samedi 31 mars 2018 - par la Singette

BD Cosmo Bacchus tome 1, une plongée dans le vin des délires steineriens !

Meybeck avec son personnage à face d’Obélix nous entraine sur la route dans une enquête autour de la biodynamie du gourou Steiner, qui a fait des émules dans le vin en France. Une enquête passionnante semée d’embuches et d’humour à déguster de la première à la dernière page. J’ai adoré !

Etrange plongée, étrange enquête d’investigation en BD dans le petit monde de la biodynamie du vin, versus Steiner !

La philosophie mène à tout même aux pires hérésies. En effet, sous le vernis d’un discours soit disant rationnel. Steiner poussa sa pensée dans les plus gros délires au nom de la nature. Steiner (1861 / 1925) le prouve en actes, quand ses intuitions ont mené (même encore aujourd’hui) par le bout du nez les adeptes de sa secte d’anthroposophie.

C’est donc une démarche très courageuse qu’a entrepris le dessinateur scénariste coloriste Meybeck de se jeter dans la gueule du loup de nos jours. Dans les cornes de la vache devrais-je dire !

Au départ de cette aventure, il y avait Meybeck lui-même en personne bouilleur de cru et bon vivant devant l’éternel. Il rencontre Jean-Marie Lebris, un caviste breton installé dans le Sud de la France. Selon toute vraisemblance physique avec Obélix, ne serait pas fortuite. De la proposition honnête de le suivre partout chez les vignerons (dégustations comprises, hic hic hic hourra) durant un an. Meybeck accepta.

 

Au début je dois avouer, je n’ai pas trop accroché au graphisme et au noir et blanc tirant sur le rouge pinard, ni plus d’ailleurs à la bouille des deux compères. Même si j’ai trouvé l’idée excellente de ce road movie ou ce trip (parfois bad), pour reprendre des expressions courantes dans les années 68 pour désigner des sensations musicales sous effet de certaines substances que je suis incapable de vous nommer, puisque je n’étais pas née et je ne parle pas angliche. L’angle d’attaque ne pouvait que me plaire. Le chevelu barbu aux côtés du balèze Obélix avait de la gueule.

Première étape dans les côtes du Rhône. Et forcément la bonne humeur et l’humour triomphent de ces deux personnages biscornus. Ils ont le vin joyeux. Meybeck lit trop la littérature indigeste de Steiner au risque dans ses cauchemars de rencontrer dieu le père, Steiner, gardien du troupeau des vaches et d’être transformé en crevette pour blasphème.

Attention, Steiner à ne surtout pas confondre avec mon pote Stirner. Même consonance du blaze mais philosophie diamétralement opposée même si contemporains l’un de l’autre. Stirner visait dans ses écrits (pour aller vite) à l’émergence d’un courant anarchiste individualiste. Alors que Steiner était un illuminé dont les disciples actuels même en France cultivent ses délires.

Michel Onfray dans son pavé « Cosmos » publié en 2015 s’est intéressé au zigue. Il nous informe que 2700 fermes se réclament encore de l’agriculture biodynamique et qu’en France un label officiel certifie ces produits sous l’appellation Biodyvin. Amen. Ce ne s’invente pas !

Entrons brièvement dans l’antre de l’anthroposophie ou « la science de l’esprit » qui oppose de façon manichéenne deux mondes. « Celui de la modernité avec le matérialisme, le scientisme, la raison, la chimie, les engrais, la matière, la mort et celui positif de l’anthroposophie avec l’esprit, le corps éthéré, les traditions, le cosmos, l’astrologie, l’ésotérisme, l’occultisme, l’intuition, la nature  ». (in Michel Onfray, Cosmos page 192).

De fait selon Steiner, si le monde continue sur sa lancée à suivre les préceptes de la modernité, il ira à sa perte. En revanche, s’il souscrit à l’anthroposophie, il trouvera sa planche de salut. Ca ne vous rappelle pas le discours sectaire qui oppose la Raison à l’intuition, avec la métaphore steinerienne : le sous-sol c’est le vivant, le dessus c’est la mort !

Meybeck dans ses recherches s’est inspiré du blog de Grégoire Perra, un ancien prof « Steiner  » repenti. Revenu à la raison, il dégomme son maître à penser. L’anthroposophie… « C’est surtout une nouvelle religion… un syncrétisme associant divers éléments de l’hindouisme, du christianisme, du celtisme, d’autres religions encore… C’est un fatras de croyances en tous genres… elle prétend par exemple que les dinosaures crachaient du feu, que le bouddha s’est réincarné sur Mars… Mars qui est une planète liquide ! » (in Cosmo Bacchus, page 21)

Nos deux courageux héros s’engagent plus avant dans un stage de deux jours sur la formation des sols, destiné aux agriculteurs et viticulteurs, dans le but d’entendre l’étincelle de jouvence : la biodynamie qui couronnerait leurs recherches.

Ne vous emballez pas ! J’espère que vous avez l’estomac bien accroché. Selon Michel Onfray, le vin issu de la biodynamique est une « exécrable piquette ». Encore plus fort, il porte l’estocade : « Le vin biodynamique est un genre de vin de messe : il ne donne d’extase qu’aux croyants ». (in Michel Onfray, Cosmos, page 190)

Il y sans doute une raison à cela, puisqu’à la base de la biodynamie, vous trouverez de la bouse de vache bourrée dans une corne et enterrée pour en faire un fumier spirituel. Autre recette succulente qui vous met les papilles en extase avec un peu d’imagination racornie. Brûlez des petits rongeurs écorchés et pulvérisez leurs cendres pour éviter que leurs frangibus continuent à fiche le souk ou cousez des fleurs dans des vessies de cerfs, ou remplissez le crâne d’un chien avec des écorces de chêne. Ensuite buvez cul sec !

Je vous passe les pérégrinations de nos deux héros, qui BINGO touchent le gros lot et parviennent à s’immerger dans l’antre du vin biodynamique et ce cirent la chique.

Je passe sur l’hypothèse à creuser sur un autre délire sur la race aryenne selon Steiner, évoquée en page 54 et 83.

Vous l’aurez compris, cet ouvrage très bien construit selon les rituels d’une enquête d’investigation sur le sujet de la biodynamie et les relents de Steiner, creuse, déterre, met en bière (ah ah je ne pouvais pas la rater ct’e blague avec le vin, d’autant que je viens de décapsuler avec les dents une bière danoise, pour me faire passer le gout du picrate évoqué entre ces pages.

Il y a les doutes, les questionnements de l’auteur qui surgissent. Meybeck les met en aplats pour son lectorat, comme un signe distinctif de complicité avérée. On avance, on recule, on s’interroge, on avance encore. En un mot c’est passionnant. Il Plonge dans ses sources d’informations qu’il nomme à la fin de l’ouvrage, comme pour nous accompagner à aller toujours plus loin. C’est pour vous dire la qualité du bonhomme et le respect qu’il accorde à son lectorat !

De toutes les BD que j’avais lues concernant la vie de château et le vin adaptées en série TV à gerber, pour une fois, je peux dire que je me suis régalée avec l’ouvrage de Meybeck.

L’auteur pousse même le bouchon très loin à la fin de la BD. Il se pose la question cruciale pour le tome 2, après la biodynamie, pourquoi ne pas aller faire un saut à la Vinexpo de Bordeaux en juin ? Obélix y va de sa verve habituelle et le dissuade. « Les magouilles des châteaux pour les appellations, les magouilles dans les caves pour maquiller les vins… » (page 84) Meybeck se tâte justement. « Le problème, c’est que si tu critiques uniquement les petits biodynamistes, on va passer pour des gros réacs ». (page 84)

Chapeau l’ouverture d’esprit, j’apprécie. D’autant plus qu’il ouvre des portes pour le second tome du côté de chez moi, à Listrac dans le Médoc. Il va donner la parole au valeureux combat de Marie-Lys Bibeyran, présidente du collectif Info Médoc Pesticides.

http://www.sudouest.fr/2017/10/09/pesticides-manif-dans-les-vignesun-long-combat-juridique-3845502-2970.php

Chapeau encore pour la qualité des propos, le travail intense et immense, l’enquête en immersion d’intérêt public qui a sécrété plusieurs mois de préparation avec l’élaboration de l’album proprement dit à la première personne du singulier. Puisque l’auteur, c’est aussi l’illustrateur, le parolier, l’homme-orchestre de cette BD formidable.

BD Cosmo Bacchus tome 1

 

Meybeck : Cosmo Bacchus 1. Lucifer, éditions Eidola, février 2018, 86 page, 15 euros

 

 Copyright, visuels : éditions Eidlola

 

Meybeck https://www.meybeck.net/



4 réactions


  •  C BARRATIER C BARRATIER 31 mars 2018 19:37

    Merci pour ce bel article
    Je me permets de faire un rapprochement avec RHABI . nous sommes dans un contexte de secte qui connait un grand succès aujourd’hui . Je cible en particulier des écoles privées.

    En table alphabétique des news :

    cOLIBRIS, Rahbi, secte, cousinage STEINER http://chessy2008.free.fr/news/news.php?id=280

  • oscars 2 avril 2018 16:37

    Décevant, comme souvent lorsqu’il s’agit de s’intéresser à l’anthroposophie ou une des pratiques qui en découlent. On repère tout de suite que l’oeuvre de Steiner n’est absolument pas exploré avec un peu de sérieux, puisque avec un peu de lecture, on comprends vite que l’anthroposophie ne s’inscrit pas « contre la modernité ou la raison », mais dénonce les excès potentiels d’un matérialisme unilatéral (et ça la preuve en est faite chaque jour..). Une oeuvre courageuse ? Qui a-t-il de courageux à tenter de démolir une philosophie qui s’inscrit justement à contre courant de la pensée mainstream ? Je vois pas où est le courage là... 




  • Valentine 2 avril 2018 19:04

    Je lis assez régulièrement des articles d’Agora Vox, c’est pour moi un média qui présente l’intérêt majeur : de ne pas tomber dans le piège des idées toutes faites, voire des manipulations de l’information dont nos pays occidentaux ne sont pas exempts, malgré les discours.

    Eh bien cette fois, sous la plume de La Singette, c’est raté. Donner à voir la biodynamie sous forme de BD comme le fait Cosmo Bacchus, bravo ! Rire de Steiner et désacraliser son oeuvre pour ne pas en faire une religion, c’est non seulement le voeu qu’il a exprimé lui-même le plus souvent, et de toutes façons, une bonne rasade d’auto-dérision ça fait toujours du bien. À ce titre on se réjouit de cette BD, et quant à moi, je lis ça bien volontiers !

    Mais pour ce qui est des commentaires de monsieur La Singette, excusez-moi mais il relève des clichés dignes de la démagogie la plus en vogue...

    Un minimum de souci d’objectivité (certes plus exigeant que les sarcasmes gratuits ) aurait pu l’amener à vérifier ses sources. Deux principales : Michel Onfray, désormais réputé pour qualifier de secte tout ce qui ne cadre pas avec ses partis pris (malgré son immense culture ), et monsieur Perra qui fait son miel de tout ce qu’il a pu contribuer lui-même à rendre, en son temps, très problématique.

    La difficulté dans cette histoire, c’est de s’efforcer de penser par soi-même, sans oeillères, et comme le dit l’adage, juger de l’arbre par ses fruits. On peut adapter : juger de la vigne par son vin. Sans déléguer à monsieur Onfray.

    C’est de toute évidence ce qui n’a pas été fait ici.


    • la Singette la Singette 17 avril 2018 10:13

      @Valentine

       

      Chère Valentine,

       

      J’entends bien vos critiques gratuites et ne saurai que vous titiller à progresser dans l’écriture de vos propres articles et les rendre impeccables et lisses, comme vous le souhaitez.

      Aux plaisirs de lire vos articles avec attention et grand plaisir, de sentir l’énergie du don gratuit offert en partage par votre modeste personne.

       


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