Commentaire de Henrique Diaz
sur La révolution n'est pas un pique-nique. Analyse du dégrisement - Conférence de Frédéric Lordon


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Henrique Diaz Henrique Diaz 2 juillet 2014 17:28

Le désir, c’est dépassé ? L’effort conscient de persévérer dans son être, c’était bon au XVIIème siècle mais depuis, comme ils ont lu Sellars ou Churchland, les gens d’aujourd’hui ne cherchent plus à se conserver, ni à augmenter leur puissance, c’est ça ? Quant aux passions, c’est sûr que dans le vocabulaire actuel, ce mot signifie comme par hasard quelque chose d’encouragé par le régime capitaliste, en gros une sentimentalité enthousiaste de son aliénation ; mais chez Spinoza, c’était les affects passifs, parce qu’ils découlent d’une connaissance mutilée du réel : c’est sûr qu’aujourd’hui, les gens n’ont plus de passions dans ce vieux sens classiciste. Il suffit notamment de voir avec quel mépris les vrais gens prennent cette entreprise de décérébration mondialisée qu’est le football pour comprendre que la théorie spinozienne des passions est dépassée.

En vérité, Lordon montre à quel point il manquait des billes à Marx quand il s’est proposé de penser le capitalisme pour le renverser. Il a négligé sa puissance de séduction et d’asservissement volontaire. Marx a eu tendance à se représenter le capitalisme comme une puissance purement physique, constitué par la classe bourgeoise comme s’il s’agissait d’une substance séparée du reste de l’humanité, puissance à laquelle les peuples se soumettraient uniquement parce qu’ils ont peur de l’armée qu’elle détient. Il suffisait alors pour le prolétariat de s’unir pour devenir plus puissant que l’Etat bourgeois. Mais c’était sans compter avec la réalité des affects humains les plus communs : le désir mimétique qui fait que le prolétaire ne veut pas facilement devenir un prolétaire libre mais plutôt un bourgeois, les habitudes que rappelle Lordon etc.

Par ailleurs, Lordon ne parle nullement de mettre en oeuvre une révolution spécifiquement nationale. Il dit qu’il ne saurait y avoir de villes où règne l’anonymat sans Etat pour réguler les violences que les villes engendrent. Après, l’Etat est en fait par nature une entité qui n’est pas limitée à des frontières données. Au départ, l’Etat, c’était la Cité, puis c’est devenu des nations, puis des fédérations de nations etc.

Enfin, parler de Bakounine, de Proudhon, de Spinoza ou de Lordon comme d’idéalistes, c’est vraiment démontrer le manque de sérieux de vos jugements. Il suffit peut-être dans vos réunions néo-communistes d’accoler « idéaliste petit bourgeois » à un nom pour le dénigrer sans discussion possible, mais ici ce genre de réflexe pavlovien n’a pas cours.

Cela dit ce que vous dites sur le caractère minoritaire des progressistes dans une société et sur le fait que le conservateur Staline a pris le pouvoir sur le mouvement progressiste initié par Lénine (et je dirais plutôt par les Soviets) est juste, mais cela ne fait que confirmer ce que dit Lordon.


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