lundi 14 février 2011 - par Vincent Delaury

« Black Swan », danse avec les signes

Choisie au sein de la prestigieuse troupe du New York City Ballet pour incarner le double rôle de la Reine des cygnes dans le ballet de Tchaïkovski, la jeune danseuse Nina Sayers (Natalie Portman) est sous la pression permanente d’une mère envahissante et d’un directeur de troupe autoritaire. Sa confiance et son équilibre mental vacillant, elle doit en outre affronter une crise d’identité (le « cygne noir » pointe en elle) et la présence d’une rivale qui, semble-t-il, n’a pas dit son dernier mot pour lui voler son rôle, voire sa vie…

C’est toujours bon cygne, pardon, signe pour un film lorsque les gens en parlent après sa projection. L’autre jour, dans un café parisien, j’entendais un homme d’une cinquantaine d’années dire à ses amis : « Je viens de voir un film parfait. Parfait non pas à 95% ou à 99, mais à 100%, Black Swan. » Cette idée de perfection - et à supposer déjà qu’elle existe en art (cf. Dalí, « Ne craignez pas la perfection. Vous n’y parviendrez jamais !  ») - est d’ailleurs l’un des ressorts du film : une ballerine cherche à se transcender pour être à la hauteur des exigences de cette école de la discipline qu’est la danse classique. Black Swan donc, ce serait le film dont tout le monde parle en ce moment et que l’on veut voir, de Paris à New York. Darren Aronofsky, le réalisateur du film, dans les Cahiers du cinéma n°664 : « On vient juste de dépasser The Dark Knight hier. Un film sur la danse classique vient de battre Batman à Union Square ! C’est fou ! Mais c’est génial, ça veut dire que tout le monde à New York va voir Black Swan. » Black Swan atteint déjà, après sa 10e semaine d’exploitation, les 100 millions de $ au box-office USA et il démarre très bien en France puisqu’il parvient même à prendre la tête du classement, avant Tron. Qu’est-ce à dire : ce succès ne repose-t-il que sur un formidable battage médiatique ou bien est-il lié à la qualité même du film ?

A moins de cultiver un antiaméricanisme primaire, force est de reconnaître que Black Swan, sous ses allures de blockbuster (têtes d’affiche, budget confortable, studio hollywoodien, force de frappe publicitaire), ne manque pas de qualités narratives, visuelles et d’une certaine finesse ; en tout cas, on est loin de l’artillerie lourde des Bay, Emmerich et consorts ! On est davantage, avec Aronofsky, dans un profil de jeune cinéaste qui tente de garder une certaine liberté d’auteur dans le cadre établi des majors. Héritier des figures tutélaires de cette geste artistique (liberté au sein d’une firme) que sont Welles et Kubrick, Aronofsky, aux côtés d’une poignée d’autres cinéastes de sa génération (Thomas Anderson, Fincher, Nolan), veut montrer aux institutions qu’il est possible de faire un film qui puisse rencontrer le succès auprès d’un large public en faisant œuvre personnelle plutôt qu’en signant un énième remake sans saveur et sans surprise. De toute évidence, il y parvient avec Black Swan. Mais, s’il s’agit bien d’un scénario original, Aronofsky, à la manière d’un Avatar, ne manque pas de puiser dans les bonnes vieilles recettes littéraires et cinématographiques pour bâtir la structure dramaturgique de son film.

Aussi, c’est peu dire que Black Swan, adapté du livre d’Andres Heinz racontant les rivalités entre des actrices d’une troupe théâtrale de Broadway tout en intégrant l’intrigue du Lac des cygnes, cumule les lieux communs. Que de poncifs à l’œuvre ! (Attention spoilers) Du romantisme noir (Eros-Thanatos quand tu nous tiens, le sacrifice pour l’art) aux clichés sur le monde fermé de la danse classique (le corps-souffrance, le chorégraphe tyrannique) en passant par les oppositions binaires (le blanc pour la pureté et le noir pour l’impureté) et les thèmes récurrents du fantastique (la mère possessive, les jeux de miroirs, le double, la transformation mi-humaine mi-animale) : Black Swan ne fait pas toujours dans la dentelle. Pour autant, ce que d’aucuns considèrent déjà comme une faiblesse de taille (une compilation de clichés), moi, j’y vois plutôt une force. Comme le disait Hitchcock, « Il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver », Aronofsky part de signes identitaires, intimes et imagés pour viser le mythe. Puisque son film - de genre - est justement à la croisée des genres (entre le thriller, le fantastique et le film caméra-vérité sur la danse), il part directement des codes de ces genres-là pour tisser sa toile narrative afin de construire un récit qui puisse partir du local (une troupe newyorkaise) pour atteindre l’universel. Ainsi, malgré un tissage tous azimuts de codes, de clichés et de références (Hitchcock, De Palma, Cronenberg), Aronofsky, avec son Black Swan, parvient à faire une histoire qui se tienne, c’est tout de même appréciable. Bref, il ne se perd pas en chemin et, malgré les complexités freudiennes de la psyché de son personnage principal, il arrive à raconter une histoire aisément lisible et compréhensible. Peut-être trop d’ailleurs. Car, en ce qui concerne la frontière floue entre rêve et réalité, les zones d’ombre et de mystère ne sont peut-être pas assez présentes ici. En tout cas, et c’est quelque peu regrettable, l’ambigüité est moins présente que chez Lynch ou Cronenberg.

Autre atout du film : sa teneur en méta-cinéma (le « monde du cinéma » autour de l’objet film). Ca donne à celui-ci comme une plus-value, un capital sympathie. De la même façon qu’il était presque impossible de regarder la trajectoire brinquebalante du catcheur Randy le Bélier dans The Wrestler (2008, http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/the-wrestler-un-film-cash-sur-le-52159) sans faire le parallèle avec le parcours chaotique de l’inénarrable Mickey Rourke, ici, difficile de voir Vincent Cassel, qui interprète le directeur artistique Thomas, sans ne pas se rappeler son réel attrait pour la danse (il vient de l’école du cirque et est fan de capoeira) et se dire qu’il est bien le fils de son père ; d’ailleurs, selon moi, dès qu’il apparaît à l’écran dans Black Swan, les traits de son visage font aussitôt penser à ceux de Jean-Pierre Cassel (1932-2007), sorte de Fred Astaire frenchie qui virevoltait avec grâce dans certains de ses films (L’Ours et la poupée, 1969). Et surtout, dans Black Swan, on ne peut pas voir Natalie Portman virer du rose bonbon au noir mortifère sans penser à sa fraîcheur juvénile croisée dans Léon (1994, Besson), film qu’elle a tourné à 12 ans. Quand on la voit dans le film jeter ses peluches pastel pour bientôt revêtir des collants noirs qui affirmeront sa liberté et son penchant pour le sombre, on se dit que la jeune Natalie d’autrefois, découverte dans le « new-yorkais » Léon, est devenue une jeune femme aux allures de star. Sans aucun doute, avec la Mathilda de Léon, elle trouve ici l’un des rôles de sa vie. Et de la même façon qu’elle ne se faisait aucunement piquer la vedette dans Léon malgré la présence d’acteurs charismatiques (Gary Oldman, Danny Aiello…), dans Black Swan, bien qu’elle soit entourée de l’énergique Cassel et d’actrices ô combien séduisantes (Mila Kunis, Winona Ryder), elle ne se fait jamais voler le show. Elle s’impose, entre fragilité et force vive, le film étant littéralement porté par elle. On le suit parce qu’on a très envie de la suivre, elle.

Et, in fine, c’est peut-être là que le bât blesse. Il n’est pas impossible que l’esthétique du film ne soit pas à la hauteur de la performance de son actrice principale. Autant, je comprends que pour suivre le romantisme fiévreux et le jusqu’au-boutisme de l’artiste perfectionniste qu’est Nina, Aronofsky, façon caméra à l’épaule, la suive de près pour saisir l’intensité bord-cadre de sa trajectoire lyrique, autant je m’étonne qu’il ne déploie pas plus d’inventivité plastique pour filmer les ballets. On ne peut pas dire que les séquences dansées soient filmées avec un sens opératique débordant. Dans le côté paroxystique, on est très loin du baroque Phantom of the Paradise (1974, De Palma) et, dans le côté filmage qui parviendrait à épouser la beauté graphique des arabesques et des rêves dansants, des Powell, Minnelli et autres Scorsese, que l’on pense aux Chaussons rouges (1948), à Tous en scène (1953), voire au clip Bad (1987), n’ont point à s’inquiéter. Pour autant, malgré ces quelques bémols (un peu trop de sur-lignage explicatif, une absence de regard vraiment personnel sur la danse), Black Swan mérite tout de même d’être vu (du 3 sur 5 pour moi), ne serait-ce que pour la performance fantastique de l’incandescente Natalie Portman.  

 
Black Swan, de Darren Aronofsky (bande annonce HD vostfr) par AgoraVoxFrance 

 



9 réactions


  • easy easy 14 février 2011 12:01

    J’ai 58 ans et j’ai toujours été strictement hétérosexuel. Entre mes 16 et 22 ans, j’avais fait de la danse, quelque chose dans le genre de Béjart et autre chose de plus jazz aussi. Il était indispensable, me disait-on, de prendre des cours de classique. Je me suis donc retrouvé dans Paris, dans une de ces salles avec barre et avec des filles en tutu et chaussons à pointe acier, devant, derrière, tous à transpirer, à tirer sur toutes nos limites y compris d’amour propre. C’est un domaine à fort cisaillement entre narcissisme physico-artistique (on incarne l’oeuvre artistique) et humilité (puisqu’on n’arrive jamais à réaliser les performances qu’on fantasme et où il est beaucoup question de lévitation).

    Dans Billy Elliot, on voit le parcours difficile d’un garçon qui tenait (plus que moi) à faire carrière dans ce métier. On y voit surtout ses difficultés sociales car on n’est que rarement compris, même par les siens, quand on veut devenir danseur. Dans ce film, on est ému par le travail d’intégration sociale de Billy, par le travail des siens aussi puisqu’ils finissent par le soutenir. 

    Dans Hair, on a essentiellement la dimension philosophique et politique du mouvement anti impérialiste qui ressort. Et on est ému par cette forme de lutte sociale.

    Black Swan nous ramène au monde de la danse classique, à sa bulle. Même son interférence avec le public, tout de même visible lorsque la salle applaudit debout, est minorée. Et du reste, le spectacle offert sur la scène par le ballet est complètement minoré. On n’en voit rien et ne montre rien d’exceptionnel. 

    Tout est vu depuis l’intérieur, l’intérieur de la troupe et surtout l’intérieur de la tête d’une danseuse étoile. C’est un point de vue similaire à celui que proposait La pianiste. C’est cela qui est exceptionnel.

    Car l’intérieur d’une danseuse, d’un danseur, c’est bourré d’égocentrisme d’abord et de fantasmes (les rêves d’un danseur ne versant pas forcément dans la danse)
    Ces fantasmes, ces rêves éveillés, le danseur, bien plus souvent la danseuse, s’efforce de les réaliser et comme il n’y a qu’une seule première place, la compétition est rude tant à la barre que dans les couloirs et les coulisses. C’est un monde où, en toute logique, 30 filles espèrent une contre performance de l’étoile pour envisager de la remplacer. Black Swan réprésente très bien cet aspect.

    Qui plus est Aronofsky a choisi de situer son film dans une entreprise visant à remonter le Lac des cygnes. Or c’est clairement une histoire toute centrée sur le dualisme blanc / noir & pudeur / exhibitionnisme de chacun de nous. Quelle que soit l’idée de base, si l’on tourne un film installé sur le Lac des Cygnes, on doit montrer notre dualisme donc nos cisaillements.

    Et puis il y a la mère de l’héroïne. Comme dans La Pianiste, cette mère est envahissante. Dans ces domaines que sont la musique classique et la danse classique, les enfants (les filles quand il s’agit de danse) y viennent très souvent par pression familiale.
    C’est à peine croyable la quantité d’investissement des mères sur les filles qui font de la danse classique. Qui plus est si ces mères ont elles-mêmes été danseuses. Comme c’est un milieu particulièrement statique sur le plan culturel, une mère qui aurait fait de la danse 20 ans plus tôt, retrouvera dans le contexte où se trouve sa fille, exactement les mêmes éléments, les mêmes endroits, les mêmes codes, les mêmes accessoires, les mêmes musiques, les mêmes dieux qu’à son époque.

    La danse classique est certainement le domaine où une mère -qui l’aurait pratiquée- peut le mieux retrouver le contexte qui était le sien 20 ou 30 ans plus tôt. Même une grand-mère s’y retrouverait 60 ans plus tard. Et il manque régulièrement aux auteurs de faire apparaître la grand-mère qui, elle aussi, pousse à la roue.

    Dans la danse classique, les pratiquants s’y retrouvent grâce à cette fixité, alors ils s’y perdent psychologiquement parlant. Le parent se projette en son enfant qui se retrouve en compétition avec le fantôme et le fantasme de son parent.


    On pourrait faire un film intéressant sans jamais montrer les visions ou fantasmes du héros. Ici Aronofsky a au contraire choisi de ne montrer que ce qu’il y a dans la tête d’une danseuse très motivée. Et c’est donc parfaitement fantasmagorique. C’est aussi parfaitement singulier. Aronofsky entre dans les pensées et nous les expose, comme l’avait fait Dostoïevsky.

    La chambre de l’héroïne, remplie de poupées et de peluches, sa sujétion à sa mère, l’effet bulle, tout cela est très représentatif de la réalité nostalgique des danseuses de l’Opéra.


    La Lune dans le caniveau, c’est la vision poétique de la vie d’un docker. Beinex nous montre comment il esthétise une réalité et cette esthétisation est étrangère aux personnages. Presque pareil pour Diva.

    Black Swan n’est pas une vision poétique de la danse ou de la vie d’une danseuse. Aronofsky nous montre de manière très objective voire scientifique, la réalité, des fantasmes et des délires d’une danseuse classique dans lesquels l’esthétique et l’esthétisation sont capitales. Dans Black swan, tout ce qui est esthétique ou esthétisé, tout ce qui est sublimé et dramatisé, l’est par les danseurs, les chorégraphes, les éclairagistes, les décorateurs eux-mêmes, par le milieu de la danse lui-même, par Petipa, par Tchaïkovsky.

    A la base d’un ballet, il y a une vision poétique des choses. Mais au niveau des danseurs, dans le travail qu’ils ont à accomplir, il n’y a plus de poésie, il n’y a plus qu’un fantasme à réussir 50 fouettés en tournant sur la même marque au sol. Réussir cela c’est mettre la salle en feu.

    Enfin, dans Black Swan, le chorégraphe reproche à l’étoile d’être trop peu sensuelle. Insuffisamment vamp. En effet, c’est précisément le défaut de la danse en tant qu’art pratiqué. Tant d’énergie est consacrée à réaliser des mouvements techniquement parfaits qu’il n’y a plus de place pour d’autres ambitions, d’autres attentions.


    • easy easy 14 février 2011 19:00

      Mais que viens faire le procès de la compétition ici ?

      Si vous tenez à dénoncer la compétition, autant le faire au collège de France.

      Personne, absolument personne, à ma connaissance, ne participe d’une manière ou d’une autre, à de multuples compétitions (je passe sur la course des zoïdes qui ne dépend pas de notre volonté)
      Et personne, à ma connaissance, n’est dupe des problèmes qu’elle pose. Mais c’est comme manger, c’est indispensable.

      Ce dont on peut débattre, c’est le niveau de cette compétion ou lutte permanente pour survivre. Mais comme le débat sur le bon niveau du curseur est à l’évidence sans fin, il faut, je vous l’assure, le tenir devant un parterre de philosophes. Pas ici où il est question de montrer les effets de la haute compétition sur le mental d’une personne (de tout un milieu en l’occurrence, car qui dit danse classique dit gros efforts, grands sacrifices et fantasmes puissants car assez rigides, fixes, immuables et transgénérationnels)

      Et Aronofsky ne juge pas. Bien, mal, évitable, inévitable, on n’en sait rien. On voit ce qui se passe, c’est tout et c’est suffisant.

      Juger, c’est toujours égocentrique, c’est toujours croire sa pensée supérieure à celle des autres. Juger, c’est se précipiter pour la ramener, c’est donc ne pas observer.
      Observer, de près, de très près, en se glissant dans le regard, en s’ennivrant des fantasmes de chacun, simplement observer avec empathie, c’est cela qui permet de vivre mille vies et de tout comprendre, c’est cela qui est enrichissant.

      On n’a jamais vu un juge professionnel ou un moraliste instruire qui que ce soit sur ce qu’est la vie.



    • easy easy 14 février 2011 19:07

      Je reprends une de mes phrases mal construite

      «  »«  »Personne, absolument personne, à ma connaissance, ne participe d’une manière ou d’une autre, à de multuples compétitions «  »"

      Je veux dire que tout individu, participe d’une manière ou d’une autre (conscient ou pas) à de multiples compétitions


  • Vincent Delaury Vincent Delaury 14 février 2011 16:07

    « Aronofsky entre dans les pensées et nous les expose, comme l’avait fait Dostoïevsky. » (easy)
    @ easy
    Vous avez raison de citer cet auteur, c’est d’ailleurs, en interview, l’une des sources d’influence revendiquées du réalisateur du film.

    @ Musima
    Je ne suis pas un fana de compet’, rassurez-vous !
    Mais le monde de la danse rejoint de très près l’univers impitoyable de la performance sportive, vous le savez bien...


  • Johnny Marocco 14 février 2011 18:10

    Darren Aronofsky est plus qu’un cinéaste, c’est un véritable Artiste. Il a fait de l’âme son vivier d’inspiration ; il sait la peindre, la colorer pour mieux livrer sa vision de la dualité existentielle, et cela se confirme au travers de son oeuvre, peu prolixe au demeurant (et ce n’est pas un mal).
    Black Swan est un véritable chef d’oeuvre, au même titre que Enter the Void de Noé, et qui sont, à mon humble avis, les perles ciné de cette année


    • easy easy 14 février 2011 19:45

       Euh.

      Aronofsky est à mes yeux davantage un extraordinaire observateur des visions intimes des autres qu’un artiste.

      Par exemple ; Tarkovski, Beneix, Kusturica, Rohmer, Lang, Chaplin, Visconti, en fait la très grande majorité des cinéastes sont des artistes au sens où ils nous montrent la réalité à travers leur grille de lecture, leur poétisation.

      Rien, dans ce que Chaplin nous montre, ne correspond à la réalité objective, perçue de puis l’extérieur des gens, et si ça correspond à la vision intime et personnelle d’une personne, c’est de la sienne. Ce n’est pas la vision du Kid qu’il nous montre mais celle de Charlot.



      Dans Black Swan, le cinéaste ne transforme rien. Il ne se veut pas artiste comme Picasso ou Dali. Il se veut scientifique et soucieux de montrer la vérité interne de ses personnages. Tout ce qu’il nous montre vient de la pensée de la danseuse étoile. C’est un peu ce qui est fait par Hackford dans Ray. Il y a cette manière également dans Voyage au bout de l’enfer. Alan Parker l’avait fait avec Birdy, et c’est aussi le principe de The Wall. On entre dans les délires des personnages.

      Il suffit de suivre de près une fille pour qui la danse est l’alfa et l’oméga pour l’entendre dire qu’à un moment, tout se passait si bien dans le spectacle du Lac des cygnes, elle se sentait tellement en grâce, la musique la portait tellement, qu’elle s’est sentie des ailes (le rôle exigeant que la danseuse s’identifie à un cygne et batte des bras comme des ailes).

      Quand on a entendu une danseuse étoile dire ça et qu’on veut montrer dans un film ce délire, cette transfiguration exigée, appelée, attendue par le public, il ne reste plus qu’à suivre pas à pas la métamorphose, augmenter la présence de la musique, augmenter la présence d’un public enflammé et ajouter progressivement des plumes aux bras de la danseuse. Et cela, seul le cinéma, surtout de nos jours avec les effets spéciaux, permet de le faire. 


      Pour le dire autrement. Victor Hugo, quand il nous raconte Cosette, il s’arrange pour nous émouvoir aux larmes d’un spectacle que nous avions pu observer sans ressentir pareille émotion. Il est artiste et éveille en nous la pitié, l’amour, la compassion, le pardon.

      Dostoïevski part de faits divers ordinaires qui nous émeuvent par leur horreur et que nous rejetons. Puis il nous fait visiter la pensée des protagonistes et nous fait vivre leurs déchirements. Il agit comme un psychanalyste méticuleux de rapporter la vérité des individus. Et explorer la pensée intime des gens, c’est quelque chose de très déstabilisant car chacun de nous y retrouve ses anges et démons.


  • patroc 14 février 2011 19:01

    J’ai vu le film : très bien !.. Ambiance à la « phantom of the paradise », défaillance mentale superbement filmée, scènes de ballets excellentes et une actrice magnifique (et très belle)..

    Un très bon film..


  • Sébastien Sébastien 20 février 2011 08:12

    Tres bon article pour un excellent film. Portman est simplement epoustouflante et on ressent a chaque scene cette angoisse qui la ronge de l’interieur. La scene finale, sans rien en devoiler, est grandiose.


  • sleeping-zombie 20 février 2011 23:13

    Hello,

    Je suis d’accord avec 90% de l’article. Black Swan est un grand film, qui est parvenu à m’emmener dans son univers (et c’est de plus en plus rare).

    Par contre, quand tu écris
    " Car, en ce qui concerne la frontière floue entre rêve et réalité, les zones d’ombre et de mystère ne sont peut-être pas assez présentes ici. "
    Je ne suis pas du tout d’accord.

    [Alerte, Spoil] Evidemment, quand elle se tranforme en cygne ou elle voit son reflet bouger tout seul, on est en plein dans le rêve, mais t’es-tu demandé Lily est-elle réelle ?


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