Commentaire de Olivier Bonnet
sur Economie : pourquoi les Anglais réussissent-ils mieux que nous ?
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Argoul, vous balayez les objections en renvoyant à la face de vos contradicteurs des « et c’est mieux en france peut-être ? » puérils. Récemment, lors d’un débat sur France 2, Martine Aubry avait parlé de la pauvreté au Royaume-uni et ça me trottait dans la tête en lisant votre papier. Je vois que d’autres abordent ce point dans leurs commentaires. Alors j’ai fait des recherches à ce sujet pour être rigoureux dans ma critique. Voici quelques éléments qui me font récuser la valeur de modèle du Royaume-Uni.
AFP - mercredi 28 mars 2001 LONDRES (AFP) - Environ 500.000 enfants britanniques scolarisés travaillent illégalement, selon une étude publiée mercredi par la principale organisation syndicale du pays, le Trade Union Congress.
Différentes études ont évalué à environ 2 millions le nombre total des enfants occupant un emploi occasionnel en Grande-Bretagne, où l’âge limite pour commencer à travailler est de 13 ans. Déjà régulièrement pointée du doigt par Bruxelles, qui a introduit une directive européenne limitant et encadrant le travail des enfants, la Grande-Bretagne n’a guère enregistré d’améliorations en la matière depuis la dernière grande enquête du syndicat réalisée il y a quatre ans.
Parmi les enfants scolarisés qui travaillent, un tiers ont 13 ans et travaillent illégalement. La plupart des 2.500 enfants interrogés par le syndicat travaillent en effet plus que le nombre d’heures autorisées, qui est de 12 heures par semaine au maximum en période scolaire.
Cette enquête révèle qu’un enfant sur dix reconnaît manquer l’école pour travailler. Près de la moitié travaillent après 20H00 et un sur quatre avant 06H00 du matin, alors que la législation européenne interdit aux enfants de moins de 16 ans de travailler avant 07H00 du matin et après 19H00.
Le Monde - 20.11.02 - Londres de notre correspondant
Charles Dickens, s’il vivait aujourd’hui, aurait encore de quoi nourrir sa veine littéraire. Il trouverait matière à s’indigner dans le plus inattendu des résultats d’une enquête remise au maire de Londres, mardi 19 novembre, à la veille de la Journée internationale des droits de l’enfant : 53 % des enfants de la capitale britannique vivent sous le seuil de pauvreté. Ainsi, la plus riche, la plus opulente, la plus dispendieuse des capitales européennes abrite en son sein, à côté de ses nombreux millionnaires - en livres sterling -, plus de 300 000 enfants officiellement « pauvres ».
Alternatives économiques, janvier 2006 : (...) En 2002, comme on ne disposait alors que des chiffres de 1998 pour le taux de pauvreté, alors que le score de pauvreté de 2001 était déjà connu, certains ont accolé les deux mesures, ce qui a donné : sous Jospin, la pauvreté est passée de 6,9 % (niveau du seuil de pauvreté à 50 % en 1997) à 11,6 % (niveau du score de pauvreté en 2001), contribuant à provoquer l’effet électoral que l’on connaît. Si l’on prend le seuil de pauvreté à 60 %, qui est le seuil utilisé au niveau européen, la France, avec ses 12 % (chiffre provisoire pour 2003) se situait au... troisième rang de l’Union européenne à 15, à égalité avec le Danemark et les Pays-Bas, seules la Suède et la Finlande faisaient mieux, avec 11 %. Quant au Royaume-Uni, avec 18 %, il se situait loin derrière.
Dans Société civile, le mensuel du lobby anti-Etat, Bernard Zimmern avance, graphique à l’appui, que « les Anglais créent 300 000 emplois de plus [que la France] par an. (...) Les Anglais ont créé plus de 6 millions d’emplois en vingt ans (...). Le nombre de personnes employées dans le secteur marchand est [chez eux] de 7 millions supérieur au nôtre : 24,2 millions, contre 16,8 millions. » Trois affirmations erronées. Entre 1982 et 2002 (dates retenues par celui que Le Nouvel Economiste dans son numéro du 8 décembre 2005 qualifie d’ « expert »), le nombre annuel moyen d’emplois créé au Royaume-Uni est de 120 000, contre 137 000 en France, selon les données de la comptabilité nationale des deux pays (source qui compte les personnes et non les postes (2). En vingt ans, le nombre de personnes en emploi a progressé de 2,4 millions au Royaume-Uni et de 2,75 millions en France. L’emploi marchand compte 22,8 millions de postes au Royaume-Uni (Office national des statistiques britannique), contre 18 millions de personnes en France (comptabilité nationale), soit un écart de 4,8 millions. Quant à l’emploi non marchand, il emploie 500 000 personnes de plus au Royaume-Uni qu’en France. On pourrait tout aussi bien affirmer que la productivité du travail britannique dans le secteur marchand est de 30 % plus faible qu’en France (malgré les 35 heures...) et qu’ils emploient plus de monde que nous pour produire encore moins de services dans le secteur non marchand. Bernard Zimmern devrait se délocaliser outre-Manche : les fonctionnaires y sont plus nombreux et moins efficaces. Comme les non-fonctionnaires, d’ailleurs.
Et si vous l’accompagniez ?
Il y a aussi un papier publié par... Agoravox : L’imposture du modèle britannique
Article rédigé par Anthony Meilland
Chaque mois, dans les médias, on nous ressort la même rengaine : moins de 5% de chômage au Royaume-Uni et environ 10% en France !!! Voilà de quoi mettre à mal notre modèle social. D’où le sentiment, de plus en plus partagé et propagé, que notre modèle social est moribond, et qu’il faut de grands changements pour sortir la France de son déclin. Or, voilà quelques chiffres qui chantent une tout autre musique...
Chaque mois, dans les médias, on nous ressort la même rengaine : moins de 5% de chômage au Royaume-Uni et environ 10% en France ! Voilà de quoi mettre à mal notre modèle social. La croissance aussi est deux fois plus importante chez nos voisins d’outre-Manche !
D’où le sentiment de plus en plus partagé et propagé que notre modèle social est moribond, et qu’il faut de grands changements pour sortir la France de son déclin, voire, pour certains, de sa décadence.
Or voilà quelques chiffres qui chantent une tout autre musique. Ses chiffres sont extraits des sites Internet de l’OCDE, de l’INSEE et de l’organisation anglaise New Policy Institute.
Ne parlons pas chômage, parlons plutôt pauvreté, car un des principaux buts d’une société avancée comme le prétend être la nôtre est l’éradication de la pauvreté. Bien qu’étant un concept complexe, sa définition statistique est assez simple. On commence par calculer le revenu médian après redistribution de ressources (la moitié des habitants gagnent plus, l’autre gagnent moins). Le seuil de pauvreté est alors défini comme un certain pourcentage de ce revenu médian. Deux valeurs sont couramment utilisées : 60% et 50%. On peut parler respectivement de pauvreté et de grande pauvreté. Pour être plus clair, est considérée comme « pauvre » une personne dont le revenu individuel est inférieur à 50% ou 60% du revenu médian. Voilà pour la théorie.
Passons à la pratique. Selon l’OCDE, le taux de pauvreté à 50% du revenu médian en 2000 était de 7% en France contre 11,4% au Royaume-Uni. De son côté, l’INSEE relève en France un taux de grande pauvreté de 6,3% et un taux de pauvreté de 12,2% en 2003. Et du côté britannique, le New Policy Institute recense en 2004 environ 8 millions de personnes vivant avec moins de 50% du revenu médian, soit environ 13% de la population britannique, et 12 millions vivant avec moins de 60% de ce revenu, soit environ 23% de la population du pays. Quel que soit le seuil utilisé et quelles ques soient les sources, on arrive donc à la même conclusion : il y a environ deux fois plus de personnes pauvres au Royaume-Uni qu’en France.
Le plus douloureux, c’est que les mauvais chiffres de la pauvreté en Grande-Bretagne sont clairement liés au choix d’un nouveau modèle économique et social, lancé par Margaret Thatcher lors de son arrivée au pouvoir en 1979. Les taux de pauvreté et de grande pauvreté étaient alors respectivement de 12% et 5%. Le rideau tombe ici sur le miracle économique britannique ! La pauvreté a doublé en Grande-Bretagne sous l’ère Thatcher, et bien que ses successeurs (John Major et Tony Blair) aient réussi à stopper son augmentation, ils n’ont pas pu faire redescendre ce taux à une valeur comparable à celle qui est observée dans le reste de l’Europe.
Que se passait-il en France pendant la même période, me demanderez-vous ? La pauvreté y a reculé, certes modestement, mais régulièrement, sous quasiment tous les gouvernements, passant, selon l’INSEE, de 8,3% en 1979 à 6,3% en 2003 pour la grande pauvreté, soit une baisse d’un quart environ. Quant au taux de pauvreté à 60% du revenu médian, il est passé de 14,3% à 12%, soit une baisse de 16%.
Ajoutons un petit bémol à ce tableau « idyllique » de la France, l’INSEE à mesuré en 2003 une augmentation du taux de grande pauvreté de 5% (passage de 6% à 6,3%). Est-ce seulement passager, ou annonciateur de l’adoption du modèle britannique en France ? Attendons les chiffres pour 2004 et 2005 avant de nous prononcer.
Le taux de chômage ne serait donc pas un bon indicateur économique, ou tout au moins social, puisque le Royaume-Uni a vu son nombre de pauvres doubler, alors que son taux de chômage était divisé par deux. Comment est-ce possible ? Deux réponses peuvent être proposées :
- De nombreux « actifs inactifs » sont exclus du chômage pour faire baisser celui-ci de manière mécanique.
- Il existe un Grande-Bretagne un nombre important de travailleurs pauvres.
Les chiffres de l’OCDE nous apportent encore la réponse à cette question : ces deux assertions sont vérifiées, et contribuent à expliquer l’écart entre chômage et pauvreté.
Commençons par étudier « l’inactivité des actifs » au Royaume-Uni et comparons-la à celle de la France. L’OCDE dispose d’un indicateur intitulé « taux de personnes vivant dans un ménage sans travail alors que le chef de ménage est en âge de travailler », qui mesure exactement ce qui nous intéresse ici. Ce taux est de 10,6% de la population totale en France, contre 12,7% au Royaume-Uni. Etonnant, n’est-ce pas ? Il y aurait donc, semble-t-il, quelques différences dans la façon de mesurer le chômage de chaque côté de la Manche.
Mais passons au plus grave maintenant : le cas des travailleurs pauvres. Je n’ai pas trouvé d’indicateur vraiment convaincant pour mesurer directement le taux de travailleurs pauvres dans chaque pays, mais en étudiant la pauvreté par type de ménage, je suis tombé « par hasard » sur quelques chiffres très intéressants. Le taux de pauvreté (à 50% du revenu médian) dans les familles monoparentales sans emploi est d’environ 62% dans les deux pays, mais lorsque le parent travaille, ce taux chute à 9,6% en France contre 20,6% chez nos voisins. De même, le taux de pauvreté chez les couples avec un emploi y est respectivement de 6,3% et 17,6%, avec deux emplois on passe à 1,6% et 3,6%. Il semble bien que le phénomène des travailleurs pauvres soit au moins deux fois plus important au Royaume-Uni.
Exclusion d’un certain nombre de personnes du chômage et travailleurs pauvres, voilà, semble-t-il, le vrai visage du modèle britannique. Peut-être devrions-nous un peu moins parler de ses 4% de chômeurs, et un peu plus de ses 20% de pauvres. Et réfléchissions un peu, avant de renoncer à notre modèle social.