vendredi 9 août - par C’est Nabum

Faut-il abandonner sa langue au tchat ?

 

Clavardage minceur

 

Il est des questions qui se posent désormais pour qui constate avec amertume et inquiétude qu'user encore d'une langue châtiée sans qu'elle fût par trop ampoulée, d'un vocabulaire soutenu sans qu'il soit pour autant précieux, d'une syntaxe qui n'hésite pas à employer des conjonctions de subordinations et d'une conjugaison qui ne se satisfait pas du seul mode indicatif par l'usage presque exclusif du présent et à l'extrême limite du passé composé, risque de passer pour un extra-livresque, un tenant rétrograde d'une langue devenue obsolète et inaccessible au commun des diplômés de nos grandes écoles de commerce.

Bon, d'accord, ouvrir ma diatribe par une phrase de 614 caractères et 96 mots atteste de ma plus parfaite mauvaise volonté à être lu sans faire d'effort tandis que d'autres me reprocheront de ne pas avoir franchi la barre des cent mots eux qui justement hésitent à l'écrire avec la préposition « sans » qui correspond plutôt à leur pratique usuel si on précise naturellement : « sans mot écrit dans leur entièreté » depuis qu'ils ont donné leur langue au tchat.

Faut-il donc se résigner à abandonner notre langue à ce raccourcissement de la pensée et de la graphie pour clavarder avec les moyens les plus résolument modernes de la pensée en mouvement planétaire. Que lavage de cerveau s'accompagne d'un rétrécissement prouve sans doute qu'il y a eu une erreur de programme à moins que ce ne soit le réchauffement climatique qui provoque cet effet désastreux sur les fibres de notre prose.

Adjoindre un adoucissant par le truchement d'émoticônes, d'images et même de vidéos ne changera rien à la chose. La langue se détourne sept fois dans ses couches pour aboutir à un salmigondis insipide, une bouillie verbale, un ersatz de morse usant encore de lettres avant que celles-ci finissent dans le tout à l'ego de la communication. De là à en perdre son « latrin » dans les latrines de la lexicographie moderne, il n'y a qu'un pas qui se franchit aisément sans fondement théorique.

Puisque les mots qui circulent concurrencent la vitesse de la lumière, autant les alléger au maximum pour accroître leur taux de pénétration dans l'air bête. Je peux comprendre cette impérieuse nécessité qui pousse les gens pressés à aller au plus court, au plus bref, au plus léger dans leur pensée tout comme subséquemment dans leur manière de la coucher sur un écran. Mais de là à produire un effet de contagion au niveau des neurones afin d'atteindre à la plus parfaite vacuité, il y a de quoi s'extasier devant ce miracle de concision.

Je tente de céder ainsi à la pratique en épurant au maximum mon propos, en limitant sans cesse cette langue titré à quatre carlingues qui pour rester dans le ton de l'époque se passe du sens comme de la forme, de la règle comme du cadre, de la graphie comme de la pensée. Je clavarde sans rime ni raison, je déblatère à tout venant, je ratiocine ne vous en déplaise, je clabaude parfois dans une langue vernaculaire, je jacasse au fil de la plume, je pérore avec des idées courtes et des propos creux sans pour autant parvenir à l'esprit de synthèse de mes contemporains.

Ne pouvant abandonner ma langue au tchat, il ne me reste plus qu'à faire le deuil de l'espoir d'être compris en renonçant ipso facto à être compréhensible. Le temps n'est plus au propos censé, au discours éloquent, à la parole singulière, au style ciselé, à la petite musique plaisante. Pour surnager sur cette immense toile, pour surfer sans prendre l'eau sans renier mon désir de ne pas renoncer à l'héritage de mes aïeux, je me vois contraint d'user sans vergogne de la langue de bois, l'ultime refuge des mots entiers sans matière grasse à la seule condition d'abuser de la fibre patriotique pour assurer un meilleur transit.

Écrire pour ne rien dire fut ici ma ligne de conduite tout au long de ce texte qui jamais ne céda à la tentation de l'abréviation, du sigle et de la novlangue. Le titre s'est imposé à moi, il me fallut assumer de lui accorder un développement en bonne et due forme. Voilà qui s'achève en 4152 caractères et 713 mots entiers. Merci pour votre patience.



20 réactions


  • Gégène Gégène 9 août 09:37

    « Le temps n’est plus au propos censé »

    c’est censément être sensé, comme propos ?


  • Radix Radix 9 août 11:44

    Bonjour Nabum

    Depuis que l’on a offert un mégaphone au café du commerce, les conversations de bistrot ont remplacées celles de l’Académie.

    Doit-on le déplorer ou explorer cet espace inconnu pour essayer de comprendre ce que cache ce besoin d’exprimer autant que ce manque d’expression ?

    Radix


    • C'est Nabum C’est Nabum 9 août 13:55

      @Radix

      Les brèves de comptoir ont même fait leur théâtre


    • Radix Radix 9 août 15:21

      @C’est Nabum

      Les brèves de comptoir avaient leur humour et leur finalité : faire rire !
      Le regretté Maurice Biraud dans une émission de France Inter « Et dire que pendant ce temps là, elles croient qu’on s’amusent » les avaient précédées.
      Mais là, point d’humour, juste un trop plein de rancœur indéfini qui s’exprime maladroitement. 
      Triste !
      Radix


    • C'est Nabum C’est Nabum 9 août 18:11

      @Radix

      Bon puisque vous le dites


  • nanobis nanobis 9 août 11:50

    Faut dire que le français est en train de se faire bouffer par les américanismes de plus en plus envahissants :

    - regardez déjà le vocabulaire utilisé lors des JO, ils « performent » à plein dans cette discipline de destruction.

    regardez la TV qui propose un compte à rebours pour valider une réponse à un jeu en énonçant les nombres en anglais (pardon en US langage).

    etc.

    On bafoue à longueur de temps cette fameuse loi Toubon dont personne ne fait mention.

    Pauvre France.


    • C'est Nabum C’est Nabum 9 août 13:55

      @nanobis

      Hélas
      Pauvre Anatole France


    • Seth 9 août 20:24

      @nanobis

      Performer c’est faire des performances (sport). En Anglais ça veut dire « représenter » (art) alors on mélange les 2 sens en Français, ça fait qu’on ne sait pas de quoi on parle...

      Mais le grand premier, ça reste « manager » (verbe + substantif). smiley

      Mais le sens Anglais est pourtant un peu ordinaire : gérer...


  • ricoxy ricoxy 9 août 11:53

     

    Ah bah, relisons 1984 : réduire le vocabulaire, c’est réduire la pensée, et par là-même la faculté de penser. Curieuse époque où le mot rhétorique, qui signifie : art de bien parler est devenu, dans la bouche ou sous la plume des médiacrates, synonyme de discours — voirf de verbigération.

     


    • C'est Nabum C’est Nabum 9 août 13:56

      @ricoxy

      L’arrêt torique

      Rien de mieux


    • ricoxy ricoxy 9 août 15:54

       
      @C’est Nabum
       
      Torique... oui, comme un joint d’étanchéité. Si ça pouvait limiter leur logorrhée ou leur graphorrhée...
       


    • C'est Nabum C’est Nabum 9 août 18:11

      @ricoxy

      C’est impossible


    • Pierrot 10 août 12:01

      @ricoxy
      La réduction de la pensée ne tient pas au nouveau sens qu’on pourrait donner à un mot dans certaines circonstances, mais plus certainement au fait qu’on commence à ignorer toutes ses autres significations.

      Concernant plus spécifiquement le mot « rhétorique », cela fait maintenant plus de deux siècles qu’on l’utilise également dans le langage courant pour désigner un discours vain et pompeux. D’ailleurs, au XVIIe siècle Bossuet considérait déjà la rhétorique comme un art de la tromperie et de la flatterie.


    • ricoxy ricoxy 10 août 12:47

       
      @Pierrot
       
      Je ne m’en tiens, personnellement, qu’au sens initial et étymologique du mot. Un seul mot pour un seul concept, c’est plus facile et logique. Bien sûr, les mots évoluent ; par exemple, un bureau, avant, c’était un tapis de laine grossière (bure), puis a désigné le meuble mis dessus, puis la pièce dans laquelle était le meuble, puis enfin un service officiel. Quel chemin entre un tapis de laine et le FBI !
       


    • Pierrot 10 août 20:41

      @ricoxy
      S’en tenir au sens premier des mots ne vaut pas mieux que retenir le dernier qu’on lui prête car, ce faisant, on réduit tout autant la faculté de penser et de communiquer.

      Ce que vous suggérez (un seul mot pour un seul concept) reviendrait à réduire les notions accessibles au nombre de mots disponibles. Ce langage que vous souhaitez facile et logique serait donc surtout pauvre et limité.

      Or, c’est justement parce qu’elle est complexe, imagée, subtile et nuancée, tout en restant modérément évolutive, que la langue française permet de discerner et d’exprimer des concepts aussi nombreux et variés, et qu’elle offre un bon support au développement de l’intellect de ceux qui l’emploient.


  • juluch juluch 9 août 12:23

    Si se n’était que la langue....la culture générale aussi...c’est fou le nombre d’ignorant sauf pour le foot....


Réagir