture leur interdit de l’oublier.

Il va alors de soi que se retrouver haï des Allemands c’est s’exposer à devoir souffrir précisément de tout ce dont ils savent si bien se préserver. Mais laissons là les contextes de guerre et revenons aux contextes plus paisibles.

Si un industriel allemand veut implanter une usine dans n’importe quel autre pays, il doit exporter cet ingrédient, cette culture, ce réflexe aussi, sinon son usine ne fonctionnera pas à l’allemande ; Or s’il est facile de faire construire une usine selon ce plan en Inde, il est très difficile d’y transplanter la culture ouvrière allemande. On aura beau y marteler les règles de protection des ouvriers, les employés indiens n’y étant pas habitués, cet ingrédient reste en fond de tiroir.


Posons rapidement qu’en Amérique, l’ingrédient singulier de son modèle industriel versait dans « Il faut que l’ouvrier devienne le consommateur de ce qu’il fabrique » et que l’ingrédient de sa santé passe alors au second plan.


Exemples
La fabrication d’une armoire à partir d’une tôle d’acier est facile. On la découpe, on la plie, on soude les éléments entre eux et on a une armoire. Or une telle armoire a donc 8 coins pointus. Tant qu’ils sont situés au-dessus de 2 m de hauteur, il n’y a que les déménageurs qui peuvent avoir à souffrir de ces coins. Mais pour toute armoire en tôle dont les coins se retrouvent plus bas, c’est mille fois par jour que des utilisateurs se font mal dessus. Les Allemands ont été les premiers au monde à refuser cette économie et à consentir un effort démesuré en termes de rentabilité au plus court, pour fabriquer des armoires en tôle où les coins avaient été laborieusement arrondis.

Les arrondis aux meubles, les bordures antichocs, l’hygiène hospitalière obtenue par une architecture et par un ameublement facile à nettoyer (bas des plinthes arrondis), la qualité des plans de travail (cuisine, usine, labos), les prises de courant avec la terre et faciles à saisir, les masques de protection, les gants, les outils à manche sûr, les éclairages confortables, les loupes de travail, tout cela vient de leur manière de considérer le travailleur manuel et la sécurité au travail. Il allait donc de soi que les machines allemandes deviennent les plus appréciées des ouvriers du Monde entier.

Ailleurs qu’en Allemagne, on a eu l’idée de placer des roulettes sous les chaises. Mais ça les rendait très casse gueule. Pas un seul de nos Corbusier n’a été intéressé d’y réfléchir. Seuls les Allemands s’y sont mis et ont pondu le piétement en étoile non pas à 4 branches mais à 5. Celui qui fait référence et standard mondial de nos jours.
Il peut paraître choquant de le dire ici, en France, mais Le Corbusier est allé à cubiser l’homme pour le faire rentrer dans des boîtes bien alignées et optimisées au rendement volumétrique (Cf Ville radieuse + Cité radieuse), en valorisant ainsi le visionarisme (réservé aux élites). Alors que Gropius disait « Architectes, sculpteurs, peintres ; nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n’y a pas d’art professionnel. Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan »

Or, on ne peut pas descendre le statut de l’artiste pour le placer au niveau de l’artisan, sans faire de tous les ouvriers des personnes à respecter.

Quoi ? Descendre l’architecte, l’urbaniste, le docteur au niveau du sabotier et de l’infirmière ? Ah que non alors ! répondent en choeur nos Grandes Ecoles

Bien entendu, l’Allemagne a eu des frontières poreuses et c’est constamment que sa conception des choses a diffusé vers l’étranger qui s’en est inspiré (d’autant que plein d’Allemands ont émigré). De sorte que la singularité allemande n’est jamais très saillante et qu’il faut y regarder de près au présent et au passé pour la voir.

J’ignore combien de temps cet ingrédient du respect de la santé de l’ouvrier, par son statut non inférieur, continuera d’exister dans les cuisines et usines allemandes mais tant qu’il existera, tant que les Allemands resteront à savoir cuisiner avec, le modèle allemand existera, en partie appliquée et vivante, en partie potentielle.

Enfin, ce à quoi aboutit cette culture, c’est que la masse laborieuse bénéficiant d’arrondis et donc d’un respect fondamental pour son corps physique, supporte beaucoup plus facilement des sacrifices en termes de pouvoir d’achat tant que ce sacrifices lui semblent susceptibles de perserver son modèle où consommer n’est pas le premier credo.


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