lundi 18 janvier 2016 - par Bernard Dugué

1966, l’année des révolutions culturelles il y a 50 ans

Cette année là, en 1966, il n’y eut pas d’événement politique majeur comme en 1968 ou en 1989. Mais cette année restera dans les mémoires car elle marque une rupture dans la musique, celle qu’on appelait pop et qui devient le rock dans les seventies. 1966, par une étrange coïncidence, fut aussi l’année de la révolution culturelle conduite par Mao en Chine. Deux révolutions culturelles, l’une en musique, l’autre en politique, mais aux conséquences et aux ressorts diamétralement opposés. Mao a joué la carte de la jeunesse pour appuyer son pouvoir en affaiblissant, voire humiliant, toute une génération de lettrés. Les mandarins furent fustigés, les valeurs traditionnelles mises au rancart. Des vestiges anciens ont été détruits. Les jeunes révoltés s’exprimaient sous forme de dazibaos. Cette situation fut chaotique mais elle permis à Mao de renforcer son pouvoir. La révolution culturelle visait les quatre vieilleries considérées comme l’héritage des valeurs bourgeoises et intellectuelles transmises depuis des siècles par les lettrés. Les décisions sur la grande révolution culturelle prolétariennes ont été promulguées par un texte approuvé en août 1966 par le comité central du parti communiste à l’instigation de Mao.

A l’opposé de la Chine, quelque part en Californie, une autre révolution culturelle est en marche. Elle n’est pas orchestrée par le pouvoir politique mais elle se manifeste dans la jeunesse et plus particulièrement dans un genre musical promis à l’universalité, la pop music. Un groupe de jeunes gens enregistre cette année 1966 un album qui paraîtra au mois de mai. Ce disque annonce une révolution mais il n’est pas le seul. Il fut joué par des garçons qui s’ils n’étaient pas dans le vent savaient surfer sur les vagues et chanter la vie dorée d’une jeunesse éprise de planches de surf et d’improbables flirts. Ainsi furent connus les Beach Boys à leurs débuts. Un groupe jugé facile, frivole et superficiel, à l’image de nos yéyés salués par les copains. Mais en 1966, l’album Pet sounds marque une rupture. La musique est plus élaborée et les thèmes abordés sont plus profonds.

Ce disque a été classé deuxième album rock de tous les temps par le magazine Rolling Stone, derrière Sergent Pepper’s des Beatles qui lui, est paru en 1967. Mais qu’on ne s’y trompe pas, les Anglais tirent les premiers et si influence il y eut, ce fut dans le sens Angleterre Californie. Aucun critique rock n’ignore ce fait. Les Beatles ont en effet effectué eux aussi cette métamorphose culturelle avec deux albums marquant une rupture. Rubber soul sorti en décembre 1965 puis Revolver en août 1966. Rubber soul a été considéré comme l’album charnière des Beatles avec des textes plus mûr qu’auparavant, lorsque ces gars dans le vent étaient considérés comme des bons garçons gais et souriant chantant les relations amoureuses juvéniles. L’instrumentation a été aussi élargie, avec l’emploi du sitar puis du violon dans Eleonor qui figure sur Revolver. Nowhere men écrit par Lennon est un titre remarqué pour son contenu plus philosophique. Cette chanson illustre parfaitement un sentiment partagé par les consciences attentives de cette époque et qui sera explicité à travers la thèse de Frochaux sur l’homme seul. Un type d’individu qui émerge justement dans les années 1960. Et qui semble aller nulle part.

1966, jamais deux sans trois. Et là aussi, la scène british montre tout son talent avec un groupe formé en 1965 mais dont la légendaire line-up fut consolidée en 1966 pour peu de temps avec le quartet Barret, Mason, Wright et Waters. C’est cette année qui a permis aux Pink Floyd de se faire remarquer, notamment en interprétant pour la première fois quelques tentatives psychédéliques qui ont marqué une immense rupture et dont la manifestation est due à cette nouvelle formation suite au départ de Bob Klose qui a permis au groupe nouvellement formé de prendre ses distances avec un style orienté blues rock. Avec le Floyd, la révolution est plus dans le style et l’esthétique musicale que dans les textes, du reste, parfois léger ou plus subtils.

Si les Beatles ont influencé les Amériques, le Floyd a marqué de son empreinte toute une génération de musiciens qui ont pu sortir des impasses du psyché de garage et du blues expérimental. Le premier disque de Tangerine Dream montre à quel point le Floyd a influencé le krautrock allemand. Avec une musique axée sur l’atmosphère et les claviers, une musique faite pour méditer, prendre conscience du cosmos, bref, une musique space. Les influences du Floyd vous les trouverez dans les premiers albums de Tangerine Dream ainsi que chez Eloy ou Amon Dull 2. Sans aucune intention polémique, les Européens ont été plus inventifs dans le rock que les Américains. Et ils le sont encore.

Cette année 1966 suivie de 1967 résonne comme une éternité incarnée en cette année 2016 marquée par la lassitude, la fin de civilisation et les jeux malsains exécutés par les chefs politiques manipulant le crétinisme populiste. Vous savez de quoi je parle, si vous ne savez pas c’est que vous faites partie de la classe des crétins. Cette classe est plus universelle que celle des prolétaires. Elle englobe tous les types de crétinisme et elle est présente dans tous les pays. Elle ne fera pas la révolution. Elle sera le ressort de la dévolution, enterrant toutes les aspirations esthétiques, morales et intellectuelles qui se sont dessinées en 1966. Je pense aussi à la gnose de Princeton et à bien d’autres choses. Nous avons oubliés cette révolution culturelle et je pense que… ou plutôt je ne pense plus… et je ne parle plus aux cons, ça les instruit !



9 réactions


  • eugene eugene 18 janvier 2016 11:12

    En 66, un parfait inconnu passait dans une petite salle à Evreux, en normandie, « Le novelty » en première partie de Johnny, avant de commencer une large tournée en europe intitulé« The jimmy Hendrix experience ». http://bit.ly/1RZLTGf

    Beaucoup avaient hâte qu’il finisse d’accorder sa guitare, et le sifflait, ayant hâte que Johnny chante les portes de pénitencier. 
    Au sujet du Pink Floyd, un excellent reportage passe encore quelques jours sur arte plus 7 ; c’est "l’histoire de wish you were here. C’est par derrière le disque, l’hommage du groupe fait à Syd Barett, le guitariste heroe du groupe qui ne redescendit jamais sur terre, après avoir pris un mauvais speed. http://bit.ly/1ZGtfsS
    Les années 60 ne furent pas bonnes pour tous, et Sharon Tate sera d’accord avec moi
    A voir, bien calé dans son fauteuil. 

    • Philippe Stephan Philippe Stefan 18 janvier 2016 13:20

      @eugene
      u sujet du Pink Floyd, un excellent reportage passe encore quelques jours sur arte plus 7 ; c’est "l’histoire de wish you were here.
      .
      Merci pour le lien (super)
      et pour l’article évidement..


    • eugene eugene 18 janvier 2016 14:17

      @Philippe Stefan
      Je garde un souvenir d’outre tombe, de ces années soleils, où l’on se savait pas trop ce qu’on cherchait, et dont on s’est rendu compte, bien plus tard qu’on l’avait trouvé. Mais le temps était déjà derrière nous. Un an aux indes par la route, Turquie Afghanistan nepal en levant le pouce, s’en remettant à la chance et au karma bricolé sur deux cordes de guitare..Le sourire nous ouvrait toutes les portes, personne n’était méchant, mec, il n’y a que toi qui projette de mauvaises vibrations. L’époque était cool, et assurément, même les gros cons faisaient des efforts pour se mettre au niveau des temps nouveaux, jetant tous les oripeaux du sexe, du sacré, de toutes les dictatures de l’esprit. 

      Ginsberg avait hurlé son poème « Howl », dans le village. Eleonor Rugby, avec ses gestes d’ange et d’Ophélie, envoyait des pétales de roses à tout ceux qui lui souriaient. Et jamais le monde pensions nous ne serait comme avant. 
      Certains diront maintenant en ricanant qu’on était bien con !
      J’avais deux livres dans mon sac. Arthur, et « on the road » de Jack ! Ca me faisait une sorte d’équilibre pour user mes santiags. Le seul portable, c’était le sac à dos, une sorte de réacteur de la pensée, à une époque où le bus remplaçait encore avantageusement l’avion.
      « Hey mister tambourine man, play a song for me, I’m not sleepy and there is no place..... » Comment se fait il que tant de textes flamboyants, et de musiques sidérantes et extatiques aient été écrits en ces quelques années qui allèrent du début des années 60 au milieu des années 70. Il semble que certaines époques, dites de grâce, aient ce privilège, de vous donner un peu de leur génie, ou ne serait ce que des miettes, ou une pluie d’étoiles, en nombre suffisant pour continuer à apporter un peu de lumière en ces jours sombres.
      Plus tard, pensions nous, nous irions nous bien plus loin. 
      « Stairway to Heaven ! » Le temps était encore un peu de notre coté. 
      Puis tout s’est emmêlé insidieusement un peu déjà avant les années 80. Tout n’était pas rose évidemment, mais il y avait l’espoir d’un monde bien meilleur. « La jeunesse du monde »..Entendions nous encore. Mais le sous marin jaune perdait de la vitesse, et octopuss garden était un nid de vipères.
      Le rock and roll avait encore une odeur de souffre, bien qu’il prenait des rides ! Il fallait bien avouer que la récupération travaillait au bulldozer. Il était déjà de bon temps pour certains de se moquer de ces années qu’on gardait tout de même en soi.. 
      Harvest ! I want to live, I want to give.....
      Mais il fallait que le monde devienne adulte nous a t’on dit, en rapport aux vieilles valeurs du capital, qui faisait tranquillement son coup d’état, avec quelques barbouzes en costard. Reagan et Tatcher se tenaient par l’épaule. L’époque prenait un gout de cendres. Puis les guitares ont laissé la place aux kalachnikovs, et la poésie aux versets du coran, les happenings aux prêches. Est et ouest, nord et sud.. . Le temps lui même changé à l’horloge des montres. 
      It’s a hard rain, gonna fall ! Dylan nous avait pourtant prévenu, il y a si longtemps, avant même que ça commence !
      Ils ont eut la peau des géants de Bamyan et de John Lennon. Qui aurait pu imaginer ces choses.
       « oh Wish, wish you were here, ! » 


    • mmbbb 18 janvier 2016 22:01

      @eugene il s’agit desormais d’une epoque revolue, Un passe qui voulait changer l’avenir mais ce present est plus que jamais machine .


  • L'enfoiré L’enfoiré 18 janvier 2016 17:19

    Bonjour Bernard, 

    Belle remontée dans le temps dans les Golden Sixties. Cela ne nous rajeuni pas, mais ce sont des souvenirs qui marquent. 
    Perso, année à cheval entre 18 et 19 ans. 
    J’ai écrit une conversation entre copains « Chez les yé-yé, avoir vingt ans, ce 30 août 1967 ».
    Comme vous dites, une époque pendant laquelle, on savait que le lendemain serait meilleur que la veille.
    Un peu ce que vit aujourd’hui et depuis quelques années la Chine.
    En occident, on s’est croisé les bras et on s’est laissé dépassé tout simplement dans une civilisation assez décadente.. Les chefs politiques, il ne faut pas l’oublier sont à notre image.

    Bonne conclusion que je partage en gros et qui dit :
     
    « année 2016 marquée par la lassitude, la fin de civilisation et les jeux malsains exécutés par les chefs politiques manipulant le crétinisme populiste.....
    Elle ne fera pas la révolution. Elle sera le ressort de la dévolution, enterrant toutes les aspirations esthétiques, morales et intellectuelles qui se sont dessinées en 1966. ... Nous avons oubliés cette révolution culturelle »

    Cela ne veut pas dire que tout était rose pour autant.
    La révolution culturelle avec le petit livre rouge en main, cela vaut ce que cela vaut si vous voyez ce que je veux dire...
    A cette époque, ouvrir sa gueule dans cette Chine d’alors, cela voulait dire une élimination pur et simple...
     

  • Rincevent Rincevent 18 janvier 2016 19:50

    celle qu’on appelait pop et qui devient le rock dans les seventies. Euh, historiquement ce ne serait pas le contraire, plutôt ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Rock_’n’_roll


  • Julien Gioux 18 janvier 2016 21:39

    Sympa l’article, mais le 1er double album de l’histoire de la pop music (Blonde on Blonde de Bob Dylan ; sorti en 66) n’aurait-il pas mérité d’y figurer ?


  • Nowhere Man 18 janvier 2016 22:12

    @ Julien Gioux

    Evidemment « Blonde on Blonde » est incontournable, mais on peut également ajouter « Aftermath » des Stones et tellement d’autres...
    Voici un top 100 des albums sortis en 1966, ça donne le vertige.

    http://rateyourmusic.com/list/gav378/top_100_albums_of_1966/


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