mardi 15 septembre 2020 - par Sylvain Rakotoarison

Claude Chabrol, explorateur des âmes obscures (1/2)

« La bêtise est infiniment plus fascinante que l’intelligence, infiniment plus profonde. L’intelligence a des limites, la bêtise n’en a pas. » (Claude Chabrol, 2010). Première partie.

Claude Chabrol

Le célèbre cinéaste Claude Chabrol est mort il y a dix ans, le 12 septembre 2010, chez lui à Paris, à l’âge de 80 ans (il est né le 24 juin 1930 également à Paris). Faisant partie de la fameuse Nouvelle vague du cinéma français (des réalisateurs initialement critiques de cinéma qui ont fait évoluer la manière de faire du cinéma en France), dans laquelle on peut mettre aussi François Truffaut, Jean-Luc Godard, Éric Rohmer, Jacques Rivette, etc. (il me semble d’ailleurs qu’il a tourné le premier film de cette "vague"), Claude Chabrol a été un homme aux mille et une idées, hyperactif et avec plein d’illuminations.

Un peu à l’allure d’un Alfred Hitchcock à la mode française (la Nouvelle vague vénérait Hitchcock et Chabrol aimait apparaître discrètement dans ses réalisations), Claude Chabrol a imposé un style, le style Chabrol, qui est difficile à définir en seulement quelques lignes. Même si les sujets peuvent être très différents, amenés par des manières diversifiées (parfois, on a dit que Chabrol évoluait vers plus commercial), le spectateur est souvent mal à l’aise en regardant un Chabrol, car au-delà du suspense, il y a un côté glauque et surtout, la "happy end" (désolé pour mon english) n’est pas certaine (même si, pour lui, la "happy end" relève avant tout de l’optimisme).

Et c’est même très difficile de déterminer ses meilleures œuvres, car de sa soixantaine de films (l’homme était très fécond), quasiment tous sont des chefs-d’œuvre ! D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la plupart des titres de ses œuvres sont archi-connus et à l’occasion, parodiés. Fils de résistant et pour cette raison, séparé de ses parents pour être protégé dans la Creuse, l’enfant Chabrol a été passionné par le cinéma dès le plus jeune âge. Après des études de droit (en même temps que Jean-Marie Le Pen) et de pharmacie (qu’il n’a pas terminées), il se tourna vers la critique de cinéma et publia avec Rohmer en 1957 un livre sur Hitchcock.

Après une donation du père de sa première épouse, Claude Chabrol a eu les capacités financières de créer sa boîte de production. C’était donc un moyen exceptionnel d’avoir une totale indépendance artistique pour réaliser ses premiers films (cette indépendance a lieu généralement après des premiers succès, pas dès le départ), ce qui permettait de faire des "films d’auteur" pas forcément nourris aux normes classiques du succès commercial. Cela a donné naissance notamment à son premier film, "Le Beau Serge".

Chabrol a eu plusieurs femmes dans sa vie (trois épouses) mais probablement que le lien le plus fort fut avec sa deuxième épouse, Stéphane Audran qui fut l’une de ses égéries dans beaucoup de ses films, l’autre égérie étant Isabelle Huppert un peu plus tard (une quinzaine d’années plus tard). Au-delà de ces deux actrices phares du cinéma de Chabrol, les acteurs récurrents de ses films furent notamment Bernadette Lafont, Michel Bouquet, Jean-Pierre Cassel, Jean Yanne, Jean Poiret, Jean-François Balmer, Robin Renucci, Philippe Noiret, Pierre-François Duméniaud, Roger Dumas, etc. Gérard Depardieu n’a tourné pour Chabrol qu’une seule fois, à son dernier film ("Bellamy"). Dans plusieurs films, Claude Zidi a collaboré avec Chabrol comme cadreur.

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Chabrol a légué toutes ses archives à la Cinémathèque française qui a déjà fait des rétrospectives de son œuvre, au même titre que la chaîne Arte. Cette œuvre est riche et dense, parfois étonnante autant que détonante, et fera sans doute parler d’elle encore longtemps dans des études et autres analyses. Chabrol, lui, a été récompensé par de nombreuses instances, dont l’Académie française. Ses films ont eu parfois un "faible" succès commercial (50 000 entrées), d’autres entre 1 et 2 millions d’entrées, mais jamais des très grands succès. Le 4 décembre 2007, Chabrol disait lors d’une rencontre avec son public : « J’aime le polar, c’est comme une bouée de sauvetage pour explorer l’humain. ».

Beaucoup de ses films sont une description sans complaisance de l’époque contemporaine (ou pas contemporaine), parfois avec de l’humour grinçant sous-jacent, l’observation du cynisme ambiant, la morale douteuse, l’insouciance, et, comme je l’ai écrit plus haut, le glauque, le mystère, le flou, l’ambiance malsaine… Bref, lorsqu’on dit qu’on va voir un film de Chabrol, c’est un choix conscient, pas forcément celui de passer une soirée simple et facile, mais peut-être celui d’être dérangé dans ses idées et principes. Claude Chabrol n’est pas si éloigné que cela des romans de Françoise Sagan qui a collaboré une fois avec le cinéaste (pour son "Landru").

Dans une analyse de quelques-uns des derniers films de Chabrol, Mehdi Benallal propose cette lecture : « C’est un secret trop bien gardé : Chabrol a été l’un des rares cinéastes contemporains pour qui la mise en scène est un absolu, mais pour qui l’absolu de la mise en scène, c’est son effacement devant la réalité. Cette ambition folle de faire triompher l’art en faisant disparaître l’artiste est l’un des plus précieux héritages de la Nouvelle vague, qui la tenait des grands classiques. Chabrol a passé le plus clair de son temps (…) à se détacher de l’histoire qu’il racontait pour se rapprocher de la réalité filmée. Et plus Chabrol faisait de films, plus sa mise en scène se sophistiquait, et plus la réalité qu’il décrivait se révélait riche, profonde et neuve. ».

Pour rendre hommage à Claude Chabrol, voici une petite vingtaine d’exemples (dix-huit) de son immense talent, en deux parties, par ordre chronologique, le Chabrol-Audran et dans le prochain article, le Chabrol-Huppert.



1. "Le Beau Serge" sorti le 10 janvier 1959

Avec Gérard Blain le beau Serge, Jean-Claude Brialy son ami, Bernadette Lafont, son ancienne relation, et aussi la participation de Philippe de Broca. À l’époque du tournage, Bernadette Lafont était encore mineure et en couple avec Gérard Blain.









2. "Les Bonnes Femmes" sorti le 22 avril 1960

L’histoire de quatre employées d’un magasin : Bernadette Lafont qui aime bien le flirt et la drague, Clotilde Joano qui rêve du prince charmant, Stéphane Audran qui se voit star du music-hall, et Lucile Saint-Simon qui voudrait se ranger. Avec aussi (dans des petits rôles) Claude Berri et Philippe Castelli. Répertoire général des films : « D’une excellente réalisation technique, ce film cerne avec une lenteur volontaire et pénétrante la psychologie de ces quatre jeunes filles, le néant de leur existence quotidienne, la vanité de leurs distractions, l’échec de leur recherche de l’amour. Suite de tableaux divers très alertement brossés, criants de vérité. » (3e trimestre 1960).






3. "Landru" sorti le 25 janvier 1963

Charles Denner a eu le premier rôle, celui de Landru lui-même, ce qui était un véritable défi avec une transformation plutôt réussie. Charles Denner joue aux côtés de Danielle Darrieux, Michèle Morgan et Stéphane Audran. Avec un scénario de Françoise Sagan et Claude Chabrol.






4. "Les Biches" sorti le 22 mars 1968

Histoire d’une relation très forte entre deux femmes, Stéphane Audran, la riche et oisive parisienne, et Jacqueline Sassard, la jeune bohème, sur fond de bourgeoisie tropézienne, et d’une relation bousculée par l’entrée en scène de l’amant, Jean-Louis Trintignant l’architecte. Le titre est un jeu de mot avec le mot lesbienne en allemand.






5. "La Femme infidèle" sorti le 22 janvier 1969

Le mari Michel Bouquet qui soupçonne que sa femme Stéphane Audran a un amant, Maurice Ronet, qu’il tue. Avec Michel Duchaussoy dans le rôle de l’inspecteur de police. Guillemette Odicino de "Télérama" : « Suspense feutré, cruauté et humour noir en twin-set et flanelle. Le si classique triangle amoureux prend ici d’étranges contours. L’infidélité n’est qu’un remède temporaire au mariage. Le meurtre, lui, en serait le médicament miracle. » (15 janvier 2011).






6. "Que la bête meure" sorti le 5 septembre 1969

Un "thriller" mettant en scène Michel Duchaussoy, le père d’un jeune homme tué par un chauffard et voulant se venger en raison de l’impasse des enquêteurs, Caroline Cellier, une femme que le père rencontre au cours de ses investigations, et Jean Yanne, toujours dans un rôle de personnage insupportable et repoussant, garagiste, amant et père de famille. Initialement, Philippe Noiret devait prendre le rôle de Jean Yanne mais il a finalement refusé. Le titre provient d’un passage de "L’Ecclésiaste", dans l’Ancien Testament : « Car le sort des fils de l’homme et celui de la bête sont pour eux un même sort ; comme meurt l’un, ainsi meurt l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’homme sur la bête est nulle ; car tout est vanité. ».









7. "Le Boucher" sorti le 27 février 1970


Une idylle entre Stéphane Audran l’institutrice et Jean Yanne le boucher, naissant au cours d’un mariage, et une histoire de meurtres de jeunes filles assez glauque. Film salué par la critique comme souvent pour les films de Chabrol.






8. "La Rupture" sorti le 26 août 1970

Avec Stéphane Audran, la femme qui veut divorcer, Jean-Claude Drouot le mari violent et toxico, Michel Bouquet le beau-père, aussi Michel Duchaussoy, Jean-Pierre Cassel, Jean Carmet, Annie Cordy, etc.






Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (12 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Claude Chabrol.
Charles Denner.
Annie Cordy.
Vanessa Marquez.
Maureen O'Hara.
Ennio Morricone.
Zizi Jeanmaire.
Yves Robert.
Suzanne Flon.
Michel Piccoli.
Jacques François.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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