mercredi 1er juin 2011 - par Dominique84

Avenir de l’édition indépendante : des pistes à explorer

Dire et redire cent fois que les librairies sont envahies par les offices de l'industrie du livre, que plus de la moitié des titres en stock ont environ un an et que les autres tournent à raison d'une fois par mois, que des centaines de nouveaux titres sont déversés chaque semaine sur le marché sans que les libraires aient le temps d'en prendre connaissance… permet de situer quelque peu l'état du marché du livre, mais de cela, beaucoup d'éditeurs en sont conscients et ne fait pas avancer le débat.

Les diffuseurs, entre l'éditeur et le libraire, ont bien compris l'avantage qu'ils pouvaient en tirer : pousser les éditeurs à sortir de plus en plus de nouveaux titres pour créer l'effet "nouveauté" (qui rime avec éphémérité) et forcer les libraires à tout vendre dans les délais les plus courts car ils paient les livres à 30 ou 60 jours et ne veulent pas payer les retours. Des deux côtés, les diffuseurs gagnent de l'argent et vivent sur la trésorerie des autres. Certains n'hésitent pas à demander plusieurs dizaines de milliers d'euros aux éditeurs s'ils veulent rentrer dans leur catalogue, c'est un comble puisque ce sont eux qui stockent la marchandise et perçoivent les encaissements
Lorsqu'on entend un libraire dire à propos d'un livre : "celui-ci est vieux, il a deux mois…", certains écrivains des siècles passés doivent se retourner dans leur tombe !
 On en est là, c'est un fait.

Que peut faire un petit éditeur indépendant au milieu de cela ?
Certains ont essayé de se lancer dans la sortie cadencée des titres à raison de deux ou trois par mois : risque très dangereux, car pour être très diffusé, il faut avoir un fort tirage, ce qui coûte très cher.
Passer de 10 titres tirés à 1500 exemplaires à 30 titres tirés à 5 ou 10000 exemplaires, sachant que de 30 à 80% du stock reviendra invendu… Cela implique un budget impression multiplié d'autant, un budget de stockage chez le diffuseur et des frais de transport retour en conséquence (le diffuseur ne paie ni l'aller ni le retour des livres…) Tout ça pour voir une proportion de plus en plus grande de livres envoyés au pilon. Un éditeur qui a passé des mois à travailler avec l'auteur, s'engage sur son nom et sur la qualité de son texte, entretient au quotidien la cohérence de sa ligne éditoriale et fait bien d'autres choses qui l'engagent complètement, ne peut envisager de détruire le moindre exemplaire sorti de ses tripes et de celles de ses auteurs !
Certains éditeurs ont failli y perdre leur entreprise. Malgré la nécessité d'être diffusé, beaucoup d'éditeurs qui ont tenté l'aventure en sont revenus

Tout n'est pas noir
Quelques libraires résistent en perpétuant cette mission de dénicheurs de plumes, mais ce n'est pas simple. Il reste à peine 30% de la place dans les rayons pour 80% des éditeurs. Qui choisir, qui rendre visible ?

Aller sur le terrain
La première solution pour les éditeurs et les auteurs est d'aller à la rencontre des lecteurs. Les auteurs anonymes ne se font pas inviter sur les grands salons ou ne servent que de faire valoir aux auteurs connus et assurent assez d'espace entre eux pour que la foule puisse s'agglutiner à demander une dédicace sans même parfois avoir un mot pour le contenu du dernier titre…
Animateurs de télévision, anciens sportifs, artistes reconvertis, hommes politiques, personnalités à la mode… il leur faut au moins trois mètres de séparation, ce qui laisse la place à six ou huit "petits" auteurs que le public ne verra même pas.
Les salons d'éditeurs commencent à fleurir ici et là, mais là encore, c'est la loterie. Si certains drainent un vrai public de lecteurs, d'autres ne sont que des fiascos. Pas de communication, mauvais accueil, pas de public, des frais d'inscription très élevés : puisqu'il y a un besoin, certains le transforment en marché. Les clients de ces organisateurs-là sont les auteurs et les éditeurs, non les lecteurs.

Une piste à suivre et à développer
Le sujet est assez vaste pour continuer ainsi bien longtemps, mais l'intérêt de cet article réside dans l'analyse d'une voie qui est en train de naître en France et qui ne peut que se développer : les librairies d'éditeurs
Tous les éditeurs ne peuvent ou ne veulent ouvrir une librairie, tout dépend de la taille des locaux, de leur configuration et de leur emplacement. Il n'est toutefois pas nécessaire d'avoir une vitrine de dix mètres de long dans les rues piétonnes. Il ne s'agit pas d'ouvrir une librairie générale, mais une librairie d'éditeurs indépendants. À travailler 8 heures (et plus) par jour, puisque quelqu'un est sur place, les investissements sont moindres.
C'est en premier lieu le moyen d'offrir une visibilité de son propre catalogue au lectorat proche. Mais le lectorat ne se contente pas d'une seule offre. Qui lira un roman aujourd'hui se régalera d'un carnet de voyage demain et offrira une livre illustré à ses petits enfants… Il est bon de proposer le catalogue de confrères choisis pour des affinités de qualité éditoriale et ou graphique dont il faut bien connaître le contenu pour mieux conseiller.
Il faut améliorer l'offre de découverte, attirer des publics différents lors d'évènements ou le littéraire est accompagné de musique, de peinture, de sculpture ou toute autre discipline. La convivialité, la rencontre, le partage, n'est-ce pas la recherche de beaucoup de gens ?
Pourquoi ne pas leur offrir autour d'un livre ?

La culture des réseaux
Il n'est donc pas question d'affronter le marché industriel ou de vouloir le détruire, mais de créer des réseaux de librairies d'éditeurs, une nouvelle voie d'accès au livre, celui qu'on ne voit pas en tête de gondoles, celui dont les médias ne parlent pas, mais qui recèle en son sein toute la magie des mots ou du trait, l'espoir pour le lecteur de faire un voyage immobile et silencieux.
L'expérience a déjà commencé dans plusieurs villes de France. Certains éditeurs se sont rencontrés car, comme par hasard, ils faisaient exactement la même chose, allant jusqu'à organiser un salon de l'édition indépendante… Si les éditeurs n'ont pas tous les mêmes objectifs, ils partagent tous les mêmes besoins.
Même si cela ressemble à l'image de l'éditeur-libraire du XIXe siècle, il n'est pas question d'être passéiste. L'avenir appartient aux réseaux, mais pas seulement aux virtuels. Un clic de souris sur un bouton "ajouter au panier" n'a pas la richesse du conseil du libraire éditeur, du libr'éditeur… qui connaît son fond, partage les mêmes passions que celui qu'il est en train de promouvoir. En édition, on ne peut pas parler de concurrence. Un lecteur est multiple : lecture détente, lecture réflexion, lecture voyage… un éditeur ne peut pas répondre à cette multiplicité.Parmi les premières maisons à avoir ouvert une librairie, Actes Sud fait référence, sauf qu'aujourd'hui, c'est une librairie généraliste. D'autres ont suivi, comme :
Pippa, 25, rue du Sommerard - 75005 Paris
la Petite librairie, 4 bis, rue Danton - 29200 Brest
et tout récemment,
Les éditions Elan Sud, 233 rue des Phocéens - 84100 Orange

Il est donc temps d'agir si les éditeurs veulent perdurer. Quel que soit le secteur d'activité, l'industrie a toujours tenté d'écraser ou d'absorber l'artisanat. Mais ce dernier a toujours résisté grâce à des gens un peu fous, peut-être, engagés et passionnés, certainement.

Tisser le réseau
Si vous êtes "libr'éditeur" et que vous souhaitez tisser le réseau sur le territoire national, échanger des informations, aporter des adresses de librairies d'éditeurs… n'hésitez pas à prendre contact ou à laisser un message




Réagir