mercredi 11 août 2010 - par Vincent Delaury

Bruno Cremer n’est plus

Bruno Cremer (1929-2010), c’était tout d’abord une sacrée voix, un timbre qu’on n’oublie pas, comme celui d’un Noiret ou d’un Jean Reno. Le réalisateur Alexandre Arcady, qui a travaillé avec lui sur L’Union sacrée (1989), n’a pas manqué de le rappeler au micro d’Europe 1 : « On a tous gardé le souvenir d’un acteur qui en imposait et qui était à la fois d’une grande humanité et d’une grande force. Même quand il faisait la grosse voix, on sentait l’humain derrière. »

Bruno Cremer, c’était un physique rassurant, avec une bonhommie inspirant la confiance. A sa mort samedi dernier à l’âge de 80 ans, des suites d’un cancer, d’aucuns, et à raison, ont parlé d’une « force tranquille » qui l’animait et lui donnait une espèce de sagesse. C’était ça, entre autres, ce qu’on aimait en lui : une charpente d’homme solide sur qui on pouvait compter. Il n’était pas spécialement beau mais il avait autre chose pour séduire : une belle voix chaude, un physique de baroudeur au grand cœur, et un jeu subtil s’épanouissant, par moments, dans des airs matois et un humour pince-sans-rire qui le rendaient ô combien sympathique pour les spectateurs, et téléspectateurs, que nous sommes. A l’issue d’une projection parisienne de l’un de ses films (Sous le sable, 2001, à l’Escurial Panorama, Paris 13e), il avait rencontré son public et je me souviens encore de lui comme d’un homme fort sympathique, affable et disponible*.

Alors bien sûr il y avait les Maigret. Son premier date de 1991 (Maigret et la grande perche), et son dernier, Maigret et l’étoile du Nord, de 2005. Pour ce dernier épisode, l’acteur était déjà atteint d’un grave cancer de la gorge, aussi sa voix avait-elle été doublée par l’acteur belge Vincent Grass. J’avoue ne pas être très friand des séries télé, qu’elles soient françaises ou américaines, mais force est de reconnaître, qu’une fois qu’on tombait dessus, les intrigues feuilletonesques tirées de l’œuvre prolifique de Simenon se suivaient avec un certain plaisir, nous plongeant en tout cas nettement moins dans les stases cathodiques soporifiques de son collègue l’inspecteur Derrick ! Pour incarner le commissaire Jules Maigret, après le mémorable Jean Richard, Bruno Cremer était parfait. Très bon dans les silences, cet acteur excellait à exprimer, derrière un physique imposant voire bourru, une pensée en marche, travaillant « à l’instinct » pour essayer de dénouer, pas à pas, les fils d’une enquête policière. Puis Cremer avait bien saisi que, sous l’aspect d’homme fort taillé d’un bloc, son personnage ne manquait pas de compassion envers, bien sûr, les victimes, mais aussi les assassins ; Maigret, avec ses inquiétudes, n’étant point insensible aux affres de la nature humaine. Dans Maigret tend un piège (1996, série TV, de J. Herz), le policier ne déclarait-il pas au coupable - « Pour moi, vous restez un être humain. Ne comprenez-vous pas que c’est justement ce que je cherche à faire jaillir chez vous : la petite étincelle humaine ? » Bref, pour camper Maigret, Bruno Cremer avait vraiment le physique de l’emploi et c’est certainement en pensant à lui en tant que « taiseux » dans le rôle de Maigret (plus d’une cinquantaine de téléfilms tournés entre 1991 et 2005) que José Giovanni l’avait imaginé pour jouer son propre père dans le Paris des années 40 : « Il avait dans le cœur des jardins introuvables », entend-on dans Mon père, un film à la trame autobiographique. Pour ce long métrage produit par Alain Sarde, l’acteur avait obtenu en 2001 le Prix (mérité) du meilleur comédien au Festival d’action et d’aventure de Valenciennes.

Dans son livre autobiographique sorti en 2000 (Un certain jeune homme), Bruno Cremer avait confié que très tôt le métier de comédien l’avait appelé, « Ca m’a pris à 12 ans, cette porte de sortie m’a sauvé la vie. Sans cela, je ne sais pas ce que j’aurais fait. » Après ses études secondaires, il prend des cours au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, il y côtoie notamment Jean-Paul Belmondo puis, suivant un parcours classique de comédien attiré par le 7e art, il commence en montant sur les planches, dans des pièces de Shakespeare, Wilde et Anouilh, avant de lorgner rapidement vers le cinéma. C’est avec La 317e Section (1964), un film sans concession sur la guerre d’Indochine signé Pierre Schœndœrffer, qu’il se fait vraiment remarquer. Aux côtés de Jacques Perrin interprétant le jeune sous-lieutenant Torrens, Bruno Cremer incarne l’adjudant Willsdorff, à savoir un dur à cuire qui, avec ses principes, allie au climat oppressant du conflit militaire la guerre des nerfs ; en 2006, Florent Emilio Siri s’inspirera très largement de cette trame d’un jeune opposé à un vieux briscard avec son film L’Ennemi intime, traitant cette fois-ci de la guerre d’Algérie. Aimant les récits militaires, les films politiques et les personnages qui n’ont pas froid aux yeux, Cremer incarnera le colonel Rol-Tanguy, chef de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, dans Paris brûle-t-il (1966) de René Clément et il interprétera le rôle de « l’épervier », ennemi public n°1 face à Roger Pilard (Bébel), dit l’Alpagueur, dans le film éponyme (1976) de Labro. Ayant quelques cinéastes de prédilection (Yves Boisset, Jean-Claude Brisseau), Bruno Cremer a su évoluer dans un cinéma populaire tout en étant demandé par le cinéma d’auteur, tant en France (Les Gauloises bleues (1968) de Michel Cournot, Le Viol (1968) de Jacques Doniol-Valcroze, La Chair de l’orchidée (1975) de Patrice Chéreau, Une histoire simple (1978) de Claude Sautet) qu’à l’étranger : on a pu le voir tout autant dans une adaptation littéraire (L’Etranger, 1967, de Luchino Visconti) que dans un film d’aventures gros calibre : le très bon, et angoissant, Convoi de la peur (1977), remake américain, signé William Friedkin, du Salaire de la peur (1953) de Clouzot.

Enfin, précisons que Bruno Cremer, à côté du « père tranquille » Maigret, a su endosser des rôles plus risqués, pouvant être sujets à polémiques, voire aux malentendus. On se souvient encore de son rôle de « gay mondain », amateur d’art, dans Tenue de soirée (1986) de Bertrand Blier, mis en musique par Gainsbarre : le fougueux Depardieu veut lui livrer Michel Blanc ! Et dans Noce blanche (1989) du cinéaste controversé Jean-Claude Brisseau, avec qui il a également tourné Un Jeu brutal (1983) et De Bruit et de fureur (1988), il incarne brillamment, au sein d’un sujet sociétal tabou, un certain François Hainaut : un professeur de philosophie tombant sous le charme de Mathilde, une jeune élève de Terminale alors âgée de 17 ans. Cette histoire d’amour impossible, confrontant les feux de la passion au cadre institutionnel, et légal, finit en tragédie : la jeune fille se suicide, laissant le professeur face à ses doutes, fragilités et tourments intérieurs. La lycéenne, juste avant de se laisser mourir, lui écrit : « L’océan, François, il y a l’océan… ». Puis le film, qui a été rediffusé lundi soir sur France 3 en hommage à l’acteur, finit sur une plage ensoleillée. François Ozon, avec son beau Sous le sable (2000), saura se souvenir de cette plage de solitude infinie lorsqu’il racontera l’histoire d’un homme mystérieux qui disparaît subitement, sur une plage des Landes, sans laisser aucune trace. Bruno Cremer, qui vient de disparaître, nous laisse, lui, la trace de ses nombreux films (près de soixante-dix) ainsi que l’image d’un acteur populaire habité par une belle humanité. Précisons que, ce mercredi 11 août, la chaîne Paris Première lui rend hommage en diffusant à 22h35 La 317e Section.

* Photo de l’auteur (polaroid, portrait de Bruno Cremer, Paris, février 2001). 



10 réactions


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 11 août 2010 10:34

    Bonjour,

    Il est mort, lui, qui a déshabillé Vanessa Paradis 17 ans tout le long de ce film sans autre alibi, hé bien ce soir, je vais reprendre deux fois des pâtes.


  • LE CHAT LE CHAT 11 août 2010 10:45

    encore une gueule du cinoche à la française qui disparait ! excellent dans la 317e section  !


  • Germain de Colandon Germain de Colandon 11 août 2010 11:00

    Que vient faire dans cet intéressant article vantant les monstres sacrés Cremer et Noiret, un Jean Reno qui donne toujours l’impression de ne pas savoir s’il mange bien au bon ratelier ?
    GdC
    http://lecaennaisdechaine.over-blog.com/


  • Georges Yang 11 août 2010 11:16

    Bruno Cremer, c’est avant tout la 317 eme section> Maigret, c’est un peu Dierick, on s’en lasse
    Noces Blanches, c’est suffisamment immoral pour etre interessant


  • kitamissa kitamissa 11 août 2010 11:37

    comme beaucoup,c’est effectivement« la 317 eme section » qui nous a fait vraiment découvrir Bruno Cremer dans un rôle taillé à sa mesure ...

    dans la vie,un type sympa,abordable,simple et bon vivant qui ne se la pétait pas ..

    bref,le mec qu’on aime bien et qu’on respecte .


  • SALOMON2345 11 août 2010 12:30

    Le comparer à Derik est osé - me semble t-il - car si l’un endort, l’autre repose, ce qui n’est pas identique.
    IL repose car il est rassurant et loin de l’agitation contemporaine et sert des textes (Simenon) qui ont de l’épaisseur...comme lui, épaisseur au sens de « profondeur » et non de « lourdeur » et comme il est dit : « il ne se la pète pas » ce qui le rend accessible donc populaire donc, donc, donc, différent des « glumeux » qui eux se la joue et sont photographiés dans toute la presse people, toujours à l’affut de micros et caméras et dont les « état d’âme » font « l’actualité » chez les ménagères de moins de 50 ans !
    Mais ce n’est là que mon point de vue : bienvenue aux autres !....


  • COVADONGA722 COVADONGA722 15 août 2010 20:07

    le lieut puis l’adjudant yep la 317e section ne répond plus....


    aux anciens....


  • DESPERADO 15 août 2010 23:24

    Il a réalisé l’exploit, de remplacer Jean Richard dans le coeur des amoureux de Simenon, dont je suis.

    Au revoir Mr Cremer

Réagir