Commentaire de Christian Labrune
sur La Pensée de Midi chez Albert Camus


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Christian Labrune Christian Labrune 22 août 2018 17:25
. Il met en scène « la banalité du mal » et l’indifférence de celui qui le commet.
================================
@Jason
Je ne suis pas du tout d’accord : l’Etranger, c’est un récit à la première personne, et le lecteur naïf (que j’étais moi aussi à la première lecture) s’identifie aussi bien à Meursault qu’au Roquentin de La nausée. Le bonhomme a des réactions qui sont bien un peu surprenantes, mais elles procèdent d’une paradoxologie qui nous est familière depuis les moralistes de l’époque classique. Sa mère est morte ; certes, la nouvelle « n’a pas de sens », et cela ne changerait pas grand chose à son quotidien, n’était la nécessité d’aller à l’enterrement, mais la Consolation à Monsieur Du Périer de Malherbe, les fables de La Fontaine et beaucoup de maximes de La Rochefoucauld ont insisté sur l’absurdité du deuil, lequel n’a jamais tué ceux qui survivent. Ca, c’est un peu raide, mais ça peut passer. En outre, cette espèce de distance qu’il semble y avoir entre le personnage et tout ce qui l’entoure, cette sorte de décollement, qui le rend étranger à notre monde, cela fait penser à la bizarre lucidité des personnages de Kafka qui ne sont pas méchants pour deux sous et dans lesquels on se reconnaît volontiers. Camus, en écrivant l’Etranger n’a pas essayé, comme le Dostoïevski de Crime et Châtiment d’étudier la psychologie très particulière d’un assassin. Il vise à l’universel : l’Etranger, ce type un peu primaire qui a beaucoup de mal à dépasser ses perceptions immédiates et qui ne se raconte pas des histoires sur ce qu’il vit - cela le rend plutôt sympathique -, ce serait vous et moi, ce serait tout le monde. Mais tout le monde ne tire pas au révolver sur un quidam, et la plupart de ceux qui ont dû faire ça à la guerre, qui est un contexte tout différent, il est rare que ça ne les empêche pas quelquefois de dormir. C’est là que je ne peux pas du tout suivre Camus et qu’il m’apparaît comme un faiseur littéraire sans la moindre cohérence philosophique.
Vous dites que Camus n’est pas Meursault. L’athéisme de Meursault, à la fin, quand il chasse l’aumônier venu rendre visite au condamné à mort, c’est bien celui de Camus (et c’est aussi le mien, du reste), et chacun peut se reconnaître dans la réaction de cet « homme révolté ». Tout cela est décidément fort confus, et le dispositif romanesque est assez pourri, fort peu pensé.

Voir ce commentaire dans son contexte