lundi 2 février 2009 - par Vincent Delaury

« Che, Guerilla » ou la chronique d’un échec et d’une mort annoncés

J’ai vu Guerilla / Che : Part Two en salle, et force est de reconnaître qu’il est nettement mieux que le 1ier (L’Argentin / Che : Part One) avec lequel, il faut bien l’avouer, je n’avais pas été bien tendre*.

Alors attention, contrairement à une certaine presse unanimiste, qui semble prendre plaisir à écrire des phrases toutes faites, livrées clés en main pour alimenter, semble-t-il, une affiche-vitrine à venir (« un grand film épique à la hauteur du mythe », « un Benicio Del Toro hallucinant d’intensité », « ce « Che » crève l’écran » et ainsi de suite), je ne crie pas au chef-d’œuvre non plus (on n’atteint jamais le chant épique et la trivialité majestueuse d’un Il était une fois la Révolution par Sergio Leone), pour autant ce Guerilla me convainc nettement plus. Je trouve que son titre n’est point mensonger - il n’y a pas tromperie sur la « marchandise » - et que le cinéaste ne se perd pas en route : il reste fidèle à son idée-force : faire la chronique d’une mort annoncée. Bref, le vrai film de guérilla, c’est dans le deuxième qu’on le trouve. Dans le premier, tous les effets de rhétorique filmique racoleurs (caméra tremblée pour faire vrai, recadrages multiples, jump-cuts, flash-back et flash-forward en veux-tu en voilà) avaient tendance à diluer le propos du film - le tropisme révolutionnaire - dans un tout composite qui faisait primer le touristique sur le politique (on surfait plus qu’on n’entrait dans le désir de révolution, de l’intérieur), alors qu’avec cet opus n°2, on entre dans le vif du sujet pour ne plus jamais en sortir, jusqu’à la fin, inéluctable : la mort d’Ernesto Guevara, le nez dans la poussière.

Soderbergh fait ici ce qu’il ne faisait pas dans le premier : plutôt que de vouloir ratisser large en cherchant à faire un biopic kaléidoscopique qui viendrait raconter didactiquement, de A à Z, la destinée du Che, il opère des choix scénaristiques qui s’avèrent judicieux, ça contribue à dynamiser son film et à le rendre tendu de bout en bout. Autant on s’ennuyait dans la jungle cubaine du Che 1, autant, dans ce Che 2, le cinéaste parvient à nous immerger illico presto dans le combat des guérilleros au sein de la montagne bolivienne. Ici, son style enchante davantage, on en repère moins les tics, la musique répétitive, les facilités ; son lyrisme désenchanté, voire crépusculaire (teintes gris-bleu des sous-bois et paysages-mélasses), entre en harmonie avec cette impression d’ensemble, funeste et limite asphyxiante, que l’étau se resserre sans cesse autour d’un Che aux abois. Habilement, Soderbergh choisit une tranche de vie, un segment du parcours du Che (son combat clandestin en Bolivie, à la tête d’un petit groupe, pour orchestrer la révolution latino-américaine) ayant valeur de métonymie, et ça marche. Le 1ier confondait quantité et qualité (le réalisateur mixait les débuts de la lutte armée cubaine dans la Sierra Maestra (1956) jusqu’à la marche sur la Havane de 1959, avec la rencontre du Che à Mexico avec Castro (1955) et la visite du Che à New York en 1964), alors que le 2ième tire sa force de son caractère elliptique : less is more. Exit les expéditions de Guevara au Venezuela et au Congo, le récit se recentre, dans Guerilla, sur l’aventure forestière en Bolivie (au sein du maquis), même si en creux, au passage, il n’oublie pas d’évoquer les autres tentatives révolutionnaires, et extra-cubaines, du Che, contre l’impérialisme américain et ses avatars. Alors que le 1ier était l’histoire d’une réussite, le deuxième, selon la bonne vieille méthode de la thèse/antithèse/synthèse, est l’histoire d’un fiasco.

C’est un film qui, à l’instar de l’ultime combat du Che, court à sa propre perte, il « fait corps et âme » avec un Che se jetant à corps perdu dans une fuite en avant, la puissance des idéaux de l’homme révolutionnaire jusqu’au-boutiste (le Che a foi en L’Homme) venant bientôt se coltiner au fracas du réel et de l’humain trop humain (corruptions, misères, violences, trahisons, lâchetés, abandons, mensonges d’Etat du Président Barrientos). Et c’est assez beau, selon moi, de voir un film hollywoodien qui, à l’instar du Zodiac de Fincher narrant la filature d’un serial killer qui s’achevait en eau de boudin, dépense une telle énergie à montrer un combat qui piétine et qui échoue : de la lutte à la poisse du rétropédalage via le pétard mouillé de combats perdus d’avance, car la lutte est inégale - le Che hirsute et ses hommes des bois, bientôt exténués par la faim et les maladies sylvestres, n’ont pas le soutien du PC bolivien, en prime ils doivent affronter une armée bolivienne, surarmée, ayant certainement l’aide souterraine de la CIA. Cette chronique filmique relatant le naufrage d’un homme s’inscrivant dans la ligne de mire d’un combat quasi « à l’aveugle » (manque de contacts extérieurs), ça va tellement à l’encontre de la plupart des films américains standards alimentés par la sacro-sainte réussite US tout terrain (puissance, richesse…) cherchant partout l’efficacité des winners et autres perfomers. On devine alors, et c’est tout à son honneur, que ça n’a pas dû être facile pour le cinéaste-scénariste de convaincre des producteurs de mettre en place un biopic n°2 relatant la dynamique d’un désastre de guérilla, ce volet n°2 misant moins sur le spectacle à tout prix (pétarades pyrotechniques à tous crins) que sur l’aspect politique et idéaliste, voire poétique, des choses. Ici, on y croit dur comme fer au combat donquichottesque du Che, et à sa passion pour l’idéal révolutionnaire et l’homme nouveau, enfin libre parce que non-exploité par l’homme. L’icône anticapitaliste du 1ier laisse place, dans le 2ème, à un homme-bête traqué, en état de menace permanente, c’est l’histoire d’un mort en sursis et de l’anéantissement d’une illusion.

Pour autant, et je dirai que toute la force du volet 2 vient de là (du 4 sur 5 pour moi, étant persuadé que cette 2ème partie se suffisait à elle-même, sans avoir à passer par l’ennui des 2h05 du 1ier opus !), l’icône Che, à côté de sa défaite (et peut-être grâce à celle-ci), est on ne peut plus présente dans Guerilla. Et c’est de son absence même que naît toute sa puissance de pénétration dans nos consciences. C’est dans le cacher-montrer (il entre en Bolivie en étant masqué (postiche), il a un pseudo, il se réfugie dans la clandestinité pour préparer la révolution, son visage est mangé par sa barbe et ses cheveux boisés) qu’il parvient à se montrer tout-puissant. C’est un combattant de l’ombre. C’est dans le clair-obscur que ce « combattant clandestin » se révèle le plus fascinant, irréel et éternel. Il y a d’ailleurs à la fin une scène magnifique : le Che, épuisé, blessé, est fait prisonnier dans un baraquement. Il a les mains attachées. Un soldat bolivien entre alors pour faire sa garde, une discussion démarre sur fond de bouffées de cigarette (questions sur le communisme, les religions, la femme, les enfants…), puis soudain, le Che dit au geôlier : « Détache-moi ». Celui-ci, perplexe, sort alors de la cabane en jurant de ne plus jamais y entrer, craignant manifestement d’être aimanté par l’expression de l’âme de la révolution via les silences et la puissance de la parole du charismatique Che. Et c’est dans cette présence-absence du Comandante Che Guevara, qui nous est donné à voir « en creux » (regards entre chien et loup, non-dits qui en disent long), qu’on sent bel et bien toute la force de frappe et le pouvoir de fascination du Che ; on comprend mieux alors à un moment du film, sur un champ de bataille en cul-de-sac, le conseil du Che à l’un des hommes de son armée des ombres : « Pour triompher ici, il faut faire comme si on était déjà mort. » C’est bien connu, le mythe, entre référence et révérence, tire souvent profit de la chronique d’une mort annoncée.


* Cf. mon article Bienvenue chez le Che ? (AgoraVox)



4 réactions


  • abdelkader17 2 février 2009 10:38

    J’ai commencé a regarder hier soir la première partie et au bout de dix minutes force et de constater qu’un profond ininterêt s’est installé.
    Méfiant de par nature de tout ce que les médias du mensonge officiel encensent, je ne suis donc point convaincu de la hauteur de ce film.
    Quoi de semblable avec le il était une fois la révolution de Leone formidable chef d’oeuvre
    sur la révolution Mexicaine, film que j’ai visionné a plusieurs reprises et qui reste pour moi avec la bataille d’alger une des plus belle fresque révolutionnaire de l’histoire du cinéma .
    Le talent conjugé d ’un Leone ou D’un pontecorvo avec celui de Moriccone n’a malheuresement aujourd’hui point d’égal.





  • homosapiens homosapiens 2 février 2009 22:33

    dommage ; l’acteur est super ; idéal pour se role, dans ses traits, dans son jeu d’acteur
    ......mais qu’est ce qu’on s’emmerde durant le film.

    ca donne pas envie de faire la révolution en tout cas...

    Dommage, par les temps qui courent un super film exaltant sur l’idéal révolutionnaire aurait put
    faire un carton. Loupé !


  • Jacinto Lopera 5 février 2009 22:45

    Au lieu d’aller voir le Che, et mettre un voile sur vos responsabilité, sur votre histoire resente, demandez pardon par vos crimes, qui sont nombreaux, Cetif, Paris 61, Ouvea 88, etc.
    Au lieu d’aller voir le Che, reflechisez, regardez vous même, vous que comme le Pinochet en Amérique Latine, vous et vos democratie on applique les même methodes, comme les militaires argentin, au Madagascar, vous jetiez les prisoniers de vos avions, pas sur l’ocean India, mais sur les villages de ses parents.
    N’oubliez pas, que là où vos compatriote sont allé, il n’ont fait que voler les richesses ; violes les peuples et tuer les cultures.
    Au lieu d’aller voir le Che, allez voir la Bataille d’Alger, film interdit en France jusqu’à la fin des années 60, regardez de film sur votre histoire VILENTE, SANGUINAIRE.


  • antireac 8 février 2009 15:18

    Ché

    Bourgeois qui a vécu dans une famille qui l’avait protégeait jusqu’à l’âge adulte 

    Il n’avait pendant toute sa vie rien compris au a la condition humaine

    Au pouvoir il n’hésita pas de faire fusiller des opposants au nouveau pouvoir (déjà)

    Piètre organisateur (dieu merci) il échoua partout il essaya d’organiser QUELQUE CHOSE

    Bref certains peuvent l’appeler non sans raison pauvre type

    C’est pour çà d’ailleurs que pas mal de gauchos le porte en effigie sur leur tee-shirt (tiens une invention américaine)


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