Commentaire de Sylvain Reboul
sur Peut-on réformer en France ?


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Sylvain Reboul (---.---.188.144) 30 mars 2006 12:30

Ce résumé des positions de Bruno Latour et de Michel Rocard est tout à fait nécessaire pour ouvrir la politique au monde réel et la sortir des mythologies républicaines-révolutionnaristes franco-françaises qui nous mènent au blocage, au repli sur soi, voire à la guerre civile permanente, plus ou moins ouverte. Je vous en remercie.

Mais il convient, me semble-t-il, d’essayer de comprendre d’où vient cette impuissance française à se réformer dans la recherche de compromis mutuels.

La comparaison avec les pays du Nord de l’Europe et en particulier avec l’Allemagne que je connais mieux :

Les institutions de ce dernier pays ne sont pas fondées sur la monarchie élective qui attribue au président un pouvoir quasi royal à l’ancienne, entouré d’une classe politique et d’une élite économique dite républicaine formée par les grandes écoles hyper sélective par lesquelles les couches privilégiées de notre société se reproduisent et maintiennent leurs privilèges et leur domination ; j’inclue dans ces couches les enseignants (dont je fais partie) pour lesquels ce système de sélection précoce en vue des plus hautes fonctions hiérarchiques marche on ne peut mieux ; ce qui explique leur résistance, derrière leur prétendue volonté de démocratisation de l’école, à maintenir cette sélection par les examens et autres contrôles permanents et surtout les concours aux grandes écoles (qui commandent tout le cursus des lysées) sous prétexte d’élitisme républicain. Une grande partie de la révolte des universités et des étudiants, laissés pour compte de cette hyper- sélection, vient de là.

Un tel système ne peut produire que des dirigeants arrogants qui croient tout savoir et méprisent tous ceux qui prétendraient, sans avoir leurs titres, intervenir au nom de l’intérêt général ou, plus modestement, des intérêts mutuels différents sinon divergents. Ajoutez à cela le corporatisme des grandes écoles et vous aurez un portrait de l’aristocratisme à la française sur fond de monarchie élective qui explique en dernier ressort l’incapacité de l’élite à se mettre à la place des autres pour comprendre leurs motivations, c’est à dire leur revendication à la dignité.

Le suffrage majoritaire, sans même parler du cumul des mandats et du déséquilibre entre les hommes et les femmes dans les fonctions de direction,, ne peut qu’aggraver cette coupure entre cette élite et la diversité sociale de cette revendication.

La société française est donc , sous un vernis républicain, plus aristocratique que la société allemande qui ne connaît ni les grandes écoles, ni le scrutin majoritaire ; par contre existe chez elle :
-  La cogestion capital-management-syndicats dans les grandes entreprises

-  Un apprentissage par alternance payé dans toutes les entreprises digne de ce nom, des possibilités de progresser et de se qualifier tout au long de sa vie

-  Le fédéralisme qui interdit une concentration centrale du pouvoir politique par une élite fermée.

-  Deux grands partis populaires (disons) l’un et l’autre sociaux-démocrates (centre droit/centre gauche), des syndicats intégrés à la vie de la cité et des entreprises, des banques semi-publiques qui assurent le soutien des PME.

Bref tout en Allemagne concourt à favoriser, voire à rendre le consensus et le compromis non seulement possibles, mais indispensables à la prise de décision, y compris en ce qui concerne des réformes socialement difficiles, comme la période Schröder et la grande coalition actuelle le montrent.

Un changement des méthodes politiques qui viserait à passer de la domination à la gouvernance impliquerait, me semble-t-il, un changement non seulement des mentalités et des procédures, mais aussi des institutions dans le sens de celles qui fonctionnent dans les pays de l’Europe du Nord, à savoir plus démocratiquemment que chez nous

Gouvernance et démocratie

Pour comprendre les élections allemandes

Le rasoir philosophique


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