mercredi 26 juillet 2017 - par

Ces sales menteurs d’écrivains

Une jeune fille me l'a confié il y a quelques temps avec beaucoup de sincèrité. Elle ne comprenait pas comment on pouvait aimer les livres de fiction alors que les écrivains n'y racontaient pas des choses vraies. Elle, elle aimait les livres n'évoquant que le réel. Qu'une petite comme elle dise cela est on ne plus excusable. C'était dit dans l'idée que les écrivains ne sont que de sales menteurs qui racontent des histoires. C'était prononcé dans un souci d'intégrité candide après avoir dû lire en classe un livre de Ray Bradbury.

Par contre, quand ce sont des adultes réputés raisonnables (Nota Bene : je ne peux rédiger cette phrase sans sombrer dans un fou rire immédiat, la plupart des adultes étant tout sauf raisonnables), majeurs et vaccinés, c'est beaucoup plus insupportable, toujours à la limite du grotesque. Cela relève aussi du complexe culturel, on sait que l'on est inculte donc on se justifie en arguant que de toute manière la fiction n'est que superficialité. Cela montre également que la fiction littéraire, le romanesque sont toujours et encore considérés comme du superflu, de l'inutile, du facile.

On la tolère pour se divertir à la rigueur, mais la fiction présente un risque intolérable. Elle incite le lecteur à se poser des questions sur sa vie, la société, le monde, ses joies, ses tristesses. Elle l'encourage à penser par lui-même après que des auteurs lui ait ouvert des univers entiers sous ses yeux, l'ait fait rêver, imaginer, frémir ou rire.

Je me rappelle particulièrement entre autres imbéciles de cet idiot pontifiant qui me balança un jour qu'il ne lisait pas de romans mais seulement des livres sérieux. Comme si la littérature ce n'était pas sérieux. Je lui avais demandé par curiosité ce qu'il aimait. Il me cita Frédéric Lenoir, Paulo Coehlo et Bernard Werber, trois donneurs de leçons confits dans le même genre de syncrétisme débile. Et des biographies de « genbiens » selon son terme. Sinon, Lenoir, Coehlo, Werber, ce n'était que du sérieux, que du lourd, du profond en effet ! Heureusement que le ridicule ne tue, ce triste sire eût été foudroyé dans la seconde. Il est certain que cela causerait une belle hécatombe...

….il faut dire que les imbéciles sont légions et que la pseudo-gravité fait leur bonheur.

La fiction serait l'apanage de bobos parisiens frustrés d'espace et d'authenticité, coincés dans leurs minuscules appartements. Ils trouveraient dans les livres l'évasion qu'ils ne pourraient atteindre dans la réalité. Ce serait pervers, une manière de refuser une vie réputée plus simple en la compliquant virtuellement plus que de raison, une manière de pervertir. Il n'y a pas que les anciens staliniens qui étaient adeptes du fameux « réalisme soviétique », la plupart des régimes totalitaires adorent, les nostalgiques de droite comme de gauche du pétanisme rural à la « Goupi main-rouges » ou « la terre qui meurt » de René Bazin.

L'écrivain est censé ne parler et n'écrire que sur les sujets qu'il connaît. Mais si tout le monde procédait ainsi est-ce qu'Emmanuel Macron parlerait des pauvres ? Est-ce que Claude Lelouch ferait des films ? Est-ce que Marlène Schiappa parlerait de culture ? Simenon n'avait pas mis les pieds une seule fois à Paris lorsqu'il écrit les premiers « Maigret » et pourtant le lecteur perçoit une atmosphère plus vraie que nature. Proust décrit la passion amoureuse envers une femme avec une intensité et un génie remarquables alors qu'homosexuel. Je ne parle même pas de Chardonne, réac, écrivain « infréquentable » en nos temps si policés et si fin dans ses portraits de femme, beaucoup plus que nombre de féministes revendiquées.

Ce lieu commun on le voit est donc parfaitement stupide...

On me rétorquera que les auteurs pratiquant l'autofiction paraissent en être convaincus. Leurs livres se déroulent entre le Vème et le VIème arrondissements parisiens, l'ailleurs extérieur suppose un genre de safari. On n'y rencontre aucun ouvrier, chômeur ou Rmiste...

Tout autant que celui qui voudrait qu'un auteur intéressant soit forcément « maudit » et qu'il crève de faim dans un mansarde crasseuse. Un auteur qui réussit socialement, qui vit de sa plume, ne peut pas bien écrire, ce n'est pas possible. Cela ne fait certes pas de tous les écrivains mondains, et il en est beaucoup, des nouveaux Chateaubriand, ou Flaubert. Pointer au « Flore » ne suffit pas...

Tant qu'il y aura encore de ces sales menteurs d'écrivains en liberté les puissants, les grands de ce monde, les gourous abrutis et les coachs de vie autoproclamés ne se sentiront pas tranquilles. Et c'est tryès bien comme ça. Cela ne va peut-être pas durer, profitons en pour continuer à lire.

Sic Transit Gloria Mundi, Amen

Amaury – Grandgil

illustration (photo extrait de la très bonne biographie de Dalton Trumbo)

empruntée ici




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