« Che, Guerilla » ou la chronique d’un échec et d’une mort annoncés
J’ai vu Guerilla / Che : Part Two en salle, et force est de reconnaître qu’il est nettement mieux que le 1ier (L’Argentin / Che : Part One) avec lequel, il faut bien l’avouer, je n’avais pas été bien tendre*.
Alors attention, contrairement à une certaine presse unanimiste, qui semble prendre plaisir à écrire des phrases toutes faites, livrées clés en main pour alimenter, semble-t-il, une affiche-vitrine à venir (« un grand film épique à la hauteur du mythe », « un Benicio Del Toro hallucinant d’intensité », « ce « Che » crève l’écran » et ainsi de suite), je ne crie pas au chef-d’œuvre non plus (on n’atteint jamais le chant épique et la trivialité majestueuse d’un Il était une fois
Soderbergh fait ici ce qu’il ne faisait pas dans le premier : plutôt que de vouloir ratisser large en cherchant à faire un biopic kaléidoscopique qui viendrait raconter didactiquement, de A à Z, la destinée du Che, il opère des choix scénaristiques qui s’avèrent judicieux, ça contribue à dynamiser son film et à le rendre tendu de bout en bout. Autant on s’ennuyait dans la jungle cubaine du Che 1, autant, dans ce Che 2, le cinéaste parvient à nous immerger illico presto dans le combat des guérilleros au sein de la montagne bolivienne. Ici, son style enchante davantage, on en repère moins les tics, la musique répétitive, les facilités ; son lyrisme désenchanté, voire crépusculaire (teintes gris-bleu des sous-bois et paysages-mélasses), entre en harmonie avec cette impression d’ensemble, funeste et limite asphyxiante, que l’étau se resserre sans cesse autour d’un Che aux abois. Habilement, Soderbergh choisit une tranche de vie, un segment du parcours du Che (son combat clandestin en Bolivie, à la tête d’un petit groupe, pour orchestrer la révolution latino-américaine) ayant valeur de métonymie, et ça marche. Le 1ier confondait quantité et qualité (le réalisateur mixait les débuts de la lutte armée cubaine dans
C’est un film qui, à l’instar de l’ultime combat du Che, court à sa propre perte, il « fait corps et âme » avec un Che se jetant à corps perdu dans une fuite en avant, la puissance des idéaux de l’homme révolutionnaire jusqu’au-boutiste (le Che a foi en L’Homme) venant bientôt se coltiner au fracas du réel et de l’humain trop humain (corruptions, misères, violences, trahisons, lâchetés, abandons, mensonges d’Etat du Président Barrientos). Et c’est assez beau, selon moi, de voir un film hollywoodien qui, à l’instar du Zodiac de Fincher narrant la filature d’un serial killer qui s’achevait en eau de boudin, dépense une telle énergie à montrer un combat qui piétine et qui échoue : de la lutte à la poisse du rétropédalage via le pétard mouillé de combats perdus d’avance, car la lutte est inégale - le Che hirsute et ses hommes des bois, bientôt exténués par la faim et les maladies sylvestres, n’ont pas le soutien du PC bolivien, en prime ils doivent affronter une armée bolivienne, surarmée, ayant certainement l’aide souterraine de
Pour autant, et je dirai que toute la force du volet 2 vient de là (du 4 sur 5 pour moi, étant persuadé que cette 2ème partie se suffisait à elle-même, sans avoir à passer par l’ennui des 2h05 du 1ier opus !), l’icône Che, à côté de sa défaite (et peut-être grâce à celle-ci), est on ne peut plus présente dans Guerilla. Et c’est de son absence même que naît toute sa puissance de pénétration dans nos consciences. C’est dans le cacher-montrer (il entre en Bolivie en étant masqué (postiche), il a un pseudo, il se réfugie dans la clandestinité pour préparer la révolution, son visage est mangé par sa barbe et ses cheveux boisés) qu’il parvient à se montrer tout-puissant. C’est un combattant de l’ombre. C’est dans le clair-obscur que ce « combattant clandestin » se révèle le plus fascinant, irréel et éternel. Il y a d’ailleurs à la fin une scène magnifique : le Che, épuisé, blessé, est fait prisonnier dans un baraquement. Il a les mains attachées. Un soldat bolivien entre alors pour faire sa garde, une discussion démarre sur fond de bouffées de cigarette (questions sur le communisme, les religions, la femme, les enfants…), puis soudain, le Che dit au geôlier : « Détache-moi ». Celui-ci, perplexe, sort alors de la cabane en jurant de ne plus jamais y entrer, craignant manifestement d’être aimanté par l’expression de l’âme de la révolution via les silences et la puissance de la parole du charismatique Che. Et c’est dans cette présence-absence du Comandante Che Guevara, qui nous est donné à voir « en creux » (regards entre chien et loup, non-dits qui en disent long), qu’on sent bel et bien toute la force de frappe et le pouvoir de fascination du Che ; on comprend mieux alors à un moment du film, sur un champ de bataille en cul-de-sac, le conseil du Che à l’un des hommes de son armée des ombres : « Pour triompher ici, il faut faire comme si on était déjà mort. » C’est bien connu, le mythe, entre référence et révérence, tire souvent profit de la chronique d’une mort annoncée.
* Cf. mon article Bienvenue chez le Che ? (AgoraVox)