« Avatar 2 », pas mal mais sans plus !
Treize ans après le premier, l’insubmersible James Cameron, 68 ans au compteur, revient avec la suite d’Avatar (2009), Avatar 2 : La Voie de l’eau, 2022. On reprend les mêmes, à quelques nuances près (la création de nouveaux personnages avec, en prime, la monstration d’un Pandora plus aquatique), et on recommence, doté d’un budget avoisinant, dit-on, les 350 millions de dollars alors, qu’à titre de comparaison, son premier Terminator (1984), à l’aspect bricolé et brut toujours des plus percutants, via son charme vintage des années 80, le cinéaste canadien autodidacte l’avait bouclé pour moins de 7 millions de dollars. C’est muni de lunettes 3D mastoc un peu lourdes, un euro en plus s’ajoutant au prix de la place pour leur location, que j’ai vu, dans une salle comble – visiblement, le grand bleu de Pandora ne souffre plus de la concurrence des Bleus du Mondial ! –, Avatar 2 au sein du multiplexe UGC Ciné Cité Les Halles à Paris, avec à la fin des 3h12, oui c’est tout de même un tantinet long !, une salve d’applaudissements. Eh oui, le cinéaste Cameron a toujours des fans ! Et, indépendamment de son talent de conteur manifeste, question marketing, il assure toujours un max : son premier Avatar était ressorti en France en salle en septembre dernier avec succès, reprise qui avait permis soit, pour un certain nombre de gens, de se rafraîchir la mémoire, la boîte de… Pandora fonctionnant alors telle une madeleine proustienne, soit de le découvrir et d’attirer à lui, au passage, de nouveaux spectateurs, bien trop jeunes voire pas nés, quand le premier opus était sorti en 2009.
On se souvient encore d’Avatar, le premier, western spatial, à la fois mythologique, écologique et technologique (immense succès au cinéma, à l’instar de Titanic, toujours du même auteur), qui opposait des marines décérébrés, fonctionnant comme autant de cowboys cupides, sans foi ni loi, attaquant une tribu d’autochtones, façon Indiens face à l’Amérique blanche arriviste et crapoteuse, les Na’vi, avec pour figure de proue, leur Pocahontas à eux, une certaine Neytiri. Jake Sully, un ancien marine paralysé des jambes, était recruté par une entreprise s’intéressant de près à un précieux minerai se trouvant sur une planète luxuriante mais hautement toxique, Pandora, habitée par les Na’vi. Grâce à un corps hybride, un avatar (corps contrôlé à distance constitué à partir d’ADN humain mélangé à celui des autochtones), ce soldat infiltrait un clan de Na’vi, faisant obstacle à l’exploitation de ce fameux « or bleu ». Mais bientôt, la Nature, face à la cupidité des hommes, trouvait un passage, reprenait ses droits et, alors que les marines high-tech et les extra-terrestres proches de la nature se livraient à une guerre intergalactique sans merci, le cheval de Troie qu’est Jake Sully rencontrait l’amour auprès de la jolie amazone et guerrière Neytiri.
Dans le deuxième, se déroulant dix ans après les événements relatés dans le premier, Jake et Neytiri sont toujours ensemble, bonne nouvelle !, mais, cette fois-ci, avec quatre enfants à leurs côtés. Sur Pandora, planète lointaine, mâtinant faune et flore aux bleus envoûtants rappelant toujours tant les Schtroumpfs de Peyo que le bleu outremer labellisé Yves Klein, le bonheur, associé à une vision fleur bleue et rousseauiste du Bon Sauvage, est au rendez-vous, parmi les hautes herbes à plumes duveteuses, les méduses volantes translucides et autres plantes exotiques rétractiles. Hélas, la menace de « ceux qui viennent du ciel » (autrement dit le retour des hommes bêtes et méchants !) reprend, notamment par l’intermédiaire – ATTENTION SPOILER – d’une escouade d’avatars, ayant pris l’aspect des Na’vi, avec à leur tête le colonel belliciste et revanchard Miles Quaritch, voulant à tout prix la peau du renégat Jake (« Je vous rapporte son scalp » dit même Quaritch à propos de Sully !), ce qui pousse la famille Sully à quitter son paradis bleu, la forêt, pour se rapprocher de l’océan, auprès d’un autre clan, les Metkayina, dont les tatouages rappellent la culture maorie.
- Une crique dans « Avatar 2 », ou quand le cinéma rejoint le merveilleux. Copyright Walt Disney Company.
La Voie de l’eau, qui « relie toute chose, avant la naissance et après la mort », peut alors commencer au sein d’un bestiaire marin littéralement fantastique : on y croise par exemple l’ilu, fusionnant raie manta et plésiosaure, le skimwing, hybridant dauphin et poisson volant (ça semble vraiment sympa de le monter, comme si l’on était dans un Club Med freestyle du futur doté d’une crique à perte de vue absolument époustouflante !), ou encore le tulkun, une espèce de cachalot rappelant les vers des sables du Dune, trop sous-estimé, de Lynch. Celui-ci, qualifié par un scientifique de l’expédition d’« animal plus intelligent, plus sensible, plus spirituel que nous », nous intéresse tout particulièrement. D’une part, parce que l’un des leurs, nommé Payakan, une sorte de mouton noir des mers, mutilé et paria des tulkuns, car il traîne avec lui une sale réputation de « tueur », est l’un des personnages les plus forts et touchants de cet Avatar 2, son destin semblant intrinsèquement lié, en eaux profondes, croisant profondeur océanique et méandres psychiques, à celui de Lo’ak, l’un des rejetons de Jake et Neytiri, pas trop apprécié des siens non plus et notamment de son père et, d’autre part, parce que le tulkun, que les hommes cherchent à harponner, loge en lui l’amrita, un fluide jaune capable, apprend-on, de stopper le vieillissement humain. Il a donc son importance dans l'arc narratif du film.
Alors, au fond, comment est cet Avatar 2 ? Pas si mal (du 3 sur 5 pour moi). Certes, il est bourré, à mon humble avis, de pas mal de défauts : une soupe New Age au parfum bio-écolo-chlorophylle, saupoudrée de panthéisme post-miyazakien, un peu trop présente, voire par moments risible ; une star annoncée mais qu’on ne reconnaît jamais à l’image (Kate Winslet, un comble !), des archétypes balourds fidèles au classicisme paternaliste hollywoodien habituel (la famille forcément protectrice, via certaines sorties poussives, du genre « Un père protège, c’est sa raison d’être » (on a connu plus novateur !), la figure répétée du paternel autoritaire) ; une durée trop longue avec des scènes de batailles s’enchaînant les unes aux autres, entrecoupées par un certain nombre de niaiseries féeriques lorgnant vers le kitsch et l’Heroïc Fantasy de BD passe-partout quelque peu gênantes ! ; une BO pas si remarquable que ça (James Horner (1953-2015), compositeur du premier score, n’est plus et il n’y a pas vraiment d’air qui s’en détache, contrairement à d’autres sagas au cinéma tels Star Wars et Jurassic Park). Je dirais que cette Voie de l’eau est un peu à Avatar ce qu’était Aliens à Alien, voire Terminator 2 : Le jugement dernier au tout premier. Une fois le décor planté, en général, James Cameron surenchérit dans les effets spéciaux inédits en nous en mettant plein la vue, au risque du trop-plein (quantité n'est pas qualité) et de perdre fraîcheur, ambiguïté et poésie à l’arrivée. C’est un peu ce qui se passe ici, avec bien sûr (mais là, avouons-le, c’est inéluctable à une suite), l’effet de surprise en moins : nous voici désormais habitués à ces gentils gens bleus longilignes au visage félin dont le corps se termine par une queue et dont la destinée écologique - la sauvegarde de la planète bleue (Pandora pouvant être vue comme un fantasme de notre chère Terre avant l’exploitation de ses ressources naturelles sans vergogne par l’homme) - est désormais, et ce plus que jamais, à l’heure du dérèglement climatique, notre quête commune : Avatar, sur fond de fable postcoloniale, est avant tout une saga écologique lanceuse d’alerte.
Maintenant, concernant le positif, Avatar 2, à l’image de ses personnages attachants tiraillés par forces et faiblesses, contient quelques pépites. Tout d’abord, Cameron est un formidable raconteur d’histoires, doublé d’un styliste visuel redoutable, à la fois visionnaire et démiurgique. Son monde imaginaire créé, pixel après pixel, utilisant 3D, effets spéciaux numériques, images de synthèse et performance capture puis filmage en 48 images par seconde au lieu des 24 de rigueur, a tout de même quelque chose de fascinant, voire d'innocent. Malgré ses prouesses technologiques dernier cri, James Cameron, ce Méliès des temps modernes, semble ici, avec ce film familial aux airs familiers (Pandora nous est désormais connue !), revenir aux origines du cinéma, comme au bon vieux temps de la lanterne magique. Sa croyance inébranlable en son art (le 7e), celui des autres (Moby Dick) ou le sien (on connaît son ego !). fait plaisir. Le réalisateur semble s’adresser tant au grand public, ratissant large, qu’aux cinéphiles, ces derniers aimant retrouver des obsessions chez un auteur, par exemple l’hydroglisseur géant, sorte de Dragon des mers occupant parfois frontalement tout l’écran, peut évoquer le paquebot transatlantique impressionnant de la White Star de Titanic et les exosquelettes de crabes sous-marins croisés ici et là, aux pattes arachnéennes grouillantes et travailleuses, ne sont pas sans rappeler l’imagerie robotique troublante d’Aliens.
Avatar 2, en même temps qu’il est un film-somme citant tous ses autres longs métrages, de Terminator (la mécanique des fluides, le goût du transformisme) à Titanic (le naufrage final) en passant par Aliens, Abyss (les profondeurs sous-marines et la magie du surnaturel) et autres True Lies (le super-espion séducteur devant se coltiner épouse et enfants), est une vraie proposition de cinéma, aux recettes narratives classiques qui marchent : avec son récit linéaire et malgré la pléthore de ses personnages, dont des nouveaux ô combien attachants, tels la baleine bannie Payakan, Spider l’enfant humain travaillé par un complexe œdipien ou Sigourney Weaver en Na’Vi de 14 ans, on ne se perd jamais en route, c'est-à-dire qu’on ne tombe jamais dans le gros gloubiboulga assommant, et incompréhensible, façon certains blockbusters de superhéros actuels, tels Black Panther : Wakanda Forever et Doctor Strange in the Multiverse of Madness. Puis la « naïveté » du cinéaste, mi-artiste mi-scientifique, explorant le cinéma et ses technologies nouvelles tel un coffre à jouets ou un fond sous-marin foisonnant de richesses afin de célébrer généreusement les joies du regard, du vivant et de la première fois (« Je te vois », n’arrêtent pas de se dire ses personnages, nourris de visions tant scopiques que mentales), est communicative : on vient aussi voir Avatar pour contempler du jamais vu, vivre dirait Kubrick « une expérience visuelle non verbale » (possible définition du cinéma). Certaines visions, combinées à une perfection technique et à une précision des détails (les petites gouttes d’eau venant vers nous, comme si on les touchait des yeux, les oreilles frémissantes des Na’vi, etc.), sont vraiment bluffantes ; quelques combats dantesques, mêlant les contraires (eau et feu, vivants et machines), sont redoutables d’efficacité plastique et de beauté visuelle, pouvant rappeler l’enfer et la dualité à l’œuvre dans La Revanche des Sith, ainsi le colonel Quaritch, avec ses contradictions et sa tension interne (être dans le corps de son pire ennemi, un Na’vi), n’est pas sans rappeler Dark Vador, Capitaine Achab ou Hamlet, il faut le voir en train de broyer dans sa main, sur fond d’angoisse existentielle, de détestation de soi et de déni de sa précédente existence, le crâne de son ancienne apparence humaine de Terrien impérialiste. C’est très fort. Scène digne d’une tragédie grecque ou d’une peinture ancienne !
Ainsi, malgré certaines réserves (par exemple, et bizarrement, on est rarement ému, malgré la disparition vers la fin d’un personnage-clé, en l’occurrence un enfant - la faute au virtuel prenant le pas sur le supplément d’âme humain ?), selon moi, cette Avatar : La Voie de l’eau est tout de même, avec son imaginaire déployé, une vraie vision de cinéma - on attend donc la suite (les 3, 4 et 5 sont prévus, pour sortir tous les deux ans, jusqu’en 2028, promettant monts et merveilles, via déserts, forêts boréales, montagnes et régions arctiques). Une question se pose cependant : face à la désaffection actuelle du cinéma en salles – la baisse la plus spectaculaire concernant les 35-59 ans - du fait de la pandémie de Covid-19 (cf. la longue fermeture des salles, dites non essentielles) et de la concurrence exponentielle du jeu vidéo, des séries TV et des plateformes de streaming, le cinéaste-star James Cameron arrivera-t-il à lui tout seul à sauver l’industrie du cinéma ? Laissons-lui le mot de la fin (cité par Frédéric Strauss, in Télérama n°3805, déc. 2022), « Je n’imagine certainement pas dépasser avec ce nouveau film les résultats du premier Avatar, spécialement dans un marché en contraction à cause des plateformes et de la pandémie. En 2009, le cinéma était déjà dans un état de siège, la pratique de la vidéo à la demande s’installait et Avatar voulait rappeler tout ce que l’expérience d’un film en salles pouvait apporter. Mais la difficulté est maintenant deux fois plus grande. Les gens ont accès à tellement de contenus de tant de façons différentes ! Est-ce que le cinéma a encore seulement de l’importance ? Je suis prêt à admettre que je suis devenu un dinosaure si le public ne vient pas voir La Voie de l’eau. »
Avatar : La Voie de l’eau (Avatar : The Way of Water), États-Unis (3h12, couleur), de James Cameron. Scénario : J. Cameron, Rick Jaffa, Amanda Silver. Avec Sam Worthington, Zoe Saldana, Sigourney Weaver, Kate Winslet, Stephen Lang, Cliff Curtis. En salles depuis le 14 décembre 2022.