lundi 22 juin 2009 - par
« Antichrist » : quand Bergman va à l’ « Hostel » !
Bon, je viens de voir Antichrist (interdit aux moins de 16 ans), c’est en gros Ingmar Bergman invité à l’Hostel. L’histoire est basique (instinct) : c’est une guerre des sexes basculant soudain dans un règlement de comptes viscéral. A la suite de la mort de leur enfant, « Elle » (Charlotte Gainsbourg, prix d’interprétation féminine à Cannes 2009) et « Lui » (Willem Dafoe) se réfugient en pleine forêt (« Eden »), dans un chalet isolé : « Lui » veut la guérir de sa déprime afin de sauver cœurs et mariage en difficulté mais, bientôt la Nature reprend ses droits, « Elle » est bientôt sous l’emprise de ses propres démons, et les choses vont ne faire qu’empirer - vade retro Satanas ?
C’est un film très bancal, on pourrait presque l’apprécier en tant que tel, mais il y a, à défaut de Confucius, un tel « confusionnisme » à l’œuvre dans ce film - au sens de confusion mentale maximale - qu’on en vient à mettre en doute tout l’objet, tant il ressemble à un catalogue de la Redoute de la psychanalyse de bazar. A coup sûr, la dédicace à l’immense Tarkovski est drolatique. Suffit-il de filmer quelques gouttes d’eau tombant dans deux verres égarés dans le terrain vague de la nature pour atteindre les cimes mystiques du grand cinéaste russe ? On n’y croit pas à sa vision de la nature à von Trier, on sent dans son regard sur elle juste une posture, le temps d’un film, d’un coup, le temps d’Antichrist. Le « von » prend le pas sur tout : l’ego surdimensionné, et la distance brechtienne, font écran à toute humilité face à Dame Nature. Et ô grand jamais LVT (Lars Von Trier) n’atteint la dimension de « cinéaste-chaman » que l’on peut associer à des cinéastes-poètes de la trempe de Tarkovski ou Malick. Sans hésiter, Antichrist, on peut affirmer que c’est un film qui s’imagine bien plus grand qu’il n’est. Au final, il n’est pas grand-chose. C’est un film de roublard. On ne peut pas dire qu’il soit raté, on prendrait alors le risque de lui faire trop d’honneur car, on le sait, il y a de grands films ratés, ou « malades » pour reprendre l’expression consacrée des Cahiers du cinéma, dans l’Histoire du 7ème art. C’est juste un petit film qui se rêve en chef-d’œuvre mais qui ne l’est jamais. N’est pas Pasolini ou Tarkovski qui veut. Ca, on le savait déjà, et l’Antichrist de LVT vient nous le confirmer, la preuve par l’image.
Alors, on pourra toujours blablater sur ce film, essayer de le raccorder à une sorte de « pensée danoise ancestrale », convoquer Dionysos, Freud, Nietzsche, Bataille, Bosch (le peintre comme la marque !), les sabbats de Goya, le folklore et tout ce qu’on veut, pour autant rien n’y fera, il restera ce qu’il est, à savoir un film minuscule, et mineur, qui se fantasme en film majeur. Bien sûr, à l’heure actuelle, et au vu de la plupart des critiques négatives sur ce film, on aimerait jouer les Saint-Bernard, les Chevaliers blancs, se prendre pour le Frodon du Seigneur des Anneaux et autres et aller batailler ferme pour le défendre ou le sauver, mais à dire vrai, selon moi, le jeu n’en vaut pas la chandelle, c’est pour moi un film de faiseur, hyper talentueux (très bonne direction d’acteurs – Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg sont excellents, images chiadées en veux-tu en voilà : du 2 sur 5 pour moi grâce à tout ça), mais vain. Oui, très certainement, un film de petit acabit, voilà ce qu’est Antichrist, car le produit, film-stimulus au soi-disant parfum de scandale (celui-ci sent à 10 km à la ronde !), prend sans cesse le pas sur l’œuvre d’art.
En fait, la seule façon de le défendre, de manière un tantinet convaincante, c’est peut-être de le tirer vers l’esprit potache, vers la grosse farce, vers le co(s)mique de répétition, davantage cochon que Lars, mais il est tellement confus, il se complaît tellement à prendre la posture du « film voulant s’écarter du sentier battu de la Raison pour atteindre le chemin de traverse de l’irrationnel » qu’il en devient encyclopédique à la Eco, extrêmement brouillon (le chaos règne dans la tête de Lars !), et donc louche, pas assez vachard. Von Trier n’arrive pas à faire au cinéma ce qu’a fait Magritte avec sa période vache en peinture, à savoir passer de l’image léchée à la bad painting mettant joyeusement les pieds dans le plat. Antichrist se plante aussi sur ce coup-là (à l’inverse des Idiots), car von Trier n’enfonce pas assez le clou de ce côté-là, quitte à scinder le film en deux - chapitre 1 : tragédie et chapitre 2 : farce. A force de ne pas savoir sur quel pied danser, LVT finit par faire du Bergman à la sauce Hostel. Son film n’est que ça : du sample qui n’assume pas ses solutions de continuité. Il ne maîtrise pas ses grands écarts. Ca fait jet d’adolescent. Galimatias. Caméra amphigourique. C’est du pétard mouillé qui se fantasme en brûlot. La meule dans le mollet, le coup de bûche sur une verge qui pisse le sang, une fois masturbée, l’automutilation d’un vagin sur un écran de cinéma : à quoi bon à l’ère du tout-à-l’image du gorno * et d’Internet ? De la reconnaissance officielle du porno (John B.Root, HPG, etc.) ? Et du champ des arts plastiques (Actionnistes viennois, Body Art, iconoclastes post-duchampiens) qui a déblayé le terrain depuis belle lurette à ce niveau-là ? Oui, chez l’Antichrist, on a l’impression que le cri de fureur et de scandale n’est qu’imitation et récitation, c’est là que le bât blesse. C’est moins le sujet qui me gêne - en gros, la femme-fleur est nature et la Nature est l’église de Satan, donc la femme est satanique, sur fond d’une constellation philosophico-ésotérique reposant sur la Trinité des Trois Mendiants (Douleur (renard), Deuil (biche) et Désespoir (corbeau) - que la fâcheuse impression d’avoir affaire à un bouillon de culture pas bien digéré. Eh oui, du film d’épouvante au film épouvantable, il n’y a parfois qu’un pas !
L’indigestion dionysiaco-nietzschéenne-lars-ouille est hélas au rendez-vous : le LVT virant au LVMH, avec le copyright de l’ego sursignifiant, là, ça peut coincer. On le sait, si un artiste vire au label, on peut alors craindre le pire, c’est-à-dire un effet de signature d’Artiste confinant à la marque de fabrique.
* Terme venant de la critique américaine et désignant la fusion entre gore et porno, à l’image des Hostel et autres Saw.