Allez, venez Milord...
Une chanson qui s'ouvre "in medias res" sur une invitation avec deux impératifs insistants : "Allez, venez", et une apostrophe "Milord"... c'est une invitation chaleureuse à venir s'installer à table... On perçoit le souci de la personne qui s'exprime à l'égard de cet homme riche qui porte ce titre "Milord", avec une majuscule.
Et les mots qui suivent viennent souligner ce souci de l'autre :
"Il fait si froid, dehors
Ici c'est confortable"
On perçoit là une empathie, une connivence, une générosité.
Et l'invitation se fait pressante avec des impératifs encore à valeur d'insistance :
"Laissez-vous faire, Milord
Et prenez bien vos aises"
Et ce sera aussi l'occasion d'une forme de consolation, comme le montre la belle expression "Vos peines sur mon coeur" qui évoque un partage avec l'alternance des adjectifs possessifs : "vos peines, mon coeur."
Et pourtant, les vers suivants soulignent la distance qui sépare les deux personnages... socialement très inférieure, la narratrice insiste elle-même sur cet écart :
"Je vous connais, Milord
Vous ne m'avez jamais vue
Je ne suis qu'une fille du port
Qu'une ombre de la rue..."
Lui est connu, reconnu de tous, alors qu'elle-même se définit comme une "ombre de la rue" et "une fille du port", des termes péjoratifs et dévalorisants. Notoriété de l'un, anonymat de l'autre, titre de noblesse de l'un, dénomination vulgaire de l'autre.... des contrastes très marqués...
Dès lors, l'invitation ne peut que surprendre avec une sorte d'inversion des rôles sociaux... La narratrice, bien que socialement inférieure, prend le rôle de consolatrice.
Dans le couplet qui suit, la narratrice rappelle un épisode récent : Milord qu'elle a aperçu le jour précédent au bras d'une demoiselle... elle évoque son bonheur triomphant, avec un vocabulaire hyperbolique :
"Vous aviez le beau rôle
On aurait dit le roi...
Vous marchiez en vainqueur"
La narratrice met aussi en évidence la beauté extraordinaire de la demoiselle sur le mode exclamatif, traduisant une intense admiration :
"Mon Dieu !... Qu'elle était belle...
J'en ai froid dans le coeur..."
C'est un tableau idyllique qui contraste avec le couplet suivant où il est question du départ d'un navire qui emporte au loin la bien aimée. Le vocabulaire suggère alors la douleur de la séparation avec les verbes "déchirer, briser, pleurer".
Et la narratrice de donner cette leçon de vie :
"Comme quoi l'existence
Ça vous donne toutes les chances
Pour les reprendre après..."
Le refrain intervient alors avec la reprise des impératifs "Allez, venez, Milord ! Laissez-vous faire, Milord".
Milord est comparé à "un môme" et la narratrice par une belle inversion des rôles l'invite dans son "royaume", un royaume fait de chansons, de réconfort :
"Je soigne les remords
Je chante la romance
Je chante les milords
Qui n'ont pas eu de chance !"
C'est alors que la narratrice lance un nouvel impératif :
"Regardez-moi, Milord
Vous ne m'avez jamais vue..."
Et ces deux vers soulignent encore l'écart social entre les deux personnages : la narratrice, fille des rues anonyme, sans importance qui n'a jamais été vue par Milord, implore un regard.
Et soudain, l'émotion jaillit des yeux de Milord, provoquant la surprise :
..."Mais vous pleurez, Milord ?
Ça je l'aurais jamais cru !"
La fin de la chanson est une invite à retrouver le sourire, la joie de vivre, avec une cascade d'impératifs insistants : la chanson met alors en scène les réactions de Milord commentées par la narratrice. On le voit danser, on l'entend chanter...
"Eh bien, voyons, Milord !
Souriez-moi, Milord !
...Mieux que ça ! Un petit effort...
Voilà, c'est ça !
Allez, riez, Milord !
Allez, chantez, Milord !
La-la-la...
Mais oui, dansez, Milord !
La-la-la...
Bravo Milord !"
Voilà une magnifique chanson faite d'empathie, de générosité... et c'est une personne humble qui manifeste cette empathie, une façon de montrer que ce sont souvent les plus humbles qui font preuve de solidarité et de générosité.
La mélodie est enjouée, vive, dans le refrain et se ralentit dans les couplets pour raconter l'histoire de Milord... elle alterne des passages vifs et des moments plus lents et introspectifs... elle oscille entre mélancolie et espoir...
Que dire de l'interprétation d'Edith Piaf ? Avec sa gouaille, elle nous fait vivre intensément la scène, comme si on l'avait sous les yeux...
Pour mémoire :
Sortie en 1959 cette chanson a été écrite par Georges Moustaki et composée par Marguerite Monnot.
Les paroles :
https://www.paroles.net/edith-piaf/paroles-milord
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2024/09/allez-venez-milord.html
Vidéo :