Commentaire de Philippe VERGNES
sur L'instrument majeur du pervers narcissique : la parole


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Philippe VERGNES 28 mai 2015 10:34

@ bonjour elpepe,


Merci pour ces remarques et vos questions pertinentes.

« Mais alors le pervers narcissique est tout sauf un pervers, il est probablement narcissique mais pas plus que la majorité ? »

En fait, vous pointez là du doigt toute la difficulté qui se pose pour appréhender correctement ce concept. Pour répondre à cette question il faut avoir en tête l’évolution des signifiants « pervers » et « narcissique » dans le langage psy.

Le pervers narcissique n’est ni pervers, ni narcissique au sens qui ont été attribué à ces termes pendant plus d’un siècle, car ce concept ne fait ni référence à une déviance sexuelle (perversion) ni à l’acception du narcissisme telle qu’elle a été comprise jusqu’à présent (amour de soi excessif de l’image de soi).

Sur la notion de perversion, il est maintenant admis que le pervers désigne une personne qui nie l’autre dans ce qui constitue son identité (absence d’altérité) et ne lui reconnait pas d’autonomie, de désirs, d’intentions ou de valeur propre, etc. Ce qui élargie considérablement la notion par rapport à ce que la psychanalyse orthodoxe (dont l’acception a fortement imprégné notre société) l’a initialement réduite. Or, toute réduction est une mutilation (cf. La méthode et Science avec conscience d’Edgar Morin).

Quant au narcissisme, jusqu’à présent seul l’aspect grandiose des pathologies narcissiques a été intégré en psychologie, mais certains, en particulier Racamier, ont pu pointé cette erreur conceptuelle en élargissant cette notion au narcissisme pathologique vulnérable dont la définition vient d’intégrer le nouveau DSM-5 à coté de celle qui existait déjà de narcissisme grandiose (ce qui désormais rend caduque l’argument consistant à nier l’existence des pervers narcissiques en référence au fait que nulle mention à ce concept n’existait dans le DSM).

Ainsi, le pervers narcissique désigne un narcissisme pathologique vulnérable (le p.n. ne s’aime pas au contraire de ce que l’on peut lire parfois ici ou là) et une perversion qui n’a rien de sexuel mais qui traite autrui comme un objet et lui dénie toute existence spécifique.

« Est-il aussi dur avec lui qu’avec les autres, cad s’empêchant de penser autrement qu’une ligne de conduite qu’il ne maîtrise pas, et que son inconscient lui martèle constamment ? »

Non... toute sa perversion consiste justement à faire subir cette « dureté » à autrui (rabaissé au rang d’objet) pour justement ne pas avoir à éprouver les affects correspondants (honte, culpabilité, etc.). C’est-à-dire qu’il fait subir à autrui un « châtiment » que lui même combat fortement. Et il en sera le premier outré si d’aventure vous lui renvoyez ses propres exactions en pleine figure. C’est dans cette situation qu’il inverse le rôle du « bourreau » en se faisant passer pour la victime.

« Est ce que tout individu normal n’a pas une tendance, même minime a ce type de dérèglement psychologique ? Le problème étant le cas clinique, ou hypertrophie d’une tendance naturelle ? »

Vous avez parfaitement raison !

J’ai déjà plusieurs fois cité Racamier à ce sujet : "Combien, pour un seul pervers accompli, faut-il de pervers potentiels ou partiels, de pervers passagers ou manqués : c’est ce que nul ne saurait et ne saura jamais dire. D’autant qu’il faut d’emblée le dire : un brin de perversion narcissique ne nuit à personne et même est-il indispensable à quiconque, en vue de sa survie sociale...« 

 »D’après votre article il n y a pas vraiment de remèdes a cela, ou code de conduite à adopter face a un tel individu, a part prendre les jambes a son coup ?« 

Fuir est la solution que préconisent de nombreux psys ayant fait connaître ce fléau au grand public. Je ne partage pas cet avis, c’est plus complexe que cela. C’est surtout fonction des circonstances et de la situations du moment, du cadre dans lequel on vit ce type de relation, etc. J’y reviendrais probablement dans un prochain billet, car la question du »remède« est fortement en débat et soumise à beaucoup de controverse : certains pensent que le p.n. est incurable, d’autres au contraire prétendent qu’il faut prendre en charge ce type de »malades".

Et comme d’habitude, mon avis penche plutôt pour la solution la plus difficile : cad la seconde. smiley

Cdlt

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