mercredi 4 novembre 2009 - par jack mandon

Claude Lévi-Strauss : Au Séculaire et singulier pèlerin

Un concert de silence qui pense, en écho aux bruits naturels des grands espaces vierges.

Un siècle de curiosité respectueuse, de recherche éclectique et joyeuse dans l’antre de Gaïa.

Le passage du pèlerin du voyage intérieur qui a vécu et qui nous dit (avec Novalis)

« c’est en nous, sinon nulle part, qu’est l’éternité avec ses mondes, le passé et l’avenir ».

Il est allé à la rencontre du mystère. Il savait d’où il partait, il n’a jamais su où il allait vraiment, au point de ne plus reconnaitre les lieux qui participaient jadis à ses joies. Il savait que si l’on croit apprendre pour savoir le chemin, nous le quittons. Ainsi il évitait les routes tracées pour ne pas perdre le cap.

C’était le voyageur intérieur des espaces vierges à l’attention des coeurs purs. Il pressentait d’instinct qu’à travers les chemins tortueux il rencontrerait l’inconnu qui habite depuis l’éternité.

Pour cela, il lui fallait sans doute abandonner tout espoir de recevoir la lumière de l’extérieur. Comme un déshérité, il renonçait à la sécurité, à la volonté de puissance qu’il voyait croitre dangereusement autour de lui.

Renoncer à vouloir maitriser l’inexplicable. Romantique de l’autre siècle, il était convié à l’humilité et à la solitude intérieure. Chercheur authentique, il s’était réveillé dans un monde qu’il ne comprenait pas... c’est pour cela qu’il cherchait passionnément à l’interpréter.

L’interprétation humaine est chancelante, pensait-il. La turbulence et la folie du monde lui apparaissait sans qu’aucune explication satisfaisante ne lui convienne vraiment. C’était pour lui un facteur de faillite.

Chacun poursuit sa route et péniblement découvre sa voie. Ce n’est pas un repliement sur soi, mais un approfondissement silencieux pour rencontrer le germe vivant dans tout être humain.

Homme d’honneur, humaniste convaincu, il ne s’en remettait pas à un rédempteur, n’apaisait pas ses doutes en fabriquant des idoles. Responsable et discret, il savait cultiver la solitude et le silence, contrepoids monolithique à l’homme de son temps dévoré par l’angoisse. L’intériorité lui était coutumière, il en connaissait les aspérités insolites et arides. L’homme moderne, "extérieur", l’attristait dans son souci de contrôle, parce que divisé, avide de savoir, parce que vide de sens.

Relié à la vie, proche de lui même, il ne me semble pas qu’il ait inondé le monde de ses discours intellectuels et d’une présence médiatique tapageuse. C’était pourtant un homme de lumière, un homme cultivé qui avait beaucoup appris, pour atteindre un au delà. Il a beaucoup vécu en apprenant, pour dépasser un certain seuil.

Devant l’immensité du personnage, j’ai la sensation d’être pétrifié devant un séquoïa qui masque la forêt amazonienne. Marcher dans ses pas, c’est découvrir le nouveau monde au début de la création.

Tristes Tropiques, son ouvrage le plus connu, pas vraiment aimé de lui, qui semblait lui reprocher un manque de spontanéité, nous parle de ses méditations et souvenirs de voyage.

La rencontre des indiens du Brésil avec le regard compatissant et respectueux de l’homme convié à la rencontre de l’humanité vraie. L’exotisme n’était pas sa recherche. Méditer sur la civilisation pour en recevoir la réalité était sa quête.

Comme l’analyse Georges Bataille : "La nouveauté du livre s’oppose à un ressassement, elle répond au besoin de valeurs plus larges, plus poétiques, telles que l’horreur et la tendresse à l’échelle de l’histoire et de l’univers, nous arrache à la pauvreté de nos rues et de nos immeubles."

Il s’agit d’un cheminement de sagesse, celle d’un patriarche. L’homme quitte symboliquement son pays, sa parenté, la maison de son père pour aller vers la réalisation de lui même. C’est quasiment biblique, avant le livre !
Il quitte la parenté pour entrer dans la filiation.

Cela sous entend de rompre avec la sécurité de sa civilisation, pour s’engager dans l’inexploré, l’énigmatique, l’espace vierge de l’autre. C’est un cheminement initiatique, qui s’inscrit dans l’alchimie humaine.

Le regard et l’esprit vierge comme ses nouveaux amis. Pas de référence, de livre ouvert, de tradition judéo-chrétienne, l’écoute à coeur ouvert.

Il n’est pas donné à tous les hommes d’atteindre ce niveau de conscience. S’inscrire dans le renoncement du "Moi"pour l’étonnante ouverture à l’extériorité de l’autre. Etat de conscience privilégié pour l’autre qui prend toute sa place dans un espace illimité et jamais achevé.

Comme le dit Lévinas "En allant vers l’autre, je me rejoignais et m’implantais dans une terre désormais natale, déchargée de tout le poids de mon identité".

C’est du processus d’individuation dont il s’agit... une invitation pour le voyage dans l’inconnu de l’autre.

L’écoute de la différence s’établit, j’ose la nommer, "humilité dans l’amour."
Claude Lévi-Strauss serait-il ce terreau fertile où la graine de notre créativité germera un jour ?


26 réactions


  • jako jako 4 novembre 2009 14:10

    Merci de ce beau texte sur ce grand phare qui s’est éteint, discret jusqu’à son enterrement.
    Devrait être enseigné dès la 6eme


  • jack mandon jack mandon 4 novembre 2009 15:10

    @ Jako

    Oui tout à fait, un phare, comme les géants de pierre qui affrontent les tempêtes bretonnes.
    Colosses d’un autre temps, peu soucieux de modernité, séculaires singuliers, eux aussi.
    Luminaires enracinés dans le granit sombre, pour orienter les navigateurs du large...
    que nous sommes.

    Merci


    • jako jako 4 novembre 2009 15:16

      Merci de votre réponse, il serait interessant d’ailleurs de dresser la liste (pas si grande...) de ces phares soulignants les écueils qui disparaissent et ne sont plus remplacés, 


    • jack mandon jack mandon 4 novembre 2009 18:10

      @ Jako

      Voir tempête bretonne.wmv

      Un clip de 3mn sur les gardiens d’un autre âge. Tempête de décembre 2007

      Bon vent du large


  • Sandro Ferretti SANDRO 4 novembre 2009 16:45

    Cher Jack,
    Je ne suis ni bon, ni sauvage, ni un mythe.
    Aussi je vous dirais sans détours que l’homme et l’oeuvre, qui m’ont toujours laissé un peu perplexe, prend plus de relief avec vos mots à vous. Je vous en remercie.

    PS : je me fais rare sur ce site, et ne passe plus que pour saluer épisodiquement un bon stylo doté d’un cerveau , quand j’en ai le temps. Ne vous inquiétez donc pas si vos prochains billets ne me trouvent pas sur votre chemin.
    Comme dit Hajkins : « on ne voit ni le ciel ni la terre, mais la neige continue de tomber »...


    • jack mandon jack mandon 4 novembre 2009 18:17

      @ Sandro

      Aimable étoile filante

      Dans le meilleur des cas, mon rôle et de montrer et laisser des consciences expertes
      découvrir et évoluer au mieux de leurs talents et de leur potentiel.

      Ne tardez pas trop pour repasser...ça sent tout à coup l’hiver !

      Merci


    • Sandro Ferretti SANDRO 5 novembre 2009 14:31

      Hey, Jack
      Je vous souhaite longue vie au bord de votre lac de la tranquilité...

      « Et que ne durent que les moments doux
      Et que ne doux... »
      (Bashung/ Fauque)


    • jack mandon jack mandon 5 novembre 2009 15:52

      @ Sandro

      OK, Je cours de ce pas, graver ces jolis mots sur mon épitaphe, au soleil couchant de mon lac.

      Merci


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 4 novembre 2009 20:42

    La rencontre des indiens du Brésil avec le regard compatissant et respectueux de l’homme convié à la rencontre de l’humanité vraie .

    Tout est dit dans cette phrase .

    L’ humanité vraie ....celle qui consiste à s’ intéresser à l’autre en dehors de tout contexte politique , de puissance matérielle etc ... juste communiquer avec l’ oeil brillant de ce que mon voisin pourrait m’ apprendre .

    Merci Jack et finissons d’ abord l’ automne .


  • Philippe D Philippe D 4 novembre 2009 23:38

    Tristes temps d’Automne.


    • jack mandon jack mandon 5 novembre 2009 07:30

      @ Philippe D

      C’est une parcelle d’estampe japonaise ?

      Vous travaillez dans le noir et blanc...le gris émerge.

      L’atmosphère d’automne s’inscrit dans ce choix, quant au fond.

      Souvenez vous, les Impressionnistes étaient les ennemis du gris ?

      pourquoi à votre avis ? Parce qu’ils étaient fâchés avec la photo naissante en cette fin de XIX ème

      parce que le gris se rapproche de la synthèse des couleurs matières, parce que tout simplement les impressionnistes étaient avant tout des coloristes et que pour eux le gris est l’ennemi de la couleur, ou encore parce qu’il chantaient le printemps, la fête des couleurs lumières.

      La photo artistique se décline en noir et blanc, ils avaient donc un problème avec les photographes...c’était du parti pris !

      Merci


    • Philippe D Philippe D 5 novembre 2009 09:42

      Merci à vous,

      Les couleurs d’Automne sont magnifiques, resplendissantes.
      Mais parfois, des jours comme hier, le gris du ciel se confond avec le brouillard.
      La terre pleure quelques jours.
      Quand elle a versé ses larmes, elle repense à la vie.

      Dans ces journées grises aucun contraste n’apparait, le photographe est forcément mélancolique.


  • Antoine Diederick 5 novembre 2009 12:36

    Bonjour,

    Très beau texte et simple de surcroit.

    Des nombreux hommages que j’ai pu lire sur les sites de presse en ligne, je retiendrais le mot « passeur »....qui qualifie bien les personnalités qui nous invitent à explorer de nouveaux espaces et des pensées nouvelles et qui sans contrefaire le sage ou l’érudit pédant, nous laissent un héritage.

    Il y avait une vidéo très intéressant reprenant un film ( 1972 ) consacré à une longue interview de C.L-S. sur le Point.com. Elle n’est plus en ligne pour l’instant, mais via Daily Motion, il est possible de trouver des documents filmés .

    Bonne journée.


    • jack mandon jack mandon 6 novembre 2009 18:45

      @ Antoine Diederick

      Oui, tout à fait. Le passeur est à la fois infiniment présent et suffisamment en retrait pour ne pas interférer sur nos initiatives. La discrétion pédagogique du respect de l’autre.
      Merci de votre passage.


  • farandole 7 novembre 2009 09:06

    Claude Lévi-strauss avait cette magnifique faiblesse de l’intellectuel : cette clairevoyance qui lui permettait de comprendre l’humanité dans sa plus ignoble beauté.
    L’anthropologie, plus qu’une discipline est un regard sur le monde. Le père du structuralisme en était l’oeil de lynx.


  • jack mandon jack mandon 7 novembre 2009 09:28

    @ farandole

    Merci.

    Chercher l’harmonie sans fausse illusion.
    A tous les niveaux existentiels, accepter aussi la dégénérescence,
    pas comme une fatalité, mais parce que l’ombre coexiste avec la lumière.
    C’est dans l’ordre des choses, c’est donc aussi cela l’ethnologie.


  • Emin Bernar Paşa 8 novembre 2009 17:56

    merci pour ce texte, au sens que le mot avait dans les années 60 !!!


  • Gollum Gollum 9 novembre 2009 09:04

    Il n’est pas donné à tous les hommes d’atteindre ce niveau de conscience. S’inscrire dans le renoncement du « Moi »pour l’étonnante ouverture à l’extériorité de l’autre. Etat de conscience privilégié pour l’autre qui prend toute sa place dans un espace illimité et jamais achevé.


    Bel exemple de natif du Sagittaire, puisque je sais que la symbolique astrologique vous parle..  smiley

  • jack mandon jack mandon 9 novembre 2009 10:41

    @ Gollum

    Eh oui, la symbolique, langage hermétique pour tous les rationalistes, les angoissés de la nuit.
    Pourtant, comme vous le soulignez, il existe des êtres différents pour lesquels un langage commun est inadéquat. Pour cette raison, les poètes sortent de la forêt, elfes gesticulant, pour chanter les louanges des passeurs de vie. Cependant, il serait injuste et restrictif, d’accorder au Sagittaire l’unique privilège de la sagesse.
    Pour détendre, à la manière de Pierre Dac et Francis Blanche,l’un dit à l’autre :
    « Je suis du signe du Sagittaire avant de s’en servir »
    Merci pour votre passage

  • Gollum Gollum 9 novembre 2009 12:22

    Cependant, il serait injuste et restrictif, d’accorder au Sagittaire l’unique privilège de la sagesse.


    Ce n’est pas ce que je voulais souligner.. Il s’agit de son orientation vers des mentalités « exotiques » et éloignées de la nôtre, ce en quoi le Sagittaire est à l’opposé des Gémeaux qui aiment la proximité... (Le Pen, Gémeaux, un hasard ? smiley)

  • jack mandon jack mandon 9 novembre 2009 15:00

    @ Gollum

    Tout à fait, le secteur IX, l’en de çà, l’au delä, la spiritualité, les grands voyages...
    analogiquement au sagitaire.Tout à fait, vous avez raison.
    J’avais sorti un article qui s’intitulait, « L’Astrologie, une femme »
    Quel chaos sur AV, Pour l’essentiel, je voulais dire que l’astrologie, par son irrationnalité, mais aussi pour sa fantaisie, évoquait, entre autre, le tempéremment féminin.


    • Gollum Gollum 9 novembre 2009 15:30

      Vous avez raison. L’astrologie nécessite une bonne dose de féminité pour subir son attrait.


      Beaucoup de femmes chez les astrologues. Mais un peu comme pour la grande cuisine, ce sont les hommes qui fournissent les meilleurs astrologues. La raison est une meilleure maîtrise de l’Intellect.

      Tout ceci explique pourquoi l’astrologie est traditionnellement considérée comme un art sacerdotal. En effet, la première caste est androgyne, contrairement à la deuxième, celle des guerriers. C’est ce qu’exprime Lao Tseu quand il dit : « Connais le Masculin, mais choisit le Féminin ».. Le Tarot exprime la même chose avec son Christ androgyne dans la lame XXI.

      Cordialement. 

  • jack mandon jack mandon 10 novembre 2009 19:07

    @ Gollum

    En compagnie de Claude lévi-Strauss, nous bénéficions d’une écoute respectueuse.
    Si l’on ne partage pas les idées de notre interlocuteur, si ça dégénère, c’est que la peur a pris possession de notre psyché.
    Je vous dit cela, parce votre engagement spirituel constitue pour AV un phénomène rare

    Tous les praticiens des sciences humaines « élargies », ont une composante féminine assez forte. une bonne dose d’intuition accompagne l’analyse.
    Les théoriciens en revanche font appel à une fonction pensée importante.
    C’est peut être risqué de systématiser. La femme est dans la vie, les sentiments, les enfants, l’émotionnel...elle donne la vie, c’est quelque chose qui nous passe très au-dessus de la tête.
    L’abstraction masculine, le besoin de créer et compensatoire à notre frustration procréative. Les artistes masculins atteignent des cimes qui frisent le désordre psychique. La libibo doit s’extérioriser, elle utilise le canal qui s’offre naturellement.
    Le sacerdoce dont vous parlez et un pendant à la fonction matricielle maternelle puissante du féminin.
    Votre développement est très intéressant, il pose bien le problème.

    Tout ceci explique pourquoi l’astrologie est traditionnellement considérée comme un art sacerdotal. En effet, la première caste est androgyne, contrairement à la deuxième, celle des guerriers. C’est ce qu’exprime Lao Tseu quand il dit : « Connais le Masculin, mais choisit le Féminin ».. Le Tarot exprime la même chose avec son Christ androgyne dans la lame XXI.

    Merci, à bientôt

    • Gollum Gollum 11 novembre 2009 09:43

      Je vous dit cela, parce votre engagement spirituel constitue pour AV un phénomène rare

      Oui, j’interviens assez rarement d’ailleurs. smiley J’avoue avoir assez d’ambivalence envers Av que j’ai souvent envie de plaquer tant le niveau désespérément bas de beaucoup, l’agressivité et le manque de courtoisie m’indispose. Heureusement sur vos textes les trolls sont assez rares.

      Cordialement.


  • jack mandon jack mandon 11 novembre 2009 10:25


    @ Gollum

    L’important...c’est la rose, ( Bécaud) ou « le nom de la rose » oeuvre merveilleuse d’Umberto Eco et J.J. Annaud, adaptée,
    L’important, c’est de pouvoir s’exprimer librement, pour se faire plaisir, parler de ce que l’on aime, de ceux que l’on aime.
    Dans mon dernier article, j’ai eu une pensée pour Nelson Mandela, j’ai été heureux de passer un moment avec lui.
    Pour les commentaires, j’ai compris que ce n’était plus d’actualité, l’humanisme, le courage politique, la grâce, ce sont des sujets qui ne sont plus d’actualité. L’important, c’est le bonheur au fond de soi.
    De temps en temps un partage cordial permet le renvoi en miroir, c’est bien humain.
    Bien à vous

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