Commentaire de Christian Labrune
sur La ligne infinie de notre être


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Christian Labrune Christian Labrune 28 juin 2018 15:08

@Taverne


Tout incapable que je sois de rien comprendre à rien probablement, j’ai quand même compris qu’il n’y avait pas de « preuve de l’être ». Le cogito ergo sum d’un Discours de la méthode qui précède de quatre ans les Méditations ne peut en aucune manière être considéré comme une « preuve » de l’être, il est ce que Husserl appellera une « intuition originaire », et si vous voulez bien entendre cette distinction majeure, vous gagnerez à parcourir les Méditations cartésiennes de Husserl ou les Leçons sur Descartes de Ferdinand Alquié. A partir de là, ce qui EST, prima facie, ce n’est pas le monde, mais le sujet pensant, et quelque critique qu’aient pu faire d’autres philosophes, dont Kant, de la démarche cartésienne, il ne sera plus jamais possible de retourner à la vision des choses très naïve qui avait précédé. L’existence ne se « prouve » pas davantage, elle s’éprouve dans l’expérience de la contingence du rapport au monde d’un sujet qui, s’il est un peu rigoureux et philosophe, mettra toujours entre parenthèses les notions de « monde » et de « réel ». J’hésite à utiliser ici l’opposition devenue classique entre l’être et l’étant, dont l’existentialisme sartrien contaminé par la phraséologie du philosophe nazi aura cru pouvoir faire ses choux gras, parce qu’elle obscurcit le problème au lieu de l’éclairer : on ne peut pas dire grand chose de « l’existant », c’est-à-dire de l’étant, comme si l’être et l’étant étaient des instances indépendantes. 

Descartes, effectivement, s’est occupé de physique, d’astronomie, de physiologie. Toutes disciplines où il ne s’interroge pas sur l’être des choses. Et de toute façon, au terme des Méditations métaphysiques, tout a très bien repris sa place : j’existe, il y a un Dieu, il y a un monde, lequel existe bel et bien. Mais après un tel détour, ce n’est plus du tout le même dieu qu’avant, ni le même monde, et seul un idiot pourrait dire : ah bon, ce sens commun qui était le mien, le voilà entièrement justifié, c’etait donc une simple parenthèse de fantaisie dans la description des choses ! Non, ce n’est plus du tout pareil. Au reste, ce que propose le très subtil Descartes, ce n’est pas de légiférer sur le vrai et le faux pour aboutir à des certitudes sur lesquelles pourraient s’appuyer des suiveurs, c’est un style de pensée et des règles pour la direction de l’esprit, et même une « fable » philosophique, comme il l’écrit dans le Discours ; On aurait donc tort de prendre toujours au pied de la lettre ses formules. Sa métaphysique ne constitue pas un système clos, elle reste ouverte, et c’est ce qui fait sa grandeur heuristique.

Voir ce commentaire dans son contexte