Commentaire de NICOPOL
sur Agora, Libéralisme et Blasphème


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NICOPOL NICOPOL 9 octobre 2012 19:47

Bonsoir Mycroft,

Merci de cette réaction même un peu tardive....

Je suis globalement assez d’accord avec vous quant à votre conclusion : chacun a le droit de critiquer Charlie Hebdo pour ce qu’il a fait ; mais là n’est pas la question. La question est : peut-on condamner judiciairement Charlie Hebdo pour cela ? La réponse, pour moi, est mille fois NON.

Il y a un point qui me choque dans votre argumentation. Vous dites, en gros : OK pour une liberté d’expression totale dès lors que ceux qui l’utilisent veulent dire la vérité ; mais NON pour ceux qui voudraient l’utiliser pour désinformer ou propager des idées fausses. Le problème, c’est : qui peut décider à chaque instant ce qui est vrai et ce qui est faux, et donc qui aurait le droit de s’exprimer et qui n’en aurait pas le droit ?

Si je vous suis bien, vous seriez par exemple contre le fait qu’un Faurisson puisse s’exprimer publiquement, parce que ses thèses sont fausses. Mais à l’époque de Galilée, ses théories ont également été interdites parce qu’elles étaient considérées comme fausses (à une époque où l’on jugeait de la véridicité ou de la fausseté d’une théorie en fonction de sa compatibilité avec la Bible) ; et il ne peut être exclu à 100% qu’un jour, les théories de Faurisson ne s’avèreront pas vraie, ou en tout cas pas totalement fausse, et conduiront à réviser ce qui aujourd’hui apparaît comme une vérité objective et incontestable. Votre argument, pour être valide, suppose qu’il est possible de connaître objectivement ce qui est vrai et ce qui est faux. Or, l’histoire montrent que ce n’est en pratique pas possible : les exemples abondent, de ceux qui ont été condamné juridiquement à un moment avant de voir leurs idées devenir tout à coup la nouvelle « vérité officielle ».

La personne qui penserait détenir les règles du vrai et du faux et les utiliserait pour autoriser ou non telle ou telle personne à s’exprimer ne ferait qu’exprimer un préjugé, une idéologie. Pour preuve, Faurisson est interdit de s’exprimer, mais une personne qui nierait les victimes du stalinisme ou en relativiserait l’ampleur serait tout à fait libre d’exposer sa thèse sur la place publique sans risquer de poursuites judiciaires (il n’y a qu’à lire les derniers articles sur AV qui veulent réhabiliter Robespierre et expliquer que les millions de morts du Stalinisme, c’est de la propagande fasciste...). Il y a donc bien un biais idéologique qui autorise la contestation des crimes du communisme, mais pas du nazisme.

Défendre la liberté d’expression tout en accordant à une autorité judiciaire le pouvoir de décider qui dit la vérité et qui ne la dit pas, et d’autoriser le premier à s’exprimer mais pas le second, est donc complètement contradictoire. Cela ne peut conduire qu’à une « police de la pensée » qui défendrait « LA »vérité« , ce qui, comme je l’évoque dans mon article, est la négation même de la liberté d’expression qui repose au contraire sur l’idée qu’il n’existe pas de telle »vérité objective« .

Il découle de cela que, sauf à penser qu’il existe une vérité objective et absolue (ce qui est le point de départ de toute idéologie totalitaire), il n’est pas possible de nuancer la liberté d’expression comme vous le faite : si on s’accorde sur la nécessité d’une libre expression, alors il faut accepter de laisser la parole à ceux qui veulent défendre des thèses que vous jugez fausses, méprisables ou scandaleuses. Sinon, c’est la porte ouverte au totalitarisme (les »lois mémorielles" sont ainsi déjà par nature totalitaire).

Cordialement,


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