mercredi 6 février 2008 - par Nicolas Cavaliere

« Brazil » (Terry Gilliam) et moi (et peut-être vous...)

Un point de vue différent sur la morale d’un chef-d’oeuvre de cinéma.

La majorité des cinéphiles connaissent le film Brazil, mais cela ne dispense pas les ignorants du droit d’être informés de l’objet du film. Il décrit les passions et les angoisses de Sam Lowry, un bureaucrate agissant au sein d’une société totalement informatisée, aux deux sens du terme, c’est-à-dire soumise à la technologie et contrainte à la communication. Mais, le but de mon discours ici étant de dénoncer les effets secondaires sur ma propre personne d’un film à grand spectacle, ces néophytes peuvent s’abstenir de lire la suite de cet article, qui se doit de révéler par la suite des détails essentiels de la fin du film afin de garantir la cohérence de son argumentation. J’espère que quelques-uns parmi vous se retrouveront dans mon propos.

Pour faire bref, ce film, qui m’avait bien enthousiasmé à mes 16 ans, me laisse désormais froid comme une éponge qu’on vient de sortir du réfrigérateur (j’aime ce qui est propre et frais). Je croyais adolescent que Sam Lowry était une sorte de héros. J’ai revu ça récemment, ben après quatre ans de fac et de mise à distance de tout ce qui est possible de mettre à distance, je ne suis plus d’accord avec la "morale" de ce truc. Les décors demeurent superbes, l’ambiance reste magique, mais il y a un point que je ne peux plus admettre concernant le personnage principal... ou le scénario...

En fait, c’est surtout la fin que je trouve maintenant complètement déroutante. Si Jonathan Pryce est moins sur les nerfs et s’efface de l’ordinateur en même temps que sa dulcinée, jamais les policiers ne les retrouvent, jamais ils ne les tuent, jamais il devient fou. Pour profiter de son bonheur immédiat avec sa nouvelle femme, il fait les choses trop vite et se prive de quelque chose de durable en fait, peu important le contexte autour. Certes, le monde dans Brazil est opprimant, mais ce n’est pas le plus essentiel. Le plus essentiel, c’est qu’il pousse les personnages à penser et à agir vite. Si Sam devait se sortir de ce monde-là, il aurait juste dû traîner les pieds et aller lentement. Ca lui aurait évité la négligence qu’il commet au moment où il a objectivement toutes les chances de sortir de ce cauchemar.

Bon, on va me dire, "ouais c’est un appel à la passion et à l’amour fou gna gna gna", mais zut quoi... Amour et précipitation ne font jamais bon ménage et c’est le propre d’une idéologie de la division que de faire croire le contraire. L’amour est le résultat d’une connaissance et celle-ci est un processus long, plein de surprises et d’angoisses. En amour, l’élan le plus passionné est aussi le plus réfléchi.

Bref, finalement, je ne m’identifie plus au personnage de Sam, je trouve que c’est simplement un gars un peu idiot et il ne me touche plus. Plus de spontanéité ne signifie pas forcément plus d’humanité. Le romantisme, le surréalisme, la révolution étudiante de San Francisco ou de Paris relèvent tous d’un même état d’esprit faussement anti-conformiste qui pousse à voir dans la folie un signe de génie et la rend désirable pour la tête encore malformée. Je ne désire pas faire l’apologie de l’attitude opposée qui consiste à s’adapter sans cesse et à être (ou jouer) une coquille creuse, réceptacle de tous les vents de ce monde. Mais il faut bien reconnaître que les obsédés passionnels et les girouettes sans scrupules partagent la même vacuité de corps, étant attachés désespérément à un autre qui fait leur soi.

C’est ce que j’ai fini par comprendre à la révision de ce film. Sam Lowry n’est pas un héros. Il n’est pas désirable d’être fou, de rechercher la spontanéité, de vouloir trouver la vie, alors qu’elle est, là, prête à être changée. Il suffit juste d’un peu de raison, non ?



13 réactions


  • aldanjah aldanjah 6 février 2008 12:14

    D’après moi, tu minimises un certain fait : "Certes, le monde dans Brazil est opprimant, ..", alors que celui-ci est à la fois inégal et répressif, en quelque sorte invivable comme le monde du chef d’oeuvre de la litterature 1984 de G. Orwells, ou l’Insurgé de Jules Vallès, ou encore celui du film grand public Braveheart avec Mel Gibson.

    L’acte de rebellion n’est alors pas uniquement un acte héroïque, c’est un acte de survie et le seul acte raisonable pour Sam Lowry ou ces autres "heros" qui ont conscience de la valeur de leur vie.

    L’empatie est l’une des caractéristisques de l’humanité, comprendre Sam Lowry c’est comme comprendre les raisons de tous les insurgés à travers le monde, qui préfèrent essayer de changer les choses au risque de leur vie plutôt que de se resigner à participer à une société qui leur semble injuste.

    La voix des pouvoirs en place - qui par définition tiennent à garder le pouvoir- les rabaissent en général à l’état de "fous" voir de "terroristes", car ils menacent le système, mais la plupart de l’humanité n’est pas si héroïque que ça. La préservation des acquis est alors le choix qui semble le plus raisonnable, même si, avec recul, c’est surtout le choix le plus lache.


  • Forest Ent Forest Ent 6 février 2008 12:27

    Les personnages de Brazil sont ceux de 1984, des éléments tragiques broyés par une société déshumanisée. Il faut relire ce bouquin et revoir ce film.

    Arf, je ne pensais pas que quelqu’un puisse ne pas l’avoir vu.


    • aldanjah aldanjah 6 février 2008 14:22

      absolument pas. Ca se ressemble mais non, les histoires sont différentes. Par exemple, il n’y a pas de mouvement de rebellion dans Brazil que le personnage principal chercherait à rejoindre. A toi de relire le bouquin et de revoir le film.

      Un commentaire absolument inutile, merci forest ent.


    • Forest Ent Forest Ent 6 février 2008 14:32

      Je n’ai pas dit que l’histoire est la même. J’ai dit, en réponse à l’article, que, comme dans 1984, les personnages ne sont pas des héros auxquels on puisse s’identifier, mais des victimes sacrificielles prétextes à la description d’une société-machine.

      Du calme. smiley


  • TSS 6 février 2008 13:02

    vous savez,dans le film, quand les policiers arrivent chez les gens en decoupant le plafond sans aucune explication,cela fait penser à l’arrivée des policiers et des pelleteuses dans le resto chinois et la retraite sans la moindre excuse après avoir tout detruit !

    je suis un admirateur absolu de ce film premonitoire !


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 6 février 2008 17:16

      Ah mais moi aussi, j’aime le film, la mise en scène est impressionnante, la photographie magnifique et il fait de l’effet... ce que je récuse, c’est l’aspect individualiste du scénario qui montre le personnage comme un animal fascinant dans un monde détraqué, et qui finit par être emporté avec lui dans son irrationnalité... personnellement, l’effet de ce film sur moi a été désastreux, j’ai été transformé en romantique rebelle fasciné par sa propre impuissance à agir sur la réalité qui l’entoure. C’est cela que je dénonce dans le texte, même si ce n’est pas très clair (en même temps, j’aime le flou, ça n’arrange rien...).

      Comme l’écrit Aldanjah, le personnage est seul dans sa lutte, et n’a aucun groupe à joindre. Ou, sous un autre angle, il se donne un objectif tellement elevé (la conquête amoureuse) que personne ne peut lutter avec lui, puisqu’en général, c’est le type de conquête qui se fait seul. Le personnage de Sam Lowry n’a rien d’un insurgé ou d’un rebelle, puisqu’il ne cherche pas à accomplir une finalité définie collectivement comme le "plombier" Tuttle, qui est part d’un mouvement général de sabotage. En définitive, je crois que c’est l’élément qui me gêne le plus dans "Brazil", le personnage est en révolte contre un univers mécanisé où les relations humaines se réduisent à des rapports hiérarchiques et à des transferts d’informations - le monde de l’entreprise libérale obsédé par la communication d’aujourd’hui... mais il ne le sait pas... ce qui signifie selon moi que Gilliam ne souhaite pas le montrer. On ne fait que sombrer avec le personnage dans la perte de sa conscience. Il y a des héros plus entreprenants, je pense, mais Gilliam préfère montrer l’exemple d’un Lowry impuissant, ose en faire une icône du sacrifice involontaire, inconscient des valeurs qu’il met en jeu dans son dernier geste. Voilà, plus précisément, ce qui me dérange dans le film.


  • joseW 6 février 2008 20:24

    Brzail est vraiment un excellent film, et si l’auteur de cet article le trouve désormais nul et inintéressant, c’est vraiment qu’il à du souci à se faire...

    Mais bon, l’auteur ne sera pas le premier à avoir des idéaux dans sa jeunesse et ensuite à intégrer le système et à devenir l’un des éléments les plus zélés, il suffit de voir ce que sont devenues certaines vieilles gloires de Mai 68.

    Pour revenir à Brazil, le parallèle fait ci-dessus avec 1984 est un bon parallèle, et je pense que Brazil est encore plus fort symboliquement, même si 1984 est excellent pour décrire avec autant d’avance et autant de précision le Nouvel Ordre Mondial qu’ "on" nous prépare activement.

    Brazil est un film visionnaire sur le NWO, tant sur les attentats, la chirurgie esthétique, l’oppression par le Système, l’ambiance ultra-sécuritaire, le fichage, le flicage, le matérialisme, le tout-fric, l’éloignement de la nature, la noirceur, le stress, l’anxiété, la vacuité, etc.. etc...

    Un film qui fait peur, mais aussi un film qui donne envie de ne pas se laisser écraser et de ne pas baisser les bras, comme l’auteur de l’article semble tenté de le faire :

     

     


  • sacreepirate 6 février 2008 22:10

    Deux petites infos pour tout le monde et notamment pour l’auteur, dans l’espoir de le racommoder avec le film :

    Brazil existe en trois versions différentes dont une américaine, une Européenne et une dernière raccourcie.

    Par ailleurs, le film fait partie d’une trilogie : 1. Les aventures du Baron de Mucnhausen, 2. Brazil, 3. Time Bandits

     

    Bons films.
     


    • Dudule 7 février 2008 00:14

      "Par ailleurs, le film fait partie d’une trilogie : 1. Les aventures du Baron de Mucnhausen, 2. Brazil, 3. Time Bandits"

      Juste, mais il me semble qu’il faut inverser l’ordre des films cités pour avoir l’ordre chronologique de leur réalisation.

      Le Baron de Münchausen est aussi une pure merveille, quoi que pas très bien accueilli par le public et la critique (pas très bien accueilli, mais pas trop conspué non plus, il est vrai... disons pas du tout reconnu à sa juste valeur, à mon très humble avis).


  • Le Bordelleur Le Bordelleur 7 février 2008 00:16

    Le côté faire les choses lentement en amour, vous auriez du l’expliquer à Sarkozy...

    Je pense que vous n’avez pas compris que le héros était le pure produit de la société dans lequel il vit.

    Ce qui signifique que son comportement précipité est très réaliste.

    Le côté moi j’ai la solution du problème me fait doucement rigoler...

    A sa place j’aurais fait ça lol : c’est pas un peu enfantin comme logique...

    Finalement je pense que ce qui vous dérange dans ce héros, c’est jutement l’image qu’il vous renvoie !


    • Nicolas Cavaliere Nicolas Ernandez 7 février 2008 06:57

      C’est bien pour ça que je ne dénigre pas la puissance émotionnelle du film, contrairement à ce que j’ai pu lire plus haut (...).


  • Vama 27 juillet 2008 14:32

    Je ne suis pas d’accord avec ce qui est dit dans cet article, je trouve ça bien de parler de Brazil, le film et le réalisateur le méritent bien. Je trouve cet avis bien trop étriqué, personnellement je ne me suis jamais identifiée à aucun des pêrsonnages je crois, ou peut-être plus ou moins à plusieurs à la fois. Non ce n’est pas ça qui compte et je ne pense pas que l’idée du film était basée sur ce qui est dit dans cet article. Ce que ce réalisateur fait en général change tellement du cinéma train train qu’on veut absolument nous faire avaler à tout prix, lui travaille sur l’inconscient et la réalité et se donne les moyens de le faire sans tomber dans les clichés ... ou alors il les utilise. Moi je dis bravo Terry Gilliam et encore bravo ! et merçi pour tout !


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