lundi 1er février 2010 - par Sandro Ferretti

Buzy revient nous chercher

C’est une frangine qu’on avait laissée en périphérie de la mémoire, rangée dans le tiroir de nos jeunesses disparues, du moins pour ceux qui vivent en banlieue de la cinquantaine. Abandonnée sur le parking des années 80, parce qu’on avait pas vu le panneau, les yeux toujours rivés sur la ligne blanche. On la croyait morte d’une overdose de sax’aphone bluesy, ou partie en Toscane compter les cyprès avec un bassiste bas de plafond. Pas du tout. Buzy revient nous chercher, sans faire de bruit. Je ne sais pas vous, mais moi, il y avait longtemps (depuis Patti Smith, Emilou Harris et Valérie Lagrange), que je n’avais pas appuyé sur « play » avec une fille dans le CD. On était trop occupé, on avait oublié Buzy. Elle remonte à la surface comme une perle rare pêchée en eaux troubles.

Flash back. Années 81-85. Comme un ouragan, ou une Jeanne Mas qui serait dotée d’un cerveau, arrivait alors une fille à la jolie frimousse, concentré de féminité monté sur un cerveau de mec, terminé de Santiag sous le jean prometteur. Quelques tubes : « Dyslexique », « Adrénaline », « Insomnies », « Body physical  ». De son vrai nom Marie-Claire Girod, née en 57, comme le numéro du département de sa naissance. Un peu à part, déjà. Entière.
Etudes de médecine et de lettres. Un cerveau alerte, une dégaine rock, sans trop de roll. Déjà un je ne sais quoi, des dessous chic. Comme une frangine de Bashung.
 
Oui, je me souviens, maintenant que vous me le dites. Une fille qui brillait comme un diamant : impertinente, insaisissable, animale. Une sorte de Christine Boisson dans « Extérieur nuit », sa tache dans l’œil gauche et son perfecto ouvert, à l’arrière des taxis, sur des avis de tempêtes et de grosses tornades. Le genre de filles qui sentent les ennuis à plein nez, des chattes à la griffe rapide, des félines avec des fêlures qui les ont un peu fêlées. Des sensuelles sans suite, mais avec de la suite dans les idées.
 
Et Buzy en a eu, de la persévérance. Le succès précoce de Body physical et Adrenaline ont failli la tuer dans l’œuf du serpent show biz : elle aussi a failli mourir de soif dans le désert de Gaby. Tout de même, on notait déjà qu’un certain Gainsbourg lui avait écrit des textes, ce qu’il ne faisait jamais en dehors de ses compagnes attitrées.
 
Elle continuait cahin-caha ses bonnes fréquentations, en reprenant un peu d’essence à la station services de routes désertiques. (« Keep cool », « Le ciel est rouge », « up and down », et enfin « Délit » en 2000).Mais il ne passait pas beaucoup de voitures, en tous cas plus de limousines, plus question de frimer à l’arrière des berlines.
 
Puis, en 2004, elle prit sa plume pour livrer une autobiographie (« Engrenages ») saluée par la critique. Pour ceux qui la suivaient toujours, elle prenait de l’épaisseur.
 
Et puis voilà, Buzy revient. Enfin, c’est une façon de parler. Si vous la croisez, évitez de lui dire ça, parce qu’elle vous répondra qu’elle n’est jamais partie, elle. Qu’elle continuait à chanter dans le désert des Tartares. Que c’est nous qui sommes partis, tels des moustiques attirés par la lampe, vers des mirages qu’avaient la cuisse plus longue ou l’octave plus haut perché.
 
Buzy revient sans faire de bruit, donc. Sans « Buzz » médiatique, juste un piano, une guitare et c’est tout. Et il y a du beau monde autour. Gérard Manset d’abord, l’icône classieuse et vénéneuse qui survit encore dans le paysage aride de la chanson française, à présent que la camarde s’est bien servie des morceaux de choix.
Et puis plein de scories récemment tombées de la planète Bashung, et qui erraient, sidérées, dans le vide sidéral de son absence. Rodolphe Burger pour la musique. Yan Péchin, guitariste échevelé, « plein phares » et mirifique. A l’écritoire, Jean Fauque, alias « Janot », obsédé textuel, magicien d’Oz laboureur de la macédoine du « Bash ».
De telles fées autour du berceau, ça ne peut pas être un hasard. Ils ne peuvent pas être tous tombés amoureux en même temps, tout de même.
 
L’album s’appelle « au bon endroit, au bon moment ».On ne saurait mieux dire. Buzy nous susurre 10 morceaux luxueux, lucides, et nous emmène à la messe païenne, de sa voix désormais plus grave. Parce que, pour les survivants du demi-siècle, les années portent plutôt à la gravité. Mais vous êtes déjà au courant de l’affaire, j’en suis sûr…
 
La pochette est superbe. Cette terrienne aquatique, nageuse en eaux troubles, y apparaît un pied nu et l’autre dans un escarpin. Elle a conservé le jean moulant pour le clin d’œil aux années qui sont allées se noyer au fond du lac.
Et il y a aussi un embarcadère, comme une invite.
Oui, il faut écouter Buzy, tant qu’il y en a.
 
 
 
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-Buzy, « Au bon endroit, au bon moment », chez MVS Records, à paraître le 20/02/2010
-Crédit photo : galerie Borderline. La photo de buzy sur le ponton est de Muriel Despiau
 


27 réactions


  • Fergus Fergus 1er février 2010 10:37

    Bonjour, Sandro, et merci pour ce très bel article qui donne envie d’écouter ce CD d’une personne dont j’ignorais totalement l’existence.

    Pour peu que le contenu en soit aussi séduisant que ce texte, c’est la garantie d’un moment de plaisir.


  • jakback jakback 1er février 2010 10:41

    Merci Sandro, je l’aie aimée, puis oubliée, comme beaucoup, ce n’est pas une excuse, juste un triste constat


  • Sandro Ferretti SANDRO 1er février 2010 10:50

    On peut en savoir plus ici :

    http://www.buzy.net/

    Ou encore ici :

    http://www.myspace.com/mcbuzy
    Pour les plus jeunes ou les amnésiques, quelques photos de la miss à ses débuts :

    http://images.google.be/images?hl=fr&source=hp&q=BUZY&lr=lang_fr&oq=&um=1&ie=UTF-8&ei=SaNmS8DAIpCRjAeAuKWSBw&sa=X&oi=image_result_group&ct=title&resnum=13&ved=0CEIQsAQwDA

    Voilà, fin de la séquence nostalgie.
    C’est une brune qui ne compte pas pour des prunes, elle navigue à cent mille lieues au dessus des star-aceuses escroqueuses...


  • Sandro Ferretti SANDRO 1er février 2010 11:03

    Petite précision / erratum pour la rédaction d’Avox :
    Le crédit photo de celle de l’album (en vignette) est de Muriel Despiau.
    Oubli réparé.

    Par ailleurs, la voici ici, sous un cadrage différent :


    http://c2.ac-images.myspacecdn.com/images02/135/l_e8979b2c51f945bc94b9ca602598b57d. jpg
    Superbe.


  • Sandro Ferretti SANDRO 1er février 2010 13:36

    Ouais, Furtif.
    Des filles comme ça, ça devrait étre interdit à la circulation.
    Trop d’accidents.
    Ou alors, avec un permis spécial, peut être...


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 1er février 2010 14:44

    Marrant que quand Sandro nous fait une livraison comme c ’est toujours trop court ....


  • Laminak 1er février 2010 16:38

    Je suis allé au nord je suis allé au sud, je suis allé a l’est je suis allé a l’oueeeeeest.
    Et j’ai rarement vu un aussi beau texte.
    Je ne connais pas buzy, mais a peu pres toutes les citations.
    Merci.
    Je reparerais cet oubli prochainement.
    Je n’achete que des Cd et fais rarement des copies, donc des que je le trouve.
    Tsss. Faut plus me la faire !
    Lami.


    • norbert gabriel norbert gabriel 1er février 2010 23:22

      Tiens j’ai croisé Valérie Lagrange récemment, toujours aussi lumineuse, ses premiers albums ont été presque tous réédités, avec cette merveille « la chanson de Tessa » dans la version originale de 1965 ou 66, avec Jean Pierre Kalfon (qui était l’initiateur de cette version, reprise telle quelle avec Benjamin Biolay dans l’album « Fleuve Congo »)

      Et Buzy était chez Levaillant "sous les étoiles, France Inter il y a 2 ou 3 jours...


  • Yohan Yohan 1er février 2010 19:23

    salut Sandro
    C’est bien de parler de ceux qui n’ont pas les faveurs du poste...
    Perso, ce n’est pas ce que je préfère en musique, mais...il en faut pour tout le monde


  • snoopy86 1er février 2010 23:36

    Salut Sandro

    Je suis comme Yohan....

    C’est pas ma musique et j’aime mieux tes histoires de malfrats depressifs...

    Honnêtement j’aimais bien Valérie Lagrange mais pas tellement pour sa voix....

    Tu es autorisé à aller fouiller dans ta cave, il faut faire de la place pour le 2009


  • Sandro Ferretti SANDRO 2 février 2010 09:47

    Bof.. dégôuts et couleurs...
    Pour Snoopy : j’ai déjà suivi ton conseil oenologique avec cet article.
    La re-découverte de Buzy, disons que c’est ma contribution aux vendanges tardives...


  • Volontaire Volontaire 2 février 2010 21:19

    Merci Sandro pour ce bel article sur une artiste à (re)découvrir, et merci aussi pour l’information,en attendant de trouver le CD, je m’en vais de ce pas postcaster l’interview de Buzy la chasseresse, sous les étoiles de Levaillant, exactement, juste en dessous.


  • Sandro Ferretti SANDRO 3 février 2010 11:00

    Merci Volontaire.
    On peut aussi voir une belle interview avec quelques extraits « live » de l’album ici :

    http://www.vimeo.com/8860798


  • snoopy86 4 février 2010 16:53

    Salut Sandro

    Elle m’est venue sur la route de Biarritz en partant acheter quelques cartouches pour Tony...

    Buzy, Buzy, il voulait sans doute dire Bouzy smiley


  • Reinette Reinette 7 février 2010 02:22


    bonsoir, bonjour, enfin salut

    SI Buzy revient nous chercher - elle va nous trouver, je l’espère ! hein les gars smiley
     

    rare apparition de Manset, timide le garçon : le voici en 1983 (dans un train, lui aussi smiley

    http://www.dailymotion.com/video/x6liaj_gerard-manset-1983_music


  • Reinette Reinette 7 février 2010 15:30


    concentré de féminité monté sur un cerveau de mec

    c’est à dire ?


    • Sandro Ferretti SANDRO 7 février 2010 17:03

      Ben , ça me parait clair.
      Un contraste ( comme chez l’actrice Christine Boisson, à qui elle ressemble pas mal, je trouve, je les ai toujours un peu associées) entre une grande féminité corporelle et de gestuelle, et un humour, des textes , une vision de la vie plus masculins.
      C’est encore plus frappant à présent que la maturité lui a amené sinon un peu de noirceur, du moins beaucoup de réalisme.
      Pour bien connaitre Jean Fauque (voir mon article sur lui dans les archives), je sais qu’il n’aurait pas « perdu ses vers » pour quelqu’un qui n’en vaudrait pas la peine, qui ne serait pas « couillu », ma chère Reinette, puisqu’il faut absolument vous décrypter les choses.


    • COLRE COLRE 7 février 2010 17:36

      « quelqu’un qui n’en vaudrait pas la peine, qui ne serait pas »couillu« ... 
      Mon cher Sandro, c’est donc là que vous situez un »cerveau de mec"... ? smiley


    • Sandro Ferretti SANDRO 7 février 2010 17:44

      Le mieux, c’est encore d’écouter l’interview que j’ai mis en ligne trois post plus haut, pour se faire une idée.
      Car pour le reste, comme dit Jean Fauque :

      « Les paroles en l’air
      Ca me sidère
      Ca me scie
      Les paroles en mer
      Font des croisières Ca me scie,ça me scie. »
      (Bashung/ Fausue, « les lendemains qui tuent »)


    • Reinette Reinette 7 février 2010 18:02


       smiley smiley smiley

      mais quelle est la définition de « couillu » ? (pas trouver dans dico argot)

      - je viens de demander à quelques copains, 2 réponses :

      1) être chanceux
      2) être courageux (la version de Sandro)

      donc être courageux c’est avoir des couilles ?  smiley smiley smiley j’me marre (gentiment)

      Salut COLRE  smiley




    • steve steve 7 février 2010 23:25

      Dite donc, les nanas ... si vous voulez continuer à nous couillonner, faut nous laisser croire qu’on est le sexe fort, non ?

      bon alors, coucouche panier, c’est moi le chef ! smiley

    • Reinette Reinette 8 février 2010 18:20


      ok Steeve... t’es couillu smiley smiley smiley


      André sait toujours trouver le mot de la fin.



  • Michel Frontère Michel Frontère 7 février 2010 16:54

    Merci de nous parler de Buzy ce qui me rappelle des souvenirs dans la Nièvre où j’ai connu, pour des raisons professionnelles, sa Maman, directrice d’école ; je me souviens de sa fierté (il y avait de quoi) quand elle m’avait annoncé que sa fille travaillait avec Serge Gainsbourg.

    Mais enfin aujourd’hui, vous annoncez un album auquel auraient participé Jean Fauque, Rodolphe Burger, Yann Péchin, Gérard Manset, alors pour le coup, oui, je suis « scotché » et j’attends cela avec impatience.


    • Sandro Ferretti SANDRO 7 février 2010 18:00

      Si vous étes sensible à la petite musique des mots et des maux de Jean Fauque , le « déchanteur », sachez qu’outre Buzzy, il a livré des textes pour le dernier album de Dany (qui cependant, je l’admets, est moins dans mon univers).
      Et surtout, il travaille à la parution de son prochain album comme auteur/ compositeur/interprète ( une suite à l’album « 13 Aurores ») , qui devrait sortir en mai/ juin, hopefully.


  • apopi apopi 8 février 2010 01:14

    Mmmm Buzy, souvenirs souvenirs d’une époque que j’ai adoré et pas que pour la musique. N’oublions pas non plus Elisa Point, 12°5, Juliette ( l’égérie de Mirways, pas l’enrobée pour rester poli ) et cerise sur le gâteau, Autour de Lucie, et pardon à toutes celles que j’oublie. Merci pour cet article qui m’a donné envie d’aller fouiner dans mes 33 tours.


  • adrian 22 février 2010 15:56

     cet article est superbement bien écrit il m a beaucoup touchée

    Adrian

    • Sandro Ferretti SANDRO 5 mars 2010 17:07

      Merci, merci.
      J’ai vu qu’il a plû aussi a Buzy, puisqu’il a été mis sur son site et son « My Space ».
      Mais sans citer « Sandro », l’auteur.
      Pas bien, ça....


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