Commentaire de Éric Guéguen
sur Condorcet, l'anti-Chouard ?


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Éric Guéguen Éric Guéguen 2 décembre 2012 12:12

@ Machiavel :

Je suis à vous...
Et je vais tenter de répondre dans l’ordre aux différents problèmes que vous soulevez... en me mettant quelque peu à la place de Condorcet, puisque c’est lui que vous interpellez (ce qui ne veux pas dire que je sois d’accord avec tout, comme vous vis-à-vis de Francis Cousin).

1. « Quelle est l’instruction qui permettrait à la raison d’épauler le nombre ? »

Une instruction universelle et par degrés, s’adaptant aux facultés naturelles de chaque élève, c’est-à-dire une instruction pour tous ET pour chacun. Vous pourriez me répondre que c’est déjà le cas... Eh bien non, je ne pense pas : croyez-vous que Condorcet approuverait la fin des devoirs a la maison pour satisfaire au besoin d’égalité ?...

2. « Pourquoi la Raison doit guider le nombre et non pas, par exemple, la Révélation ? »

Il faut savoir que la religion est la bête noire de Condorcet, tout comme Voltaire. Les croyances sont à ses yeux l’ennemi déclaré du savoir objectif. Il lutte contre l’influence des prêtres... MAIS tout autant que contre celle des dévots de son temps, c’est-à-dire les partisans d’un nouveau culte, celui de l’endoctrinement égalitaire.

3. « Sur quels critères devait s’élaborer cette instruction nationale ? »

Là, c’est assez long et j’aurais du mal à vous répondre, ses cinq Mémoires détaillent exhaustivement tout son projet. Pour aller à l’essentiel : établir un socle de connaissances communes (fondamentaux), puis, de proche en proche, faire en sorte que chacun puisse faire montre de ses qualités au maximum. Pas de collège unique, une formation continue tout au long de la vie, un accent mis sur les sciences et la musique qui « adoucit les mœurs » (c’est de lui), comme chez Aristote, etc. Le but affiché : rendre chacun, non pas « soi-même », ou « heureux », mais « autonome ».

4. « Qui déterminerait ces critères... ? »

C’est ici que Condorcet se met Marat à dos, en tablant sur les académies et sociétés de scientifiques... Mais comment s’assurer qu’ils soient tous aussi compétents et intègres que Condorcet lui-même ? C’est là que je dis qu’il voyait le monde à son image, mais on peut également voir en Condorcet la preuve vivante que le talent au service du bien commun existe, et que les plus intelligents ne sont pas forcément des spoliateurs en puissance !

Entendons-nous bien, je ne souscris pas à tout ce que dit Condorcet : je dis qu’il était conscient, mieux qu’aucun autre, de l’exigence de marier raison et nombre pour parvenir à une solution politique viable. Je dis qu’il ne peut pas être soupçonné d’avoir agi pour son propre compte, lors même qu’il prenait en considération les disparités intellectuelles de ses compatriotes, ce qui est une prouesse à l’époque, et quelque chose d’odieux de nos jours (malheureusement). Son dessein était bel et bien « libéral » au vrai sens du terme : rendre les uns et les autres « autonomes », surtout pas « endoctrinés » (contrairement à Robespierre). Mais sa foi aveugle en le progrès l’aurait de toute façon perdu.

Enfin... « Existe-t-il une science politique ? »

Vaste et passionnante question. Ceci va à l’encontre de la naturalité politique de l’homme à laquelle je crois profondément... Mais « l’homme » ne veut pas dire « tous les hommes ». L’homme est un animal politique dans la mesure où il est condamné à vivre en société (préférons « communauté »), mais les talents de certains et le temps qu’ils peuvent consacrer au Bien commun (ce que Condorcet prenait également en compte) doit être exploité au mieux... dans l’intérêt de tous. Et l’on retombe sur le problème qui fait débat : est-ce que certains hommes sont suffisamment honnêtes pour se consacrer réellement au Bien commun, ou sommes-nous tous pourris ??? Où l’on voit que la politique et l’éthique s’articulent fatalement l’une à l’autre.

À plus tard,
Éric


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